Pourquoi Mélenchon est-il en train de tuer la NUPES? edit
Le comportement de Jean-Luc Mélenchon depuis quelques semaines peut paraître étrange voire incompréhensible. Toutes ses actions pourraient avoir pour conséquence un affaiblissement notable de cette NUPES qu’il a contribué à créer voici quelques mois : sa défense sans nuances d’Adrien Quatennens accusé de violences conjugales ; le comportement très agressif de LFI à l’Assemblée nationale et ses motions de censure à répétition, qui ont mis mal à l’aise ses partenaires au sein de la NUPES ; le refus des députés LFI, à Paris et à Bruxelles, de condamner clairement la Russie pour ses agissements en Ukraine ; la réaffirmation de ses positions anti-OTAN et neutralistes ainsi que son refus d’une défense européenne ; enfin la manière autoritaire voire autocratique avec laquelle il vient de réorganiser autour de sa personne la direction de son mouvement.
Ce faisant, non seulement il affaiblit chez ses partenaires de la NUPES la position de ceux, qui tel Olivier Faure au PS, misaient sur elle pour reconstruire la gauche. Il renforce ceux qui défendent l’autonomie de leur mouvement, comme la nouvelle direction de EELV ou les opposants à la NUPES au sein du PS et du PCF. De surcroît, en refermant LFI sur sa propre personne, excluant de sa nouvelle direction des personnalités comme François Ruffin ou Clémentine Autain, il affaiblit la France insoumise elle-même. Du coup, ceux qui voyaient dans l’alliance forgée au printemps le moyen de rassembler enfin une gauche très dispersée se retrouvent à la case départ, avec une gauche plus divisée que jamais et sans aucune perspective politique. Pourquoi Mélenchon joue-t-il objectivement contre la NUPES ?
À la réflexion, son comportement ne devrait pas nous étonner outre mesure. Il n’est que la traduction de sa personnalité et des idées qu’il développe depuis longtemps.
Une certaine logique
Mélenchon a une personnalité autoritaire. En quittant le PS puis en fondant plus tard son propre parti, un « parti personnel », il souhaitait d’abord disposer d’une organisation dont il serait le chef incontesté. Cette préférence personnelle est au diapason de sa sensibilité politique : il a toujours préféré les régimes plébiscitaires aux démocraties parlementaires. Rappelons-nous son admiration pour Chavez et sa complaisance à l’égard de Poutine. La montée au sein de son mouvement de personnalités qui pourraient mettre en cause son autorité ne peut que l’indisposer. En outre, intéressé surtout par l’élection présidentielle, que pourtant il a toujours condamné, défendant l’établissement d’une VIe République, il n’entend pas que des concurrents potentiels puissent menacer une éventuelle candidature de sa part à la prochaine élection présidentielle.
Mélenchon a été formé politiquement chez les trotskistes lambertistes, une petite organisation sectaire où le chef charismatique détenait le pouvoir absolu et où les exclusions, les excommunications et les procès internes étaient le moyen de préserver son autorité. Mélenchon est demeuré marqué par cette formation.
Mélenchon est un homme de la guerre froide : il a été formé dans un monde où le camp anticapitaliste affrontait le camp capitaliste, et à bien des égards il n’en est jamais sorti. L’ennemi principal est les États-Unis. D’où son rejet de l’OTAN et d’une Europe qui serait, notamment l’Allemagne, la marionnette de l’Oncle Sam. D’où sa proximité ancienne à la Russie poutinienne et, une fois l’Ukraine envahie, son refus de lui fournir les armes nécessaires à sa survie. Il sait que ses partenaires au sein de la NUPES ne sont pas sur cette ligne, mais sur cette question centrale il n’est pas prêt à transiger, comme il vient de le réaffirmer récemment.
À plusieurs reprises au cours des années passées Mélenchon a critiqué l’idée même de gauche et après son départ du PS il a renoué avec sa volonté de détruire la social-démocratie : cette ambition est une idée centrale du léninisme. Il ne croit donc pas possible une alliance de long terme avec les socialistes. Il n’a pas non plus de véritable considération pour le mouvement écologiste EELV même s’il se veut lui-même écologiste. Il ne croit donc vraisemblablement pas que la NUPES puisse avoir un avenir sauf à être dominée et dirigée par lui-même. À partir du moment où ses partenaires ont refusé de se fondre dans un groupe unique à l’Assemblée, la NUPES ne peut plus constituer à ses yeux une innovation porteuse d’avenir.
En cofondant la NUPES sous son ombrelle, socialistes et écologistes ont voulu oublier les désaccords fondamentaux que leurs partis ont historiquement avec ce que représente politiquement Mélenchon, donnant la priorité à l’union pour l’union et pensant que la commune aversion au libéralisme économique (appelé « ultra-libéralisme »), et la détestation de Macron suffiraient à bâtir un programme de gouvernement.
Les leçons de l’histoire
Lorsqu’Olivier Faure voit dans la NUPES non pas une simple alliance de partis mais le creuset où se fondront en une seule force politique les différents éléments de la gauche, il est d’une certaine manière fidèle à ses prédécesseurs d’avant François Mitterrand, les leaders successifs de la SFIO, Jean Jaurès, Léon Blum et Guy Mollet. Jaurès estimait que le prolétariat ne devait avoir qu’un seul parti, d’où son acceptation des conditions posées par Guesde, condamnant le ministérialisme et abandonnant les positions des parlementaristes socialistes modérés prêts à des compromis avec les républicains non marxistes. Or après la révolution bolchévique la SFIO est devenue au congrès de Tours (1920), à la faveur d’une scission, le Parti communiste français. Blum, disciple de Jaurès, a contribué alors à refonder la « vieille maison » avec Paul Faure et les guesdistes, mais il a toujours rêvé de réunifier les socialistes marxistes et d’effacer le congrès de Tours. L’échec du Front populaire puis le pacte germano-soviétique ont brisé cet espoir. En 1947, Guy Mollet, devenu le chef du parti, a obtenu que le gouvernement dirigé par le socialiste Ramadier démissionne après que celui-ci se soit séparé des ministres communistes alors que les députés de ce parti avaient voté contre leur propre gouvernement. Il estimait qu’un gouvernement socialiste devait comprendre des communistes et non pas seulement des partis bourgeois. Quelques mois plus tard l’éclatement de la guerre froide allait séparer pour longtemps socialistes et communistes. Sous la Ve République les socialistes ont été dans l’opposition de 1959 à 1981, date à laquelle François Mitterrand, qui n’a jamais cru possible ni désirable de réaliser « l’unité organique » avec le PCF, put constituer un gouvernement d’union de la gauche. Mais, dès 1984, les communistes refusèrent de participer au gouvernement Fabius. Jospin à son tour constitua la gauche plurielle en 1995 et gouverna avec les communistes de 1997 à 2002 mais la multiplicité des candidatures à gauche provoqua son élimination dès le premier tour de l’élection présidentielle. Quant à François Hollande, les communistes ayant refusé toute collaboration avec lui, ce furent les « frondeurs » socialistes qui jouèrent leur rôle en accusant le gouvernement socialiste d’être devenu libéral et en empêchant le président de se représenter. En 2017, le parti mitterrandiste était mort comme parti de gouvernement.
Cette histoire montre que socialistes et communistes ou mélenchonistes ne peuvent gouverner ensemble dans la durée. Si les socialistes veulent tenter sérieusement de redevenir un jour un parti de gouvernement, il est temps qu’il reconsidèrent leur stratégie à l’égard des partis « bourgeois », comme l’a fait la social-démocratie allemande à Bad-Godesberg en 1959, puis en 1966, quand le SPD a accepté de former avec la CDU la première grande coalition comme partenaire junior avant de conquérir trois ans plus tard la chancellerie avec Willy Brandt. Pour cela, il faudra qu’ils signent eux-mêmes l’acte de décès de la NUPES. Bref, qu’ils deviennent enfin sociaux-démocrates.
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