Réformer la loi électorale - 4 - Ce que nous proposons edit
La réflexion menée dans les trois articles précédents nous amène à orienter nos propositions dans quatre directions précises : le choix d’un scrutin de listes, un scrutin à deux tours, des circonscriptions à dominante bi-départementale, et une clé de répartition modulable entre le majoritaire et la proportionnelle.
Le choix d’un scrutin de listes
On peut imaginer un scrutin de liste majoritaire mais on ne peut guère concevoir un scrutin uninominal proportionnel. La solution la plus simple pour établir un scrutin mixte passe donc par l’institution, dans le cadre de circonscriptions à déterminer, d’un scrutin de liste assurant l’attribution au premier tour, et à la proportionnelle à la plus forte moyenne, d’une partie des sièges à pourvoir, et l’attribution en bloc des sièges restants dans le cadre d’une confrontation majoritaire de second tour entre les deux partis ou coalitions de partis arrivés en tête au premier tour.
Outre l’avantage de la simplicité – une élection à deux tours dans une même circonscription et sur la base des mêmes listes – ce dispositif permettrait d’accompagner utilement les initiatives prises en vue de rénover notre vie publique. Au cours des dernières années, celle-ci a pris deux formes principales : le développement de la parité homme-femme au sein du personnel politique et l’interdiction de plus en plus systématique des cumuls de mandats, et plus particulièrement du cumul entre les mandats de parlementaire et de responsable d’une collectivité territoriale. Le régime électoral n’est pas neutre au regard de ces développements. L’exigence de parité est évidemment contrariée par le caractère uninominal du scrutin législatif et, si nécessaire soit-elle à l’amélioration du travail parlementaire, l’élimination des situations de cumul pose à un élu du scrutin uninominal un double problème de notoriété et de précarité. Face au maire de la principale commune de sa circonscription, au président du département ou de la région, dotés les uns et les autres de pouvoirs réglementaires et de ressources financières leur permettant de délivrer massivement des biens et des services appréciés des électeurs, l’arrondissementier de base, privé de mandats, de relais, et de moyens locaux ne fait pas vraiment le poids. Loin de se voir libéré d’obligations locales hypothéquant la qualité de son action parlementaire, le député, délesté de tout mandat exécutif local, risque de se retrouver astreint à un travail de terrain proprement forcené dans le but de compenser par son ubiquité l’influence institutionnalisée de ses concurrents locaux.
La substitution à l’actuel scrutin uninominal d’un scrutin de liste dans des circonscriptions de dimension raisonnable aurait donc le double avantage de favoriser la parité en instituant l’alternance homme-femme sur les listes et d’équilibrer les influences locales et partisanes mettant ainsi le député sortant en situation de lutter à armes égales avec les élus territoriaux.
Un scrutin à deux tours
Au premier tour, dit-on, on choisit, au second on élimine. On proposera ici de proportionnaliser au premier tour et de choisir l’orientation de la politique nationale au second. Le premier tour devrait, selon nous, permettre d’attribuer un nombre important des sièges à pourvoir à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne avec un seuil de 5% des exprimés. Le second devrait, en revanche, régler l’attribution des sièges restant à pourvoir, dans le cadre d’un scrutin majoritaire de listes, opposant les deux listes ou coalitions de listes arrivées en tête au premier tour. Le grand avantage de ces duels de second tour, ce serait de permettre de dégager une majorité prenant non seulement en compte les préférences des électeurs pour un parti, mais également le taux de rejet dont les deux partis arrivés en tête au premier tour font l’objet de la part des électeurs des formations éliminées, électeurs ainsi amenés à exprimer leur second meilleur choix. Il s’agit d’éviter une situation dans laquelle on donnerait une majorité parlementaire absolue à un parti arrivé en tête au premier tour – par exemple, le Front national – mais qui serait rejeté par une nette majorité d’électeurs au second.
Dans le souci de favoriser les stratégies coopératives entre partis proches et d’élargir le polygone de sustentation des futures majorités, il serait opportun d’autoriser, dans chaque circonscription, la fusion pour le second tour de deux ou de plusieurs listes dès lors qu’elles auraient au premier franchi la barre des 5%. Ces fusions devraient toutefois respecter deux conditions : elles devraient présenter le caractère d’une alliance nationale et s’imposer ainsi dans l’ensemble des circonscriptions ; elles devraient obéir à des règles démocratiques strictes, les nouvelles listes étant constituées dans chaque circonscription au prorata des scores réalisés au premier tour par chacune des listes qui fusionneraient, sur la base du principe dit « de la plus forte moyenne » (1). Ainsi, le pacte majoritaire serait établi dans le respect des équilibres partisans voulus par les électeurs.
Des circonscriptions à dominante bi-départementale
Quels devraient être le nombre et la nature des circonscriptions adaptées à l’objectif poursuivi ? Le format idéal d’une telle circonscription serait de 10 sièges permettant, par exemple, une répartition proportionnelle de 6 sièges. Pour une assemblée qui comprendrait environ 560 sièges, il faudrait donc compter une soixantaine de circonscriptions. Le problème, c’est que la République n’a pas cet article en magasin, les scrutins législatifs se déroulant toujours soit dans le cadre de circonscriptions uninominales comme aujourd’hui, soit dans un cadre pour l’essentiel départemental comme en 1986. La division du territoire en 100 circonscriptions départementales, et de plus fortement hétérogènes en termes de population (21 députés dans le Nord et un en Lozère) serait impropre, compte tenu de la nécessité d’attribuer une partie substantielle des sièges dans le cadre d’un second tour strictement majoritaire, à assurer autre chose qu’une représentation proportionnelle croupion. Le cadre régional qu’envisage de retenir le rapport Bartolone/Winock serait sans doute moins approprié encore, d’autant que la réforme actuellement mise en œuvre réduit à 13 le nombre des régions. Le lien entre l’électeur et l’élu et l’équilibre souhaitable entre l’arbitrage national et la légitimation locale seraient sacrifiés si l’on retenait un cadre aussi démesuré que les nouvelles régions. Qui, par exemple, pourrait se satisfaire d’une situation qui verrait élire le député de Bayonne ou de Pau par un électeur de Châtellerault ?
Il faut donc imaginer un format de circonscription inédit, tout en reconnaissant qu’il est préférable d’avoir des circonscriptions de taille inégale plutôt que d’ignorer totalement les enracinements territoriaux. Les petites circonscriptions, fournissant peu d’élus, n’altèrent en effet que marginalement la proportionnalité globale du scrutin. Le compromis nécessaire, et nécessairement imparfait, entre la double exigence de l’enracinement et de la proportionnalité devrait passer, selon nous, par l’institution d’une cinquantaine de circonscriptions (48 dans l’hypothèse que nous avons privilégiée) réparties entre la France continentale, la Corse et les départements d’Outre-mer, circonscriptions constituées en grande majorité par le regroupement deux à deux des département actuels (2). Ces regroupements donneraient inévitablement naissance à des circonscriptions de taille variable puisque les départements le sont également. Afin de réduire ces écarts et d’éviter la réunion de départements situés dans des régions distinctes, il faudrait prévoir certaines exceptions au regroupement bi-départemental. On devrait, par exemple, accepter un certain nombre de circonscriptions monodépartementales comme les départements d’Ile de France ou du Nord ou, pour des raisons d’identité, ceux d’Outre-Mer. Pas davantage ne devrait-on exclure la constitution d’un petit nombre de circonscriptions formées de trois départements (comme le Calvados, la Manche et l’Orne constitutifs de l’ancienne Basse-Normandie), voire de quatre départements comme ceux de l’ancienne Franche-Comté. Dans sept cas, les regroupements envisagés, qu’ils soient bi, tri ou quadri-départementaux, retrouveraient les limites des anciennes régions : Picardie, Haute-Normandie, Basse-Normandie, Limousin, Corse, Alsace et Franche-Comté. La mixité du scrutin serait ainsi solidement établie.
Une clé de répartition modulable entre le majoritaire et la proportionnelle
Nous avons, à titre illustratif, dessiné une carte possible des regroupements départementaux et décliné, circonscription par circonscription, une clé de répartition des sièges de premier et de second tour. Le principe que nous avons retenu, au risque de limiter parfois drastiquement l’effet proportionnel dans une dizaine de petites circonscriptions, est de fixer pour chaque circonscription, à 50%, arrondis le cas échéant au chiffre inférieur, le nombre de sièges attribués dans le cadre du second tour. Ce nombre s’établirait à 256, représentant 44% de la totalité des sièges de l’assemblée
Il est pratiquement impossible de déterminer a priori une clé de répartition qui garantirait une majorité parlementaire claire (par exemple 52% des sièges) à un parti ou à une coalition de partis. Et cela pour une raison simple : on ne peut pas prévoir « le taux de dilution » d’une prime majoritaire qui se jouerait, selon notre hypothèse, au sein de cinquante circonscriptions, et qui serait inévitablement, quoiqu’inégalement, partagée entre plusieurs partis ou coalitions de partis. Ne serait-il pas nécessaire dès lors de transposer et d’adapter à la situation de la France le concept de prime majoritaire variable qui constitue l’innovation principale de la réforme du mode de scrutin législatif que Matteo Renzi a fait adopter en Italie ? La répartition finale des sièges entre majoritaire et proportionnelle serait déterminée à l’issue du deuxième tour de scrutin en fonction d’une exigence unique : l’attribution d’un minimum de 52% des sièges à l’Assemblée nationale au parti ou à la coalition de partis ayant obtenu le plus grand nombre de voix dans l’ensemble des duels de second tour. Dans cet esprit, la clé de répartition pourrait être modulée mécaniquement en tant que de besoin de manière à accroître de 5, 10, 20% ou davantage le nombre de parlementaires élus au second tour. Cette modulation, qui se traduirait par la réduction du nombre de sièges attribués à la proportionnelle sur la base des résultats du premier tour, affecterait bien évidemment principalement voire exclusivement les plus grosses circonscriptions.
Tel est le système que nous souhaitons mettre en débat. Il permettrait à nos yeux de concilier les trois objectifs après lesquels court en permanence notre démocratie : une majorité stable, une répartition équitable, un pluralisme respecté.
1. Le principe le plus simple et le plus juste de classement des candidats issus de plusieurs listes ou, ce qui revient au même, d’attribution d’un siège en compétition entre plusieurs listes, est sans aucun doute celui dit « de la plus forte moyenne », imaginé par un mathématicien belge, Victor d’Hondt. C’est un système de distribution successive des sièges (ou des places) au bénéfice du candidat de la liste bénéficiant de « la plus forte moyenne », c’est-à-dire du plus grand nombre de voix par élu. Concrètement, on attribue fictivement à chacune des listes le siège (ou la place) à pourvoir puis on l’attribue réellement à celle des listes qui compte sur cette base le plus grand nombre de voix par élu. On recommence l’opération jusqu’à épuisement des sièges à pourvoir. Dans le cas d’espèce, c’est à partir du nombre de voix recueillies par chacune des listes au premier tour que s’opérerait le classement sur la liste commune des candidats issus des différentes listes.
2. Il serait souhaitable de mettre un terme à l’expérience des députés des Français établis hors de France en répartissant leurs électeurs entre les circonscriptions à forte population. Cette opération réduirait le nombre de parlementaires de 577 à 566.
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