Sauver l’économie ou sauver des vies, le choix à faire selon Trump et Bolsonaro edit
Depuis l’arrivée au pouvoir de Trump et de Bolsonaro se joue le sort de la démocratie libérale aux États-Unis et au Brésil. Ces deux personnages ont engagé d’emblée un combat sans merci contre elle, voulant imposer leur pouvoir personnel en détruisant ou en affaiblissant tous les contre-pouvoirs existant, qu’il s’agisse du Parlement, des médias, des experts et, au Brésil, de la Cour suprême, celle des Etats-Unis étant déjà à la main du président américain. La pandémie du coronavirus pourrait bien être le moment où aura lieu l’affrontement décisif entre partisans et adversaire du régime représentatif dans ces deux pays.
Face au développement de la pandémie, Trump et Bolsonaro ainsi que leurs partisans ont dans un premier temps nié la gravité du danger.
Le président américain a d'abord minimisé et moqué la menace sanitaire. Il a lancé devant une foule de supporters en Caroline du Sud : « Les démocrates ont politisé le coronavirus. Un de mes conseillers m'a dit : 'M. le président, ils ont essayé de vous avoir avec la Russie, Russie, Russie.' Ça n'a pas trop marché. Ils n'ont pas réussi. Ils ont essayé la supercherie de l'impeachment. Ils ont tout essayé. Ça, c'est leur nouveau canular. » C'était le 28 février. Le lendemain, les Etats-Unis enregistraient un premier décès lié au Covid-19. Le 7 mars, lorsqu'un reporter lui a demandé s'il s'inquiétait de la propagation de l'épidémie, Donald Trump a répondu par la négative : « Pas du tout. On a fait du super boulot. » Il a affirmé que la menace du coronavirus pour la santé publique n’était pas plus grave que celle de la grippe ou des accidents de voiture. Le chef des maladies infectieuses à l’Institut national de la santé qui, habituellement, accompagne le président lors de ses briefings ayant critiqué dans une interview certaines de ses déclarations, a disparu le lendemain lors du briefing au cours duquel il a balayé les propositions des médecins qui voudraient « fermer le monde entier et le tenir fermé pendant des années ».
Bolsonaro a, lui, appelé le coronavirus une fantaisie. Il a défié son propre ministre de la Santé en sortant pour remercier ses supporters, serrant les mains d’une centaine d’entre eux et prenant des selfies avec eux, déclarant que ses capacités athlétiques lui permettraient certainement de résister au virus. Il a critiqué vertement les gouverneurs qui prenaient des mesures de confinement, estimant qu’il ne s’agissait que d’une petite grippe et déclarant que « le peuple verrait bientôt qu’il était trompé par les médias lorsqu’ils parlent du coronavirus ». Réagissant à un sondage montrant que 70% des personnes interrogées soutenaient les mesures extraordinaires prises pour lutter contre la diffusion du virus il a déclaré que les Brésiliens ne croyaient pas aux sondages et qu’il s’agissait d’un complot ourdi par les médias pour le chasser du pouvoir. Dans cette période, Bolsonaro a poursuivi son combat contre les institutions, soutenu énergiquement par son fils, Eduardo qui, pendant la campagne de son père en 2018 estimait qu’il lui suffirait d’un caporal et d’un soldat pour fermer la Cour suprême et qui, le mois dernier, tweetait : « si quelqu’un lâchait une bombe H sur le Congrès, pensez-vous réellement que le peuple pleurerait ? »
Trump et Bolsonaro craignent avant tout que le confinement, provoquant l’arrêt de l’économie durant une longue période, menace leur réélection alors qu’ils ont tout misé sur la croissance et, surtout, sur la hausse des cours de bourse. Il s’agit donc pour eux de remettre les gens au travail quel qu’en soit le prix. Bolsonaro a ainsi annoncé sa décision de relancer l’économie dans les semaines à venir. Trump s’est montré plus volontariste encore, annonçant sa décision de rouvrir (open up) rapidement l’économie et ajoutant : « je ne parle pas en termes de mois, je peux vous dire tout de suite ». Les deux hommes sont ainsi décidés à affronter les experts qui, la situation s’aggravant rapidement dans les deux pays, préconisent de renforcer le confinement.
Dans une interview à Fox News, Trump vient de réaffirmer sa position selon laquelle un trop large confinement serait trop dommageable pour la santé économique du pays même si elle contribuait à la sauvegarde de la population. Il a déclaré ainsi : « notre pays n’est pas fait pour être fermé. Notre peuple est plein de vigueur et d’énergie. Vous pouvez détruire un pays en le fermant ». Il a finalement déclaré que le pays serait ré-ouvert pour Pâques, le 12 avril, et qu’il espérait qu’à cette date les églises seraient pleines.
Du coup, pour les deux hommes comme pour leurs partisans, face à la menace de destruction du pays par un trop long et trop large confinement, il faut choisir entre sauver l’économie et sauver des vies. Trump et ses amis, eux, semblent avoir choisi. Lui-même a déclaré récemment, choquant la communauté scientifique : « nous ne pouvons laisser le remède être plus grave que le mal » (« we cannot let the cure be worse than the problem itself »). Stephen Moore, un économiste conservateur qui a l’oreille de Trump et qui milite pour limiter les restrictions, a dit les choses encore plus clairement : « je ne dénigre pas le personnel de santé, mais vous ne pouvez pas adopter une politique qui dit : nous allons sauver chaque vie humaine à tout prix, peu importe de combien de trillons de dollars il s’agit ». Le sous-gouverneur du Texas, Dan Patrick, a été plus explicite encore : « les grands-parents devraient être prêts à mourir pour sauver l’économie pour leurs petits-enfants ».
Sauver des vies ou sauver l’économie. Poser le choix en ces termes est d’autant plus absurde que, comme Eric Chaney l’écrivait récemment dans ces colonnes, en la matière « la procrastination est la pire des politiques et le coût élevé des mesures radicales nécessaires pour endiguer l’épidémie en vaut la chandelle ». C’est en ralentissant la diffusion du virus que les chances de sauver l’économie sont les plus grandes.
C’est bien, du reste, ce que semble penser l’opinion publique américaine. Un sondage du Pew Resarch Center vient de montrer que l’écrasante majorité des Américains, qu’ils soient proches des démocrates ou des républicains, estime que mesures de restrictions de déplacements, de confinement, de fermeture des écoles et des restaurants ainsi que des commerces à l’exception des pharmacies et des magasins d’alimentation constituent les réponses nécessaires face à la crise sanitaire. L’aggravation rapide de la situation laisse donc penser qu’elle ne soutiendrait pas la suppression à court terme de ces restrictions. Pourtant, la popularité du président, mesurée par le même sondage, est en hausse de cinq points !
Certes, comme dans d’autres pays, notamment en France, cette hausse peut traduire simplement le fait qu’en temps de crise grave l’opinion a tendance à faire davantage confiance au chef de l’État.
Mais de deux choses l’une : ou bien Trump renonce finalement à lever rapidement ces restrictions ou bien l’opinion, et en particulier les sympathisants républicains, sera contrainte de se prononcer sur le conflit qui oppose leur président aux autorités scientifiques et médicales et aux Etats fédérés et aux municipalités qui entendent suivre leurs préconisations. Aux dernières nouvelles, le président américain semble suivre, au moins pour l’instant, les recommandations des autorités médicales. Il ne prétend plus rouvrir l’économie très rapidement, concédant un mois supplémentaire de « souffrance collective » et la poursuite des restrictions même si cela signifie des sacrifices pour les jours à venir. « Durant cette période a-t-il déclaré, il faudra suivre à la lettre les recommandations », annonçant même qu’elles seront prolongées jusqu’au 30 avril. Attendons la suite.
Bolsonaro, lui, persiste à refuser le confinement, déclarant : « Le Brésil ne peut pas s’arrêter, s’il s’arrête, nous devenons le Venezuela ». Au point que Twitter a supprimé dimanche deux tweets provenant du compte officiel du président brésilien dans lesquels il remettait en cause le confinement, ayant « enfreint les règles » de ce réseau social car les contenus de ses messages « pourraient augmenter le risque de transmission du Covid19 ».
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