Turquie: une politique étrangère aventuriste? edit
En dépit des relations orageuses de Recep Tayyip Erdoğan avec ses homologues européens, Emmanuel Macron a accepté de le recevoir à Paris en janvier 2018, dans le contexte d’une mutation profonde de la politique étrangère turque, dont nous allons tenter de situer les principaux aspects. Compte tenu des tensions qui existent par ailleurs, cette politique, qui n’est pas dépourvue de risques pour la Turquie elle-même, en comporte aussi pour l’Europe et le Moyen-Orient. Parmi les composantes de l’action diplomatique en cours, nous distinguerons le rôle personnel d’Erdoğan de ce qui serait un repositionnement géopolitique de la Turquie, susceptible de survivre aux initiatives parfois intempestives de ses dirigeants actuels.
«Make Turkey great again»?
On ne peut nier que sa personnalité marque fortement l’action diplomatique de son pays. À la différence de ses prédécesseurs, il veut s’affirmer parmi les « grands », bien qu’ayant étudié pour devenir imam et dépourvu d’expérience internationale à son entrée en fonction, il ne fût nullement préparé à jouer un rôle dans ce domaine.
Comme cela lui a assez bien réussi en politique intérieure, Erdoğan dramatise ses interventions par des discours agressifs, d’abord avec Israël, puis avec plusieurs dirigeants européens et américains. Ses voyages à l’étranger, parfois émaillés d’incidents (son dernier passage à Washington a été marqué par une bagarre entre ses agents de sécurité et des manifestants), mettent à rude épreuve la patience des pays d’accueil.
En fait, elles sont avant tout destinées à sa clientèle électorale, la « Turquie profonde » des petites villes de l’Anatolie intérieure et des masses récemment urbanisées des grandes métropoles, assez ignorantes du monde extérieur et restées fondamentalement attachées à l’islam. Elles apprécient sa rhétorique radicale et parfois ses diatribes anti-israéliennes, éventuellement antisémites. En posant la Turquie en victime de Bruxelles, de Washington ou de Berlin, dans un pays où l’opinion est persuadée d’avoir été longtemps trompée ou méprisée par ses alliés, le populisme d’Erdoğan a le même succès que celui de ses confrères européens. Le problème est que sa bellicosité a dépassé le stade du discours pour déboucher sur des interventions, à Gaza (en 2010) et surtout en Syrie (depuis 2011).
En novembre 2015, Erdoğan a fait abattre un SU24 russe qui avait pénétré pendant 17 secondes dans l’espace aérien turc. En imposant des sanctions sélectives, Moscou a contraint la Turquie à se rapprocher du Kremlin, ce que n’ont pas obtenu les dirigeants occidentaux, confinés dans une politique d’« appeasement » qui n’a conduit qu’à une multiplication des provocations turques.
Après l’échec du coup d’état de 2016, la Turquie s’est lancée dans la « diplomatie des otages », en emprisonnant des ressortissants américains, allemands et français pour obtenir en contrepartie l’extradition de Gülen (jugé responsable du putsch) et la libération de Zarrab (qui a révélé une énorme affaire de corruption dans laquelle a trempé la famille Erdoğan).
Après avoir tenté de s’en détacher au début de ses mandats en souhaitant, au nom de la solidarité sunnite, un rapprochement avec les Kurdes, Erdoğan est aussi revenu à la promotion du nationalisme, afin d’aspirer les voix du CHP (kémaliste) et du MHP (ultranationaliste). D’où sa fidélité aux positions de ses prédécesseurs : il ne voit pas de contradiction à refuser l’autonomie à 15 millions de Kurdes d’Anatolie orientale tout en revendiquant l’indépendance pour 200 000 Chypriotes turcs et il persiste dans la négation du génocide arménien.
Une bonne manière de faire la synthèse entre islamistes et nationalistes est d’exalter le souvenir de l’Empire ottoman, en réaction contre ses prédécesseurs, qui gardaient un souvenir brûlant de sa décadence. En tant qu’héritière de la Sublime Porte, la Turquie aurait vocation à exercer une sorte de « guidance » sur les musulmans, éventuellement par une restauration du califat, un thème récurrent des intégristes.
Ce n’est pas un vœu pieux, mais la justification d’innombrables ingérences : le président turc s’estime en droit d’intervenir partout où l’Empire ottoman s’est autrefois étendu, comme il vient de le faire au Soudan. Erdoğan y soutient le régime islamiste d’Omar el Bachir et veut se faire céder à bail la presqu’île de Suakin, éventuellement pour y établir une base militaire comme celle qu’il a installée en Somalie en septembre 2017.
En fait, le président turc est un dirigeant dangereux. Et il n’a longtemps pas été perçu comme tel par les dirigeants occidentaux, qui se sont illusionnés sur les vertus d’un prétendu « modèle turc d’islamisme modéré », acquis à leur cause, à proposer en exemple aux pays musulmans. Sur le fond, pas plus qu’en politique intérieure, il n’y a rien de particulièrement modéré dans les idées d’Erdoğan. Sans partager intégralement l’idéologie des Frères musulmans, il s’est déclaré solidaire de ceux qui sont arrivés au pouvoir (en Égypte jusqu’en 2013, à Gaza, au Maroc et en Tunisie). En 2017, quand les autres monarchies du Golfe ont ostracisé le Qatar, notamment en raison de ses sympathies pro-Frères, Erdoğan a pris le parti de Doha au point d’y installer une base militaire.
Des ambitions à 360°?
Pour Atatürk, la priorité était de libérer la Turquie moderne de la sujétion imposée par les puissances à l’Empire ottoman. En voulant en faire un pays européen comme les autres, il a mené une politique étrangère prudente. Son attitude a été suivie par ses successeurs, qui se sont tenus en dehors de la guerre mondiale jusqu’en mars 1945.
Ensuite, le basculement du monde dans la guerre froide et les revendications de Staline ont jeté la Turquie dans le camp occidental. Sous la pression directe de l’URSS et de ses alliés du Pacte de Varsovie au nord, confrontée à des régimes arabes prosoviétiques au sud, la Turquie dépendait exclusivement d’un allié puissant, mais lointain. Marquée par les obsessions sécuritaires de ses militaires, bien placés pour les dicter à des gouvernements civils fragiles, sa politique étrangère est devenue un sous-produit de son engagement dans l’OTAN.
Par ailleurs, le postulat nationaliste, qui remonte aux Jeunes-Turcs, s’est maintenu au point d’entraver l’amélioration des relations de voisinage. Forte de l’appui de Washington, l’oligarchie militaire n’a fait aucun effort pour mieux s’insérer dans son environnement régional, en menant des politiques de confrontation en mer Égée avec la Grèce (pourtant son partenaire de l’OTAN) et à Chypre (invasion du nord de l’île en 1974). Avec les pays arabes, les relations sont restées froides, sinon hostiles.
Au cours des années 1990, la Turquie a maintenu son positionnement atlantiste, tout en prenant quelques initiatives : développement de la coopération dans le bassin de la mer Noire (BSEC), rapprochement avec l’Azerbaïdjan et les pays turcophones d’Asie centrale.
Elle souhaite maintenant exploiter pleinement sa centralité géographique, en développant une politique étrangère à 360°. Il lui faut pour cela avoir « zero problem with neighbours » (Davutoğlu), un objectif qui aurait pu compléter utilement la dominante pro-européenne et atlantique antérieure et ouvrir à la Turquie de vastes espaces, en nouant des relations apaisées avec l’intégralité de son voisinage et même au-delà.
Mais ces ambitions s’insèrent dans une idéologie panislamiste qui contrarie les objectifs géopolitiques. L’opinion arabe a de la Turquie une image défavorable et ses gouvernements n’acceptent pas sa prétention à « guider » l’islam sunnite. Le développement des rivalités entre chiites et sunnites et à l’intérieur de ce dernier groupement, la franche hostilité entre pro-Frères (la Turquie, le Qatar, le Hamas) et anti-Frères (l’Arabie saoudite, les Émirats, l’Égypte) aurait plutôt isolé Ankara.
Un isolement croissant
Il n’est donc pas surprenant qu’au niveau de la mise en œuvre, les résultats ne soient pas à la hauteur des espérances. Faute de place, on se limitera ici aux relations avec les pays occidentaux.
À force de répéter que la Turquie est pour eux une « alliée indispensable », alors qu’ils vont devoir s’en passer, le Pentagone et le Département d’État ont intoxiqué leurs autorités, à la grande satisfaction d’Erdogan. Pour les stratèges américains, ce qui importe le plus est la position géopolitique de la Turquie, qu’il ne faut à aucun prix laisser partir dans l’orbite de la Russie. Ils en concluent que son maintien dans l’OTAN est vital, en dépit des foucades de son président. Plus récemment, les turcophiles ont trouvé un autre argument en préconisant de soutenir Erdoğan comme alternative au chaos, tout en reconnaissant qu’il en est en grande partie responsable. Celui-ci en conclut qu’il peut continuer à exercer sa « capacité de nuisance » jusqu’au point de rupture, puisqu’il rencontre toujours, quoi qu’il fasse, des oreilles complaisantes à Washington. Aussi le chantage turc a-t-il encore de beaux jours devant lui, avec les risques qui pèsent sur la base américaine d’İncirlik et ses armes nucléaires.
En fait, depuis 2016, l’armée turque a perdu une partie de sa valeur militaire, que les recrutements d’islamistes et la lutte contre la guérilla kurde ne vont pas accroître. Les purges ont affecté en priorité les cercles militaires les plus atlantistes et les plus qualifiés. Les prétentions de la Turquie à se doter d’une industrie militaire indépendante en 2023 sont qualifiées de « fausses promesses, ambitions irréalistes et financièrement irresponsables » (Caglar Kurc et Sélim Sazak, « Turkey Potemkin Defence Industry », Defense One, 15 août 2017), car ses productions sont obsolètes et ses importations de matériel neuf sous embargo des états-Unis.
Après une tentative avortée d’achat de missiles à la Chine, la commande de missiles S-400 à la Russie apparaît comme une décision politique coûteuse (2,5 milliards de $), sans justification technique crédible (ils ne sont pas compatibles avec les systèmes OTAN), en violation des sanctions décidées par le Congrès américain. La Turquie prétend bénéficier de transferts de technologie, mais les Russes ne vont pas partager leurs secrets militaires avec un pays toujours membre de l’Alliance atlantique.
A plus long terme, la politique de défense d’Ankara soulève des interrogations encore plus sérieuses. Sera-t-elle capable de résister à la tentation nucléaire, qui sera bientôt à sa portée comme l’a montré l’exemple iranien. Des imams proches de l’AKP (Hayrettin Karaman) revendiquent pour leur pays le droit de se doter de l’arme nucléaire comme le Pakistan. Dans cette région combustible, où abondent les autocrates irresponsables, le risque de prolifération et surtout d’emploi de l’arme nucléaire n’est pas minime : au lieu de se limiter à la dissuasion, les nouvelles puissances nucléaires pourraient se livrer à des opérations d’intimidation qui déboucheraient, tôt ou tard, sur un emploi effectif de ces armes.
Au siège de l’OTAN à Bruxelles, les manifestations de mauvaise humeur d’Ankara ne se comptent plus. Elles portent atteinte à la cohérence, sinon à la crédibilité de l’Alliance. Essentielle dans une alliance militaire, la confiance a disparu. De facto, on s’achemine vers une coopération ponctuelle et révisable, ce qui n’est pas adapté aux besoins d’une organisation de défense basée sur la crédibilité de l’article 5 du traité OTAN, qui oblige les membres de l’Alliance à se porter secours en cas d’attaque. Avec une gestion plus ferme des relations, on pourrait voir Ankara se montrer plus conciliant, ce qui déboucherait sur une détente par l’acceptation d’une solution à Chypre en échange d’un accès au gaz israélien (Léviathan), éventuellement une attitude plus constructive en Syrie, où la Turquie a plutôt jeté de l’huile sur le feu.
Avec l’UE, on ne va pas retracer ici l’histoire tortueuse de la candidature turque, initiée en 1963, déposée en 1987, rejetée en 1989 et 1997, puis acceptée en 1999 pour déboucher en 2005 sur une négociation biaisée qui n’a donné aucun résultat concret. Depuis la conclusion d’une union douanière en 1996, le marché turc est ouvert aux exportations européennes, ce qui dispense les États membres de souhaiter aller plus loin, toute avancée ne pouvant qu’accroître les dépenses du budget communautaire en faveur d’Ankara.
De son côté, la Turquie, avant comme après 2002, a montré une volonté persistante à refuser les critères politiques de Copenhague. Depuis 2016, le maintien d’un régime d’exception rend la négociation sans objet, même si personne n’est encore décidé à signer son « certificat de décès », qui implique un accord à l’unanimité.
Pendant longtemps, sous la pression des États-Unis, les Européens ont fait preuve d’une assez grande patience, sinon de complaisance, en dépit des violations du droit international à Chypre (nettoyage ethnique et maintien de l’occupation militaire) et de la persistance de la tension en mer Égée. En 2015, le chantage d’Erdoğan a même conduit l’Allemagne à accepter un accord pour retenir les migrants. Cependant, les relations restent conflictuelles : aux polémiques avec la Grèce et Chypre (devenu un état membre en 2004) se sont ajoutées celles avec l’Allemagne et les Pays-Bas.
Comme avec d’autres pays du Moyen-Orient, la conditionnalité politique est impraticable. La coopération contre le terrorisme, que la Turquie facilite et réprime en même temps, ne peut être que ponctuelle. Reste à assurer le maintien d’un régime des échanges favorable aux deux parties. Un peu plus de fermeté est possible en utilisant les moyens de rétorsion dont dispose l’UE (80% des investissements étrangers en Turquie viennent d’Europe), jusqu’aux sanctions sélectives comme a bien su le faire la Russie.
Les turcophiles qui subsistent dans les instances européennes et dans certains états membres espèrent qu’une défaite d’Erdoğan en 2019 pourrait inverser le processus. En fait, la dérive est plus profonde : les objectifs eurasiatiques de la nouvelle politique turque ont une logique qui pourrait bien se maintenir après le départ de l’ombrageux président. La Turquie a pris goût à une politique conforme à sa géographie, qui n’est pas celle d’un pays atlantique. Elle va rester un pays politiquement orienté vers d’autres directions, trop périphérique pour se soumettre aux disciplines d’une Union qui aura entretemps accentué sa dimension politique. Aux Européens de la traiter pour ce qu’elle est et non pour ce qu’ils voudraient qu’elle soit.
Au Moyen Orient, servie par ses succès commerciaux, la nouvelle Turquie veut exercer une influence régionale, au nom de son héritage ottoman et de la solidarité islamique. Nous ne reviendrons pas sur les effets de cette politique, particulièrement désastreux en Syrie, déjà traitée dans Telos (voir « Fiasco en Syrie », 4 mars 2016).
La Turquie apparaît maintenant comme la principale perdante de toute la tragédie. Même la tentative de conciliation avec la Russie et l’Iran apparaît comme une contrainte, en dépit de son invasion du nord de la Syrie en janvier 2018 : « plus Erdogan agite les rues avec sa rhétorique pro-sunniste, pro-Frères musulmans, pro-Hamas et plus la Turquie perd du terrain dans la région où elle avait l’ambition initiale d’être un ‘key player’ » (Semih Idiz).
Plus globalement, bien qu’il ne soit pas entièrement attribuable aux islamistes, l’objectif de « zero problem with neighbours » aujourd’hui qualifié d’« only problems » est un échec complet. La valorisation à 360° de la Turquie impliquait de mettre la priorité sur cet objectif, ce qui avait quelques chances de succès, notamment dans le secteur énergétique : s’il ne dispose pas de beaucoup de ressources, le quadrilatère anatolien peut exercer une fonction de transit, s’il se ménage de bonnes relations avec ses voisins, mais le gouvernement AKP a fait tout le contraire.
Pour un pays de taille moyenne comme la Turquie, la mondialisation offre des opportunités nouvelles : au-delà de ses succès commerciaux, elle veut en obtenir des retombées politiques. Comme d’autres pays, mais bien davantage que dans le passé, elle développe son influence à travers la Turcophonie (les minorités turques à l’étranger, le rapprochement avec les pays de sa famille linguistique), la promotion de l’islam, au moyen des réseaux construits par sa diplomatie et Turkish airlines.
Dans la pratique, ces interventions ne sont pas exemptes de critiques.
Comme on a pu le constater en Bulgarie ou à Chypre, la manipulation des minorités turcophones à l’étranger est ancienne. En étendant sa sollicitude aux Tatars de Crimée et aux Ouigours du Sin-Kiang, la Turquie a éveillé la méfiance de la Russie et de la Chine. Si elles ont initialement bien accueilli les offres d’Ankara, les nouvelles républiques d’Asie centrale ont dû préciser qu’elles ne souhaitaient pas remplacer le « grand frère » russe par un autre. En fait, des initiatives maladroites ont suscité l’inquiétude des pays concernés.
De même, lors du référendum de 2017, si la mobilisation des diasporas européennes par l’AKP a produit de bons résultats électoraux, plusieurs gouvernements s’interrogent maintenant sur la loyauté des communautés turques et sur les mesures à prendre pour s’en assurer. En France, l’assassinat en 2013 de trois personnalités kurdes, attribuée aux services secrets d’Ankara, avait déjà éveillé l’attention.
La propagande turque utilise le Diyanet, (présidence des Affaires religieuses), dotée d’une direction internationale avec de gros moyens, et les attachés religieux dans ses ambassades (c’est pourquoi la Bulgarie a expulsé le sien). Depuis 2016, elle fait davantage en mettant ce réseau au service du parti au pouvoir. L’Allemagne et ses voisins se préoccupent des activités des « imams-espions », que leur situation d’employés du gouvernement place dans la dépendance d’Ankara et du lancement (notamment à Strasbourg) de programmes destinés aux immigrés de la deuxième génération.
Quelles perspectives?
Compte tenu de la situation géographique de la Turquie, il n’est pas évident de développer une politique pan-sunnite quand on est entouré par neuf pays, dont cinq sont chrétiens (Bulgarie, Grèce, Chypre, Géorgie et Arménie), trois chiites (Iran, Irak, Azerbaïdjan), un seul étant sunnite, mais gouverné par un clan alaouite. Non seulement persiste l’incapacité ancienne et persistante de la Turquie à se doter de relations de voisinage apaisées, mais sa dérive sectaire réduit encore davantage le cercle de ses amis.
Qualifié de « precious loneliness » par Davutoğlu en référence au « splendide isolement » britannique de l’époque victorienne, la solitude turque est le résultat d’une politique excessivement ambitieuse dans ses objectifs et terriblement maladroite dans ses pratiques : incapacité à faire des compromis, tendance à prendre parti au lieu de se poser en médiateur.
Ce n’est pas la première fois qu’un pays mène une politique étrangère contraire à ses intérêts nationaux : il n’est pas nécessaire de remonter très loin dans l’histoire pour constater qu’en Turquie comme ailleurs, l’idéologie et la politique étrangère ne font pas bon ménage : les jeunes Turcs en ont fait une démonstration particulièrement éclairante avec l’exaltation du panturquisme et une alliance fatale avec l’Allemagne impériale, qui a conduit à la disparition de l’Empire ottoman. Mais l’AKP et son leader ont la mémoire courte : ils ont oublié les échecs d’Enver pacha et son destin tragique.
Des observateurs prônent la patience, en espérant qu’Erdoğan développe lui-même des forces qui lui feront perdre le pouvoir. Le cas échéant, si la démocratie est restaurée, il faudra faire un effort de créativité à Washington et à Bruxelles pour définir une nouvelle politique. À moins de relancer la dynamique d’adhésion, désormais exclue par les opinions publiques européennes, comment faire de la Turquie un pays associé, comme les autres « grands » de la périphérie (la Russie, le Royaume-Uni après le Brexit) qui n’ont pas vocation à aller plus loin que le libre-échange ou le marché unique ?
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