Ukraine : la clarification n'a pas eu lieu edit
Après la défection de certains de ses députés et de ceux du bloc Timochenko, le Président Iouchtchenko avait décidé, en avril 2007, de la tenue d'élections législatives. Après des mois de crise politique, on attendait davantage de clarté à l'issue des élections du 30 septembre 2007. Or, force est de constater qu'il n'en est rien.
Le corps électoral ukrainien était appelé à renouveler ses 450 députés selon le mode du scrutin proportionnel. Les trois principaux protagonistes sont connus de longue date : le Président Iouchtchenko, la pasionaria Ioulia Timochenko et le Premier ministre Ianoukovitch forment l'ossature du jeu politique ukrainien, accompagnés de quelques partis minoritaires mais susceptibles de franchir le seuil des 3% (le parti socialiste de Moroz, le parti communiste et le bloc Litvine).
Lorsque la " Révolution orange " éclate en 2004, c'est ensemble qu'Iouchtchenko et Timochenko triomphent sur Maïdan, la place de l'indépendance, à Kiev. Le premier devient alors Président tandis que la seconde obtient le poste de Premier ministre. La coalition qui a permis de l'emporter doit cependant assez vite afficher des divergences, aussi bien en termes de rivalités politiques (Timochenko contre le chef du Conseil de sécurité, l'oligarque Porochenko) qu'en matière de politique économique, tiraillée entre le dirigisme de Timochenko (favorable à des re-privatisations massives) et les politiques d'inspiration plus libérales du Président. C'est en septembre 2005 qu'intervient la " cassure " au sein de la coalition orange, après plusieurs mois de divisions internes : Iouchtchenko renvoie alors Timochenko de son poste, la remplaçant par un technocrate moins connu, Iouri Iekhanourov, qui a dû essuyer la crise du gaz de janvier 2006 avec la Russie.
Lorsque surviennent les législatives de mars 2006, le Parti des régions de Ianoukovitch arrive en tête (32%) devant le Bloc Timochenko (22%) et le parti présidentiel (14%), mais la coalition orange ne parvient pas à se reformer en raison de tensions internes. Après plusieurs mois de tergiversations autour de l'attribution des portefeuilles ministériels, le parti socialiste de Moroz fait finalement défection au camp orange ; il rejoint le Parti des régions et les communistes, qui forment alors un gouvernement, repoussant Timochenko dans l'opposition et conduisant Iouchtchenko à une cohabitation forcée. La " révolution " a ainsi effectué un tour complet, selon la signification première du mot - Ianoukovitch retrouvant le poste de Premier ministre qu'il avait quitté en 2004...
Les élections de septembre 2007 devaient constituer le troisième épisode du cycle ouvert par la " Révolution orange ". La campagne a essentiellement porté sur des questions internes, à savoir le niveau de vie et la lutte contre la corruption, plutôt que sur des sujets stratégiques (quelles relations avec la Russie, l'UE et l'Otan) et identitaires (le statut de la langue russe). Les résultats définitifs du scrutin ont mis plusieurs jours à arriver - ce qui a alimenté une polémique autour d'éventuelles fraudes. La grande surprise du scrutin est venue de la performance du bloc Timochenko, qui, contre toute attente, a dépassé les 30%. Son déplacement politique vers le centre-droit (elle s'est rapprochée du Parti populaire européen) et une bonne campagne ont été payants. Si elle est toujours devancée par le Parti des régions, qui obtient 34%, elle arrive toutefois bien loin devant le parti Notre Ukraine - autodéfense de Viktor Iouchtchenko (14%), dont le score est resté quasi inchangé. Par rapport au précédent scrutin, on note le maintien du parti communiste, le retour du bloc Litvine (du nom de l'ancien Président du Parlement) et le fait que les socialistes n'ont pas atteint les 3% fatidiques, ce qui fait qu'ils ne seront pas représentés au Parlement.
Les premiers résultats du scrutin nous permettent de tirer deux principaux enseignements pour les deux années avant l'élection présidentielle.
En premier lieu, la tendance dyarchique - ou existence d'un exécutif bicéphale - du système politique ukrainien, installée à la suite de la réforme constitutionnelle adoptée en pleine " Révolution orange " entre Président et Premier ministre, ne risque pas de s'affaiblir. Au contraire, la relative faiblesse du parti présidentiel fait que Viktor Iouchtchenko doit composer avec son Premier ministre ; la cohabitation avec Ianoukovitch n'était pas, de ce point de vue, la garantie d'une grande stabilité. Les deux hommes se sont affrontés plusieurs fois en matière de politique étrangère, notamment à propos de l'appartenance à l'Otan, véritable pomme de discorde en Ukraine.
En second lieu, rien ne garantit qu'un gouvernement composé des forces de Timochenko et de Viktor Iouchtchenko arrive à meilleur port que lors de leur première collaboration ; en effet, les deux protagonistes, qui doivent passer outre les récriminations réciproques, s'avèrent également les principaux rivaux pour l'élection présidentielle prévue en 2009-2010. De ce fait, Timochenko pourrait fort bien refuser de prendre part au prochain gouvernement afin de se réserver pour les prochaines présidentielles, mais il lui faudrait alors en rejeter la faute sur le Président. C'est pour cette raison que de nombreuses spéculations couraient avant le scrutin sur une possible alliance entre Ianoukovitch et Iouchtchenko, afin de former un gouvernement dit " d'unité nationale ". Cette idée d'une participation de Viktor Ianoukovitch est même ressortie le mercredi suivant le scrutin (3 octobre), lorsque le Président Iouchtchenko a proposé une grande alliance nationale - sachant que Gazprom réclamait déjà un règlement des dettes ukrainiennes à son égard (1,3 milliards de dollars). Timochenko, très hostile à cette idée d'alliance (elle préférerait rester dans l'opposition plutôt que de travailler avec le parti des régions), passe en outre pour être très critique vis-à-vis des intérêts de la firme étatisée russe.
Le lien n'est sans doute pas très difficile à établir, et il faudra suivre de près les relations entre Moscou et Kiev dans les mois à suivre. Une chose est sûre : l'Ukraine, en dépit de son dynamisme économique (plus de 8% de croissance en 2006) n'est pas encore sortie de ses contradictions politiques.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)