Après les migrants sociaux, les migrants environnementaux? edit
Si l’on parle actuellement très abondamment en Europe de la « crise des migrants », au regard principalement des problématiques géopolitiques contemporaines, le thème des migrations environnementales (qui ne seraient, en première approche, ni économiques ni politiques) prend de l’essor.
Au cours des dernières années, des catastrophes naturelles, des événements climatiques extrêmes et leurs conséquences ont entraîné d’importants mouvements de population. Certaines perspectives, plus ou moins documentées, plus ou moins alarmistes, annonçant des catastrophes plus fréquentes et des changements progressifs mais radicaux (comme l’élévation du niveau de la mer) font craindre de massives migrations « environnementales » ou « climatiques ». Devant un problème potentiellement gigantesque, il faut d’abord mettre un peu d’ordre dans les idées et dans les données.
Voici donc un atlas essentiel pour tous ceux qui s’intéressent, d’une part, aux catastrophes naturelles et à la lente dégradation environnementale, et, d’autre part, aux migrations de populations, tant à l’échelle internationale qu’aux diverses échelles infranationales. C’est dire l’envergure du projet qui a impliqué une centaine d’experts, sous la conduite de Dina Ionesco et Daria Mokhnacheva, deux spécialistes de l’Organisation internationale des migrations (OMI), et de François Gemenne, chercheur en science politique à Liège et à Sciences Po. Relativisant les frontières entre réfugiés politiques et migrants économiques, les auteurs s’intéressent aux migrants environnementaux. Sachant que, comme tout motif de migration, il n’est jamais évident de distinguer absolument les dimensions choisies ou subies des départs.
Le sujet n’est pas forcément neuf (les auteurs évoquent le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 ou encore l’invasion des Huns rendue possible par le gel du Rhin) mais il devient un enjeu politique majeur, pour des interrogations, des exagérations, des prises de position, des réactions. Un peu de clarté et de rigueur s’impose donc.
Le contenu de l’ouvrage, nourri des données les plus solides disponibles (qui ont aussi leurs faiblesses, mais c’est une autre histoire), permet, d’abord, de faire un point statistique sur la question générale des migrations. Dans le monde, selon les Nations unies, 763 millions de personnes (soit un humain sur dix), vivent dans leur pays mais en dehors de leur région natale. Elles comptent parmi les migrants, au sens très large. Toujours comptant parmi les migrants, mais de façon plus évidente, 232 autres millions de personnes vivent en dehors de leur pays de naissance ou de citoyenneté. Ce sont les migrants internationaux. Au total c’est environ 1 milliard de personnes, soit un humain sur sept, qui sauraient être recensées comme « migrants ». Sur ce milliard, 28 millions sont des réfugiés, au sens juridique du terme. 2 sont des demandeurs d’asile. Sur le plan de l’environnement, un chiffre provient du décompte, en moyenne chaque année, de plus de 26 millions de personnes déplacées en raison de catastrophes soudaines.
Quant aux « couloirs de la migration internationale », les études indiquent que les mouvements Sud-Sud (d’un pays en développement à un autre) sont aussi importants que les mouvements Sud-Nord (d’un pays en développement à un pays développé). Si, en valeur absolue, les migrants quittent en plus grand nombre les pays en développement (qui sont plus peuplés), les personnes originaires de pays développés sont proportionnellement plus susceptibles d’émigrer. Notons, en incise, que les termes de migrants et d’immigrés, au moins dans le vocabulaire politique français, sont plus prompts à désigner des personnes du Sud. Pour ce qui a trait aux ressortissants de pays du Nord quittant leur pays pour une autre nation développée ou pour un pays en développement, on parlera plus volontiers d’expatriés. La sémantique a toujours son importance.
Au sujet des « migrations environnementales », les expressions comme « réfugiés écologiques », « réfugiés environnementaux » ou « réfugiés climatiques », sont de plus en plus souvent employées. Une telle façon de qualifier les migrants semble inappropriée dans la mesure où le parallèle implicitement établi avec les « réfugiés politiques » n’a pas vraiment de fondement. Ces derniers peuvent prétendre à un statut juridique défini par la convention de Genève de 1951, ce qui n’est nullement le cas des individus et familles quittant un lieu trop dégradé sur le plan environnemental pour que la vie y reste possible ou parce que le changement climatique les contraint à partir.
En l’absence de définition légale ou de simple convention statistique, il n’existe aucun moyen de bien savoir de quoi et de qui on parle. Doit-on uniquement parler des 26 millions de personnes déplacées, en moyenne chaque année, en raison de catastrophes naturelles ? Doit-on, mais alors comment les recenser, compter également les victimes non pas de catastrophes mais de dégradations progressives ? Il est probablement préférable, à ce stade, de ne pas donner de chiffres globaux.
Malgré cette impossibilité actuelle de bien délimiter ce dont il s’agit, des projections, parfois hautement fantaisistes, évoquent des chiffres précis. Il en irait ainsi de 200 millions de migrants environnementaux déplacés d’ici 2050. De rapport en rapport, ces prédictions, prises pour argent comptant, viennent alimenter le débat public. De tels chiffrages ont l’intérêt de placer la question sur l’agenda politique. Mais ils ne reposent pas sur une méthodologie robuste. Il vaut mieux étudier, pour le moment, cas par cas, région par région, catastrophe par catastrophe, contexte par contexte. Il s’ensuit un palmarès, un rien morbide, des pays les plus affectés. Si l’on rapporte le nombre relatif de personnes déplacées par rapport à la population totale, les Philippines, Haïti, Cuba, le Chili, le Sri Lanka, le Pakistan, la Colombie sont en tête. Un autre palmarès classe les types de catastrophes naturelles. Celles qui conduisent aux déplacements les plus conséquents sont, par ordre décroisant, les inondations, les tempêtes, les tremblements de terre, les vagues de froid.
L’environnement ne suscite pas uniquement l’exode ! Il est également facteur d’attraction et de « migrations de confort », pour les touristes et retraités. Il en va ainsi de migrations climatiques saisonnières ou définitives, particulièrement pour les plus aisés des pays riches. Symétriquement, les moins favorisés disposent des ressources les plus limitées pour partir lorsque ceci pourrait s’avérer nécessaire. Ils sont parfois, comme l’écrivent les auteurs, « piégés ». Au total, les motifs de toute migration tout comme les vulnérabilités face aux changements environnementaux ne procèdent jamais d’une seule logique, mais d’une combinaison. En ce sens les migrations environnementales présentent toujours des dimensions économiques et politiques.
Dina Ionesco, Daria Mokhnacheva, François Gemenne, Atlas des migrations environnementales, Paris, Presses de Sciences Po, 216, 151 pages, 24 euros.
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