Jacob, DSK et la vraie France edit
Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, vient de disqualifier la candidature de DSK à la présidentielle avec les phrases suivantes : DSK n’est « pas l’image de la France, l’image de la France rurale, l’image de la France des terroirs et des territoires, celle qu’on aime bien, celle à laquelle je suis attaché », Et il a enfoncé le clou le lendemain ainsi : « Moi qui suis un rural, un paysan, je ne peux pas me reconnaître ni m’identifier à Dominique Strauss-Kahn. Il n’incarne pas le monde rural ».
Certaines critiques ont relevé de l’antisémitisme dans ces paroles. L’accusation d’antisémitisme est grave et il faut l’utiliser à bon escient. Christian Jacob n’a pas prononcé de paroles antisémites. Pour autant, son discours comporte une stigmatisation pour le moins équivoque. Certes, Jacob a été paysan et DSK ne l’a pas été. Qu’il ne se sente pas représenté par DSK en tant que paysan ou ancien paysan, c’est son affaire. Mais dans le clivage qu’il établit entre la vraie France, « celle qu’on aime », la France rurale, celle des « terroirs et des territoires » et l’autre – celle donc probablement qu’on aime pas – celle des villes où vivent les trois quarts des Français – il y a des relents d’une idéologie de droite que l’on pouvait espérer disparue, celle de Vichy lorsque Pétain en appelait, lui aussi à la France des terroirs, car « la terre, elle, ne ment pas », comme il le lança dans un de ses discours les plus célèbres.
En réalité, ici, l’objectif de la défense du monde rural est moins la condamnation du monde urbain que la mise en cause de ceux qui n’ont pas de terre à leurs souliers, pas de racines, les apatrides en quelque sorte. Et l’on sait qu’à Vichy, l’adoption dès 1940 du statut des juifs se fondait largement sur l’idée du caractère apatride de cette « race », même quand leurs parents s’étaient fait tuer dans nos guerres nationales.
Jacob, consciemment ou non, en expliquant que DSK n’est pas à l’image de la France car il n’a pas d’attaches rurales, renvoie à cette idée d’apatride et donc de juif, un citoyen de seconde zone car il n’a pas la pleine légitimité que donne d’anciennes racines terriennes. Voilà pourquoi ses paroles sont inadmissibles. Elles instillent l’idée que DSK n’est pas vraiment « comme nous ». Son éloignement à la tête d’une organisation internationale facilite ce discours. Couplé avec celui de Pierre Lellouche sur le super bobo, et le rappel insistant du riad de Marrakech, bref le riche, la judéité de Strauss Kahn est ainsi suggérée sans être ouvertement affirmée.
Telos a suffisamment critiqué l’anti-sarkozysme systématique de la gauche pour pouvoir ici critiquer un anti-strauss-kahnisme de droite qui fleure bon l’entre-deux-guerres dans son idéologie. Que le Premier ministre couvre Jacob en mettant en avant l’anti-strauss-kahnisme d’une partie de la gauche de la gauche est peut être de bonne guerre politique mais moralement condamnable. Ici, la gauche de la gauche et la droite se donnent la main pour dénoncer en réalité en DSK quelqu’un qui n’est « pas de chez nous », pas vraiment près du peuple. Quant Mélenchon condamne « l’affameur des peuples » il y a cette même vision d’une sorte d’apatride qui, à la tête d’une organisation elle-même apatride, martyrise les « vrais gens » par un chantage de nature financière. Pour Jacob, comme pour Mélenchon, DSK n’incarne pas la France. Il ne peut donc prétendre à la diriger. Pour l’instant, les sondages disent le contraire quels que soient les commentaires farfelus que l’on entend ici ou là. Certes, les choses peuvent évoluer et tout dépendra de la capacité de DSK lui-même à faire une bonne campagne. Mais si droite et gauche de la gauche accélèrent leurs critiques de DSK c’est qu’elles savent désormais qu’il sera candidat et qu’il risque fort de l’emporter. Dès lors, dans leur propagande politique, la question n’est pas de savoir si DSK pourrait être un bon président mais de montrer qu’il n’est pas vraiment un bon français, qu’il n’appartient pas à « la France qu’on aime ».
Le problème est que la France qu’ils aiment n’est pas nécessairement celle qui se donne tous les moyens de survivre dans le monde de demain. Un monde ouvert qui, certes, ne doit oublier ni la « France rurale » ni « la France qui souffre » – c’est parfois la même – mais qui doit regarder l’avenir, identifier nos faiblesses et tenter d’y remédier. Dans cette optique, DSK n’est pas le plus mal placé pour « faire le job », même s’il n’a pas beaucoup de bonne terre française à ses souliers !
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