La radio a-t-elle encore un avenir ? edit
Après avoir été relancée en avril dernier, la radio numérique terrestre (RNT) est à nouveau en sursis. Ce projet, présenté par le CSA comme « une révolution », ressemble à un véritable tango. Il pose une question essentielle : l’avenir de la radio.
Depuis 2005-2006, rapports d’experts, concertations des opérateurs et expérimentations n’ont pas manqué sur la RNT. Le lancement en avril 2012 d’un appel à candidatures pour des fréquences sur 20 zones à Marseille, Nice et Paris s’affirmait comme un déblocage et une étape décisive. Cette extension des possibilités de diffusion intéresse principalement les radios associatives, les radios indépendantes locales, et aussi Radio France, dont le caractère de service public implique une couverture nationale pour ses différents services. Or, selon des rumeurs, Radio France, à l’instigation de son actionnaire unique, l’Etat, envisagerait de ne pas préempter des fréquences dans le cadre de cet appel à candidature, affaiblissant considérablement les chances de succès de la RNT.
Ce retrait de la puissance publique sonne comme un désaveu de l’instance de régulation – dont tous les membres ont été nommés sous la droite. Il pourrait aussi être interprété comme un suivi par le gouvernement de la position des grands groupes radiophoniques privés qui ont toujours été hostiles au projet de RNT. Mais ces deux éclairages méritent d’être contredits par un autre : la radio est-elle un média d’avenir ?
Les chiffres sont éloquents. Ce média qui, plus que tout autre, se consomme sur un mode nomade, subit depuis quelques années un certain tassement : la durée d’écoute moyenne a diminué de cinq minutes entre 2010 et 2011. De surcroît, la baisse d’écoute est assez radicale chez les jeunes, et n’augmente vraiment que chez les plus de 65 ans ! Cette désaffection, toutefois, touche différemment les groupes radiophoniques : ainsi, depuis 2-3 ans, en terme d’audience, le groupe Radio-France, en particulier grâce à France-Inter et France-Culture, et le groupe des radios indépendantes locales progressent au détriment des grands groupes de radios privées (RTL, Lagardère et NRJ).
Les stations commerciales régionales et locales ont aujourd’hui le vent en poupe : elles représentent 17 % du parc de fréquences, 14 % de la durée d’écoute et 11 % du marché publicitaire radiophonique. Regroupées dans un syndicat, le SIRTI (Syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes), elles attendent avec impatience une possibilité d’extension de leur couverture, ou d’ouverture à de nouveaux formats et de nouveaux entrants, alors que le parc FM, qui a largement bénéficié aux grands groupes nationaux, est saturé. Depuis des années, elles ont déployé un lobbying très actif en faveur de la RNT : campagne « La Radio numérique pour tous » fin 2011 ; recours au Conseil d’Etat contre diverses décisions prises par le CSA pour retarder l’arrivée de la RNT ; mobilisation auprès de François Hollande, alors candidat, pour qu’il appuie ce dossier, promesse sur laquelle il s’est engagé, sans trop de précision. Elles ont d’ailleurs déposé de nombreuses candidatures à l’appel d’offre d’avril 2012 : 178 dossiers ont été déposés. Le SIRTI demande aussi, de la part des pouvoirs publics, la mise en place d’un plan en faveur de récepteurs mixtes RNT-FM, comme ce fut le cas pour les téléviseurs lors pour la TNT.
Pourtant, les deux rapports successifs commandés par les pouvoirs publics –celui de Marc Tessier en 2009, celui de David Kessler en 2011 – se révèlent circonspects quant à l’opportunité d’un tel projet. D’abord, la mise en place technique des réseaux est coûteuse : le rapport Tessier estime que le coût global des multiplexes à financer pour assurer la transition totale vers la RNT varie entre 126 millions d’euros et 188 millions en année pleine, dont environ 40 millions pour Radio France. En outre, comme l’indique le rapport Kessler, ce projet suppose l’augmentation des moyens publics alloués au Fonds de soutien à l’expression radiophonique pour les radios associatives qui souhaiteront une extension de couverture. Enfin, dans le contexte des années 2000 lors du lancement de la TNT, il suffisait d’acheter un décodeur à prix modéré pour recevoir les nouveaux programmes, alors que pour la radio il faudrait changer tout le parc des appareils ; le projet implique donc un effort financier de la part des ménages, qui, presque tous, des radios-réveils aux auto-radios, possèdent plusieurs postes.
Autre problème : le modèle économique de la RNT est grevé d’incertitudes, alors que le volume publicitaire de la radio tend à se contracter : 748 millions de recettes en 2011 contre 848 en 2006. Par ailleurs, alors que l’offre de télévision gratuite, avec 5 réseaux nationaux seulement pour 75 % des téléspectateurs, était fort modeste avant la TNT, l’offre radiophonique française via la FM, qui combine réseaux nationaux et réseaux locaux, est abondante, riche en formats, sans doute la plus diversifiée d’Europe. Certes, elle est inégale puisque les grands centres urbains sont bien mieux dotés que les zones rurales. Mais à l’heure d’internet chacun peut avoir accès à une gamme presque infinie de stations et de webradios émettant du monde entier, notamment des réseaux musicaux pour lesquels la question de la langue n’existe pas. Enfin, quelle place peut occuper la RNT face à la multitude des sites d’info en continu, face aux sites de musique en streaming, qui permettent à l’auditeur de personnaliser sa Play List, et de dialoguer avec d’autres internautes, le tout gratuitement aussi ? Le parallélisme des formes avec la TNT, formidable succès du paysage audiovisuel des années 2000, est une illusion pour toutes ces raisons auxquelles s’ajoute un élément supplémentaire majeur, bien souligné dans le rapport Kessler : alors que l’histoire de la télévision montre que celle-ci évolue par changements technologiques exclusifs, le noir et blanc puis la couleur, l’analogique puis le numérique, celle de la radio enseigne que différentes formes de diffusion se cumulent et ne s’excluent pas, cette démultiplication des réseaux entraînant, pour l’univers hertzien, celle du coût de leur installation, puis de leur entretien.
Le dossier de la RNT est à l’image d’autres dossiers qui concernent les médias anciens bousculés par Internet : incertain et à haut risque. En effet, aucune solution économique et technologique évidente ne s’impose, les réactions du marché sont imprévisibles – nul n’imaginait par exemple que les chaînes de la TNT gratuite auraient autant de succès –, les déséquilibres touchent davantage certains acteurs que d’autres. Dans un secteur aussi sensible que l’information et la culture, la manne de l’Etat est en premier lieu sollicitée pour accompagner ces changements. Dès lors le CSA ne peut défendre une voie que s’il se garantit le soutien de ce dernier qui investit dans les réseaux, et finance le contenu des médias associatifs et des médias publics. La RNT bénéficierait surtout à des radios locales publiques ou privées : est-ce un enjeu politique et industriel suffisant pour que le nouveau gouvernement s’engage dans de nouvelles dépenses, même vaguement promises ? Le fait que le conseiller de François Hollande pour l’audiovisuel, David Kessler, soit la même personne qui ait, il y a un an, signé un rapport très réservé sur la RNT, du type « il est urgent d’attendre » , accroît encore le pessimisme sur son avenir.
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