Les médias français n’ont pas de stratégie edit
L’assemblée générale de Vivendi, le 22 avril dernier, était attendue avec impatience par tous les observateurs des médias. Qu’allait dire son président Vincent Bolloré ? Allait-il enfin définir la politique de ce puissant groupe et de Canal Plus, son plus beau fleuron ?
En fait, la déception a été générale. On n’en sait pas beaucoup plus aujourd’hui sur ce que pourra faire Canal pour relever les multiples défis qui menacent sa survie et sur la possibilité de rectifier ce qu’un commentateur de BFM Business, Jamal Henni, appelle les « 7 erreurs de Vincent Bolloré ».
Ce cas n’est malheureusement pas unique. On s’interroge aussi sur ce que veulent faire Patrick Drahi et Xavier Niel, deux hommes qui ont pris récemment d’importantes responsabilités dans les medias mais dont les projets restent pour le moins obscurs. Alors que de grands groupes européens comme Springer, Schibsted ou Ringier se développent de manière dynamique et cohérente à l’international et dans le numérique, on a le sentiment que les groupes français hésitent à s’engager au-delà d’opérations financières fructueuses mais de portée limitée.
Vincent Bolloré illustre parfaitement ce cas de figure. Depuis son arrivée à la tête de Vivendi, il a surtout veillé à augmenter le dividende versé par cette société et dont il est le principal bénéficiaire. C’est ainsi que 6,75 milliards d’euros ont été versés à ce titre entre 2014 et 2015. Par ailleurs, il a fait procéder à du rachat d’actions à hauteur d’1,8 milliards d’euros, ce qui a eu comme conséquence d’augmenter mécaniquement sa part dans le groupe Vivendi sans que cela lui coûte rien.
En revanche, il s’est montré beaucoup plus économe quand il s’est agi d’investir dans Canal Plus pour aider la chaîne à péage à affronter la redoutable concurrence de Netflix dans la fiction et Bein Tv dans le sport. En septembre 2015, il a annoncé au personnel de la chaîne qu’il comptait investir 2 milliards d’euros dans les programmes. Cette annonce n’a malheureusement pas été suivie d’effet. Canal subit au contraire une cure d’austérité mettant en péril sa capacité à résister face à des concurrents dynamiques qui ont, au surplus récupéré des collaborateurs compétents que Bolloré a laissé partir. Au moment où Netflix lance sa série française Marseille avec Gérard Depardieu en vedette, on attend les initiatives de Canal Plus.
Il en va de même dans le sport. Mal conseillé par une équipe des sports qu’il avait entièrement renouvelée, Vincent Bolloré avait fait une proposition de rachat des droits de la Premier League britannique à 63 millions, un chiffre beaucoup trop faible, qui a permis à Drahi de surenchérir à 120 millions soit 360 millions sur trois ans et donc d’emporter un des plus beaux événements sportifs européens. Depuis, l’industriel recherche un partenariat avec Bein, la chaîne sportive qatarie qui est lourdement déficitaire et dont Canal pourrait assurer la distribution non exclusive. Cet accord, s’il voit le jour, devra être approuvé par l’Autorité de la concurrence qui en restreindra certainement la portée.
Les initiatives de Patrick Drahi, le nouveau venu dans le monde des médias, ne sont guère plus encourageantes. Celui-ci a d’abord manifesté son intention de devenir un important acteur du monde des télécommunications en rachetant SFR et plusieurs câblo-opérateurs américains. Depuis deux ans, il a repris successivement Libération, le groupe Express et devient majoritaire dans le groupe de médias d’Alain Weill (BFMTV, RMC).
Cette démarche n’a pas débouché jusqu’à présent sur une stratégie à long terme. Tout récemment, Drahi a annoncé que sa holding personnelle, Altice, vendait à SFR (qu’il contrôle) ses participations dans la presse et dans BFM TV pour un total d’environ 900 millions d’euros. Officiellement, cette opération a pour but de permettre à SFR d’allier l’offre télécom à des propositions en matière de presse et d’audiovisuel. Les abonnés de l’opérateur pourront donc avoir accès, à des conditions avantageuses, aux publications du groupe Express et à des chaînes consacrées aux sports et exploitant notamment les droits de la Premier League. Toutefois, il s’agit aussi et peut être surtout d’une habile manœuvre financière qui permet de renflouer un peu Altice, lourdement endettée, et de jouer sur les taux de TVA pesant sur les abonnements puisque la presse bénéficie d’un taux réduit.
En revanche, Drahi n’a pris aucune initiative pour rénover L’Express, Libération ou L’Etudiant qui ont vu fondre les effectifs de leurs rédactions respectives, ce qui a forcément une répercussion sur le contenu de ces publications. On ignore aussi comment il souhaite développer le groupe d’Alain Weill. BFM TV va subir une sévère concurrence dans le secteur de l’information, en raison du passage en clair de LCI et de l’arrivée de la chaîne de France Télévision. Pourtant le président d’Altice n’a rien révélé de ses projets face à un défi majeur.
Quand Xavier Niel est devenu l’actionnaire de référence du groupe le Monde, en 2010, beaucoup espéraient qu’il consacrerait une partie de son temps et de son énergie à aider la quotidien à développer dans le numérique une marque prestigieuse et reconnue hors de France.
Le patron de Free aurait pu s’inspirer d’un modèle aux Etats Unis. Quand Jeff Bezos, le propriétaire d’Amazon a racheté le Washington Post, ce quotidien souffrait des mêmes maux que le Monde. Son audience était en chute libre, sa rédaction démotivée et son site Internet était peu attractif. En quelques années, Bezos a su stopper l’hémorragie de la rédaction et redéfinir complétement la stratégie internet du journal en recrutant une importante équipe d’informaticiens de haut niveau. Le résultat a été spectaculaire. En octobre 2015, le Post a annoncé que pour la première fois, l’audience de son site dépassait celle du New York Times qui, depuis dix ans, a pourtant énormément investi dans sa politique numérique. On peut dire, sans exagérer, que Bezos a sauvé le Washington Post d’un déclin qui semblait inéluctable et qui risquait de conduire à sa disparition.
Niel n’a pas suivi cette voie. En refusant, comme ses associés Pierre Bergé et Mathieu Pigasse, de réinvestir dans le journal, il a contraint celui-ci à retarder de manière excessive les règlements de ses fournisseurs et à restreindre son effort dans le numérique. Avec moins de 100 000 abonnés à sa version numérique, le Monde n’a pas l’audience internationale, notamment dans les pays francophones, que son influence justifierait.
D’ailleurs, la décision de Niel et de Pigasse de créer un fonds d’investissement dans l’audiovisuel qui récolterait plusieurs centaines de millions d’euros, montre que le groupe le Monde, qui édite aussi Télérama et Courrier International et est associé à L’Obs, n’est plus une priorité stratégique pour ses actionnaires.
Ainsi, Bolloré, Drahi et Niel qui sont arrivés récemment, avec d’importants atouts financiers, dans le monde des médias n’ont pas manifesté de véritable intérêt pour ces entreprises. Celles-ci sont surtout apparues comme des instruments d’influence et comme le moyen de réaliser de fructueuses opérations financières. Pendant ce temps, des groupes de communication étrangers faisaient leur marché en France. Schibsted a racheté 50% du Bon Coin au groupe Sipa-Ouest-France et Springer a acquis successivement Seloger, Auféminin et la Centrale, ce qui conforte sa position de géant du numérique européen.
Il est tard mais sans doute pas trop tard pour constituer un groupe de communication français de taille européenne. Il faut espérer que la nouvelle génération de startups permettra l’arrivée de nouveaux acteurs qui réaliseront ce grand dessein.
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