Pourquoi a-t-on tant de mal à réformer l’école en France? edit
Le débat sur l’école s’est mal engagé en France. Les affrontements idéologiques et politiques ont pris le pas, comme souvent, sur une réflexion dépassionnée qui s’appuierait à la fois sur les expériences étrangères et sur les travaux des sciences sociales pour tenter de dégager des pistes d’amélioration d’un système éducatif qui, tout le monde en convient, ne fonctionne pas de manière optimale.
À gauche, on a agité inutilement des chiffons rouges en donnant le sentiment qu’on voulait écrêter par le haut, en supprimant des dispositifs qui fonctionnent au seul prétexte qu’ils pourraient être utilisés à leur profit par des jeunes de milieux favorisés. A droite, on s’est intellectuellement fourvoyé en s’opposant radicalement et sans nuance à une réforme dont certains aspects, une plus grande autonomie des collèges, allaient dans le sens de la liberté des acteurs.
Le débat sur le latin et le grec a atteint des sommets. Du côté des opposants à la réforme, la suppression des options a été présentée comme une catastrophe culturelle devant entraîner un abaissement général et irrémédiable du niveau. Du côté de la ministre, on répond en proposant de généraliser l’enseignement du latin de la 5e à la 3e ! Comme si cette idée était viable et surtout comme si elle allait permettre aux élèves qui ont déjà de grandes difficultés en français de s’améliorer.
Quelques principes simples et quelques idées tirées des réussites étrangères et des évaluations des sciences sociales devraient pourtant, sinon faire consensus, du moins permettre d’ouvrir un débat serein.
Une première idée, de bon sens, est de ne pas confondre équité et égalité. La thématique de l’égalité est omniprésente dans le discours gouvernemental. Mais en France, on attache trop d’importance à l’égalité formelle dont l’application aveugle renforce bien souvent l’inégalité au lieu de la réduire. La raison en est simple même si elle n’est pas forcément agréable à entendre : les élèves arrivent à l’école avec des capacités différentes et il est illusoire de penser que l’école peut à elle seule réduire ces différences. Si elle s’obstine à le faire et ayant un niveau d’exigence relativement élevé pour ne pas pénaliser les meilleurs, elle conduit inévitablement à l’échec une partie des élèves. L’objectif de l’école doit donc être plus modeste et plus pragmatique : il doit être d’une part de faire progresser chaque élève en fonction de ses capacités et de ses aspirations, d’autre part d’éviter que certains terminent la scolarité obligatoire sans avoir acquis les compétences de base qui permettent d’exercer utilement un rôle dans la société. Alors qu’elle affiche des ambitions élevées, force est de constater que l’école française ne parvient pas à satisfaire à ces exigences.
Ces principes conduisent à l’idée que le système éducatif doit être suffisamment souple et individualisé pour s’adapter à l’hétérogénéité des élèves qui n’a fait que s’accroître avec la massification scolaire. Ces idées ne sont pas nouvelles, elles ont inspiré bon nombre de rapports, par exemple l’excellent rapport Thélot qui date de 1992 ! Concrètement cela veut dire qu’il faut éviter les orientations trop précoces et les filières tubulaires et rigides. Les élèves doivent avoir le droit de tâtonner, de se tromper éventuellement dans leur orientation sans que cela soit assimilé à un échec. Ils doivent aussi avoir le droit de choisir. Il faut donc éviter de les engager trop précocement dans des filières étroites qui les enferment dans une définition professionnelle dont il est difficile de s’extraire s’ils se rendent compte qu’elle ne correspond pas à leurs vœux. Il y a en France près d’une cinquantaine de spécialités de BEP contre 9 beaucoup plus généralistes dans la voie professionnelle d’un pays comme la Norvège.
Une deuxième idée de bon sens est de porter une plus grande attention qu’on ne le fait aujourd’hui à la qualité de l’éducation. Beaucoup de travaux dans la recherche internationale en sciences sociales (comme ceux d’Eric Hanusehk) ont montré par exemple que la qualité des enseignants était un facteur décisif de la réussite des élèves. La formation des professeurs et l’évaluation des enseignants et des établissements sont donc des enjeux capitaux, négligés dans notre pays, pour améliorer les performances du système éducatif. Enseigner est un métier qui s’apprend et pas seulement du point de vue des connaissances académiques, mais aussi des capacités pédagogiques. Dans beaucoup de pays scandinaves la formation pédagogique représente la moitié du temps de formation des enseignants. En France malheureusement, cette question a été totalement polluée par des polémiques stériles sur certaines dérives dont les IUFM s’étaient fait une spécialité. Mais il y a de la bonne et de la mauvaise pédagogie. Le bon sens doit conduire à admettre qu’enseigner n’est pas forcément une compétence innée et que certaines techniques sont utiles à acquérir.
Une troisième idée est qu’il faut absolument renforcer les compétences de base : savoir s’exprimer oralement, savoir lire, savoir écrire, savoir compter et sans doute aujourd’hui savoir utiliser internet. Cela est d’autant plus urgent que les enquêtes PISA ont montré que ces compétences se détérioraient ces dernières années chez les élèves les plus faibles. L’acquisition de ces connaissances et compétences fait partie du « socle commun de compétences et de connaissances » introduit en 2005 au collège. Mais son introduction a rencontré énormément de résistances parce qu’elle a été vécue par bon nombre d’enseignants comme un empiétement sur le pré carré disciplinaire. Encore aujourd’hui il est loin d’être sûr que ces résistances aient été surmontées. Par ailleurs, les travaux des psychologues ont montré que, sur le plan des connaissances cognitives, les choses se jouent très tôt dans la vie et que le retard pris dans les premières années est très difficile à combler. C’est donc plus encore à l’école primaire qu’au collège que se forgent les inégalités de réussite et c’est là qu’il faut agir en priorité.
Une quatrième idée est que dans la réussite (scolaire, professionnelle et plus largement en termes d’intégration) les compétences sociales et les traits de personnalité sont aussi importants que les compétences cognitives (comme l’ont montré les travaux de James Heckman à la frontière de la psychologie et de l’économie). Les capacités cognitives, on l’a dit, s’acquièrent très tôt dans la vie. Les compétences sociales sont plus malléables. Elles consistent par exemple à parvenir à être consciencieux dans son travail, à savoir interagir avec les autres, à parvenir à contrôler ses émotions. Or traditionnellement en France, on considère que c’est aux familles qu’il revient de transmettre ces compétences. Le malheur est que certaines d’entre elles ne le font pas ou le font mal. Si l’on vise l’équité, l’école ne devrait donc pas renoncer à combler ce déficit. L’acquisition de ces compétences sociales fait d’ailleurs partie du curriculum de pays qui ont de bons résultats en matière éducative. Ce point est important pour une autre raison. Les métiers peu qualifiés ont changé de nature. Ce sont moins souvent des métiers industriels et plus souvent des métiers de services (notamment de service à la personne) dans lesquels les qualités relationnelles jouent un grand rôle.
Une dernière idée, sans doute plus controversée, est d’accorder plus d’autonomie aux établissements scolaires dans l’application des programmes et même le recrutement de leurs professeurs. Ce principe appliqué dans bon nombre de pays scandinaves est encore fois frappé du coin du bon sens : s’il est nécessaire que les grandes lignes du curriculum soient fixées au niveau national, il est plus efficace de laisser une marge d’autonomie aux acteurs de terrain pour l’adapter aux particularités locales. Ce principe peut renforcer également la motivation et l’implication collective des acteurs. La contrepartie de cette autonomie est l’exigence d’une plus grande responsabilité des acteurs locaux. Si l’on prend à nouveau l’exemple de la Norvège, les établissements sont tenus de suivre et de prendre en charge les éventuels « décrocheurs » et ils ont des comptes à rendre à ce sujet.
Une application de ce principe a été mise en œuvre aux Etats-Unis par Barak Obama avec les « charters schools » qui sont des écoles financées sur fonds publics mais fondées à l’initiative d’enseignants ou de parents d’élèves particulièrement motivés dans des quartiers défavorisés et qui disposent d’une très grande liberté dans l’application de leurs programmes et le recrutement de leurs professeurs. Simplement ces écoles, dégagées de toute tutelle administrative, doivent établir une charte présentant des objectifs ambitieux et elles sont évaluées rigoureusement sur leurs résultats. Un beau programme pour les quartiers sensibles dans notre pays, non?
Pourquoi ces principes, dont certains au moins devraient faire consensus, sont en grande partie restés lettre morte en France ? Le conservatisme d’une grande partie du corps enseignant et des principaux syndicats qui le représentent est certainement une raison importante. Mais elle ne suffit pas à expliquer cette inertie politique. Celle-ci a probablement des racines plus profondes, au cœur même de la société française. Derrière le paravent de l’égalité formelle, constamment mise en avant en France, se cachent des stratégies bien réelles qui contribuent à la perpétuation du système.
Tout d’abord, si le système éducatif français, pris dans son ensemble, est peu performant, il n’en est pas de même si l’on considère les filières d’excellence. Celles-ci sont réputées (les grandes écoles de commerce française par exemple sont considérées comme les meilleures d’Europe) et forment des étudiants très performants qu’on s’arrache partout en Europe (à la City de Londres notamment). Et il faut bien dire que ces filières contribuent sans nul doute à la reproduction sociale des élites. Sans être un bourdieusien acharné, on peut reconnaître que ce Bourdieu écrivait dans La Noblesse d’État à ce sujet vise juste. Or l’élitisme français qui irradie à tous les niveaux du système scolaire une conception extrêmement sélective de l’éducation, trouve son fondement dans cette architecture à la pointe de laquelle se trouvent les grandes écoles. Une conception plus inclusive de l’école devrait donc, à tout le moins, repenser cette architecture. Il est probable que les élites aux commandes sont peu allantes à ce sujet.
Mais au-delà, les classes moyennes elles-mêmes mettent en œuvre des stratégies éducatives pour leurs enfants qui visent bien souvent à contourner les principes de l’égalité formelle : éviter les « mauvais établissements », mobilité résidentielle à visée scolaire, choix de sections réputées performantes etc. Nous connaissons tous ces exemples.
Le système baigne donc dans une formidable hypocrisie : il affiche des principes égalitaires que presque tous les acteurs contournent délibérément. Seule une révolution culturelle permettra d’en sortir, qui conduirait à récuser à la fois l’élitisme et l’égalitarisme qui forment le paradoxal attelage idéologique du système éducatif français.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)