Sélection des étudiants: oui, mais…. edit
Le tabou de la sélection à l’université a sauté et l’on doit s’en réjouir. Le consensus qui prévalait jusque-là « que tout monde puisse entrer à l’université sans aucune barrière… pour que beaucoup y échouent dès la première année » était en effet d’une monstrueuse hypocrisie. Le tri s’effectuait, mais de la pire des manières, par l’échec.
Selon les données du Ministère de l’Éducation Nationale (Repères et références statistiques 2017) à peine plus d’un quart des étudiants de licence obtiennent leur diplôme en trois ans. Un tiers de ces étudiants abandonnent leur formation dès la première année. Et ces échecs nombreux ne sont pas répartis aléatoirement parmi les bacheliers qui se présentent aux portes de l’université : ce sont, sans surprise, les bacheliers technologiques et plus encore les bacheliers professionnels qui connaissent les taux d’échecs les plus élevés. Seuls 6% de ces derniers obtiennent leur licence en 3 ou 4 ans !
On se demande encore comment certains syndicats étudiants comme l’UNEF peuvent défendre un statu quo aussi pénalisant et aussi inégalitaire. Les jeunes, eux-mêmes, ne suivent plus cette ligne conservatrice (il est vrai que les syndicats étudiants ont une très faible représentativité) et semblent s’être convertis à l’idée de sélection : selon un sondage Ipsos pour l’Obs réalisé début octobre, 65% des 16-24 ans y sont désormais acquis contre 43% il y a dix ans.
La sélection n’est pas la panacée...
Néanmoins, il ne faudrait pas passer d’un fantasme (l’entrée totalement libre à l’université) à un autre (la sélection va tout régler) car nous voici maintenant confrontés à une situation du type « dilemme du prisonnier[1]». Dans l’hypothèse en effet où les universités auront la liberté de sélectionner leurs étudiants, elles les choisiront en fonction de leurs capacités d’accueil et du profil de leurs formations. Cette solution est peut-être optimale pour chaque université prise isolément, mais il y a peu de chances qu’elle le soit pour la société dans son ensemble et pour la totalité des étudiants. Dans l’état actuel de l’offre universitaire, beaucoup resteront sur le carreau ou ne se verront proposer que des solutions de pis-aller. La solution de la « remise en niveau » prévue dans le projet de loi paraît une façon un peu hypocrite, incantatoire et pas très convaincante de contourner le problème.
Pourquoi ? Quel est l’état des lieux ? Tout d’abord les effectifs qui se présentent à l’entrée de l’enseignement supérieur augmentent régulièrement depuis plusieurs années. Certes ces bacheliers se dirigent de plus en plus vers l’enseignement privé (+88% entre 1998 et 2016 et 222 000 étudiants en plus) mais également, à un moindre rythme (+14% et 261 000 étudiants en plus) vers l’enseignement public qui a du mal à faire face à cette demande accrue.
On connaît le problème des filières en tension, comme la filière STAPS dont le Président de Paris-Descartes, Frédéric Dardel, dit que, dans son université, elle suscite 11 000 candidatures pour 250 places ! Devant un tel écart la nécessité de la sélection se conçoit facilement. Mais le problème est loin de se réduire à la question de l’afflux irrationnel d’étudiants vers certaines spécialités. Comme le reconnaît crûment le même président d’université (interview dans le Figaro du mercredi 22 novembre) : « dans le système actuel, les universités accueillent 20 à 25% d’étudiants dont elles savent qu’ils réussiront quoi qu’il en soit et une proportion équivalente qui n’a aucune chance de réussir ».
Mais alors, s’ils « n’ont aucune chance de réussir » (sous-entendu, y compris après une « remise à niveau »), que faut-il faire pour ces étudiants ? C’est la véritable question qui est pudiquement laissée de côté dans le débat actuel. Ces étudiants sont pour une large part des bacheliers technologiques et des bacheliers professionnels égarés dans des filières généralistes de sciences sociales, lettres ou sciences humaines dans lesquelles ils échouent massivement : 18 000 bacheliers technologiques et 11 000 bacheliers professionnels se sont inscrits en 2016-2017 dans ces filières universitaires (de droit, science politique, économie et AES, lettres, langues et SHS), soit plus qu’en IUT (respectivement 15 000 et moins de 1 000). Les places ouvertes en IUT et en STS sont insuffisantes pour tous les accueillir et ne progressent que faiblement : depuis dix ans le nombre d’étudiants préparant un IUT (116 000) n’a pour ainsi dire pas bougé, et celui d’étudiants en STS n’a progressé que de 9% depuis 2008 (au total 173 000 inscrits dans le public en 2016-2017). Précisons par ailleurs que les places en IUT sont « trustées » par les bacheliers généraux (à 65%) et même dans les STS, les bacheliers technologiques et professionnels ne sont pas ultradominants (respectivement 35% et 28% des entrants).
C'est aussi un problème d’offre !
L’université ne souffre donc pas simplement d’un problème de demande (et d’orientation de la demande), mais aussi d’un problème d’offre : les places offertes dans les formations professionnelles courtes ne sont pas assez nombreuses et trop peu ouvertes aux bacheliers auxquelles elles sont a priori destinées. C’est d’autant plus navrant que l’économie a besoin de ces cadres intermédiaires et de ces techniciens qui ne sont pas obligatoirement formés dans les masters. Et ce sujet, qui représente certainement un coût budgétaire important, semble malheureusement avoir été laissé de côté pour le moment.
Le deuxième aspect de la question de l’offre universitaire touche à la qualité des formations proposées aux étudiants. En effet, si les étudiants échouent massivement en licence, ce n’est peut-être pas seulement parce qu’ils sont mal orientés, mais aussi parce que dans certains cas les formations et la pédagogie qui leur sont proposées ne sont pas adaptées. Il n’y a pas de fatalité à ce que les formations de lettres et de sciences sociales et humaines ne délivrent pas des compétences professionnelles qui permettent aux étudiants qui les ont suivies de postuler des emplois de qualité. Entendons-nous bien, cela ne veut pas dire que ces formations devraient être formatées en fonction de débouchés professionnels précis, mais cela veut dire qu’elles devraient permettre à leurs étudiants d’acquérir des compétences recherchées : savoir rédiger et analyser des textes ; savoir synthétiser, transmettre et communiquer des concepts et des idées ; savoir traiter des données statistiques et numériques ; savoir travailler en équipe pour résoudre un problème ; savoir communiquer en anglais etc… Ces compétences utiles dans nombre de professions généralistes sont-elles transmises à l’université ? On peut en douter dans bien des cas.
Repensons aussi le rôle et l’évaluation des enseignants à l’université
Ce point soulève une autre question, celle de l’évaluation des enseignants du supérieur. Aujourd’hui, on le sait, les enseignants sont évalués par le CNU (Conseil national des universités) essentiellement en fonction de leur contribution à la recherche. Cela contribue à dévaloriser la fonction spécifique du métier d’enseignant qui est pourtant socialement et économiquement fondamentale pour la nation. Les tâches d’enseignement, surtout en premier cycle, sont considérées comme des tâches subalternes que l’on peut confier aux « soutiers » de l’enseignement supérieur que sont les jeunes maîtres de conférences. Qu’ils s’en acquittent bien ou mal n’aura aucun impact sur leur carrière et sur leur reconnaissance. Ce système est profondément démotivant. Il faudrait donc reconnaître la spécificité de la tâche d’enseignement, l’évaluer et récompenser ceux qui y réussissent. On pourrait d’ailleurs pousser la réflexion plus loin : tous les enseignants ont-ils forcément vocation à faire de la recherche ? Certains d’entre eux ne pourraient-ils se consacrer exclusivement à l’enseignement et être reconnus (et évalués) pour cet engagement essentiel ? L’idée que la tâche fondamentale de l’université est de former les cadres de la nation ne devrait-elle pas être remise au premier plan ?
[1] Théorie des jeux qui caractérise une situation où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où, en l'absence de communication entre les deux, chacun choisira de trahir l'autre si le jeu n'est joué qu'une fois
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