Sortir de l’Hexagone edit
Les commentateurs cherchent les causes de la crise française dans les erreurs et les fautes commises par le Président de la République depuis son arrivée à l’Elysée. Certes elles existent, en particulier dans le domaine fiscal, la méthode de gouvernement et le calendrier des réformes. Cela constaté, s’en tenir à une analyse du court terme limitée à l’Hexagone serait passer à côté de l’essentiel. Le malaise est beaucoup plus étendu : il dépasse nos frontières et s’inscrit dans la longue durée.
La première source du malaise de l’Occident est la recomposition du monde. L’apparition de nouveaux riches signifie un transfert massif de richesses et de pouvoir, principalement au profit de l’Asie et de la Chine. Comme le montrent nos achats quotidiens dans les supermarchés, nous avons cessé de produire un certain nombre de biens au profit de pays qui produisent moins cher et aussi bien. Pour les productions qui demeurent, du fait de la concurrence, nous devons exercer une pression permanente sur les prix et sur les salaires, limitant l’augmentation du pouvoir d’achat. Ce mouvement n’est pas prêt de s’arrêter, la Chine étant en train de rattraper son retard technologique. Ce déclin des « vieux pays » ne veut pas dire leur disparition. Il leur reste un savoir et un patrimoine accumulé au cours des siècles, des richesses naturelles et une capacité d’invention. Mais il rend nécessaire une reconversion d’ensemble des activités et des hommes, avec des perdants et des gagnants. Les Occidentaux le savent plus ou moins consciemment. Leurs avantages acquis sont en cause, demain ne sera plus comme hier, ils devront se former mieux sans gagner plus. C’est le malaise de l’Homme blanc qui voit autour de lui des biens être acquis par les nouveaux riches.
La seconde source de malaise est la menace qui pèse sur l’homme du fait du changement de climat et de la réduction de la biodiversité, à un horizon de quelques dizaines d’années. Notre modèle économique et social est en cause, car il n’est pas vrai que nous ayons la recette d’un développement durable. La « croissance verte » n’est pour l’instant qu’une formule. Comment la financer ? Comment produire ? Est-elle compatible avec une croissance assurant le plein emploi et pour l’Europe le maintien d’un système généreux de prestations sociale. On a raison d’avoir peur. Les riches devront être plus sobres, consommer moins et différemment. Les moins riches voient leurs espoirs de rattrapage étouffer.
Les élites ont failli, elles ont été incapables d’expliquer aux citoyens le monde à venir et les changement individuels et collectifs. Par idéologie ou par impuissance pour certains, le marché pouvait seul résoudre les problèmes et toute mise en cause du modèle dominant ne pouvait être que source de régression. Ainsi, les politiques bruxelloises ont privilégié les intérêts immédiats du consommateur et ne sont pas parvenues à réguler les investissements étrangers, principalement chinois. Par lâcheté aussi, les politiques sont toujours entre deux élections. Il faut se faire élire et ils considèrent qu’ils ne peuvent l’être en promettant du sang et des larmes. Par la suite, Ils ne disposent pas du temps nécessaire avant la prochaine campagne électorale pour infléchir la politique et obtenir des résultats convaincants pour l’électeur. Se pose une question, fondamentale et tragique : la démocratie représentative en Occident est-elle compatible avec des changements structurels exigeant un traitement de long terme ? Répondre non voudrait dire que la porte est ouverte à des aventures autoritaires. Il faudrait que toutes les élites en Occident se rassemblent dans un immense effort de pédagogie. Pour l’instant, ce n’est pas le cas, au moins en France.
Le désenchantement des Occidentaux, leurs insatisfactions, leurs inquiétudes devant l’avenir, la peur d’une invasion par des « non-Blancs » s’expriment sous des formes diverses selon les pays correspondant à leur culture : le Brexit au Royaume-Uni, Trump aux Etats-Unis, Salvini en Italie, la montée de l’extrême droite en Allemagne.
Et la France ? Aux deux sources de malaise de l’Occident, s’ajoute un facteur aggravant : la France a perdu ses marges de manœuvre, faute d’avoir mis fin à des déséquilibres quels que soient les gouvernements, début de mandature Macron compris. Son endettement public est quasiment égal au PIB, ses comptes extérieurs sont en déficit au point de dépendre chaque année d’un apport de ressources étrangères, sa fiscalité est trop lourde pour qu’une augmentation des impôts soit envisageable (sauf peut-être pour la TVA). En cas de remontée des taux d’intérêt ou de tensions sur les marchés financiers, la France tomberait dans la dépendance de Bruxelles et de Washington (FMI).
Or il faudrait des fonds, à la fois pour apporter des compensations aux plus fragiles atteints par des mesures comme le relèvement des taxes pétrolières et pour préparer l’avenir en accroissant les investissements (transition énergétique, numérique). Contrairement à ce qui est dit, l’effort fait n’est nullement à la hauteur des besoins.
Sur ces défis, qu’a dit le candidat Macron ? Dans son livre appelé audacieusement Révolution, le lecteur cherchera une analyse approfondie. Dans ses discours électoraux, le contexte international a une place limitée. Comment expliquer cette carence : absence de discernement, surprenante de la part d’un candidat aussi bien informé et intelligent, ou souci prioritaire de rassurer l’électeur et de lui faire plaisir ? Probablement un mélange des deux.
Le président souffre de cette faute contre l’esprit, son péché originel. Eût-il fait un diagnostic réaliste et tenté de le faire partager par l’électeur (au risque de ne pas être élu), la politique mise en œuvre et le calendrier auraient été autre, au moins sur deux points.
Durant une présidence marquée inévitablement par des efforts demandés aux citoyens pour s’adapter aux changements, un accroissement des inégalités fiscales est socialement insupportable. Réduire de cinq milliards l’imposition des riches a fait d’Emmanuel Macron le président des plus riches et lui a ôté toute légitimité lorsqu’il augmente la CSG, réduit massivement les emplois aidés, l’accès à la propriété pour les revenus modestes, et lorsqu’il désindexe de prestations sociales comme les retraites. Certes, des compensations ont été prévues (baisse des cotisations sociales, taxe d’habitation) mais pour une bonne part, elles ont été décalées dans le temps et surtout les Français sont convaincus que ce qu’une main leur donne est repris par l’autre. Ils n’ont pas tort : hausse de l’électricité, des assurances, des impôts locaux, des loyers et des charges. Pour modifier le sentiment largement répandu d’une politique fiscale inégalitaire, des mesures fortes sont nécessaires.
Durant une présidence, où le changement des comportements des Français est un objectif, leur mobilisation collective est une nécessité. Dire, « j’applique mon programme et je vous donne rendez- vous dans cinq ans » est provoquant et illusoire. Certes, la mobilisation des Français est malaisée, tant les intermédiaires étant déconsidérés. Il faut inventer de nouvelles formes de consultation et de médiation, sans négliger les bonne volontés existantes (la CFDT de Laurent Berger) Des mécanismes sont à mettre en place en province. Cela est particulièrement évident dans le domaine de la transition énergétique, où les capacités d’initiative décentralisées sont substantielles. Espérons que du dialogue avec les gilets jaunes sortiront des propositions concrètes, voire de nouveaux leaders.
Les gilets jaunes sont la réponse française au malaise qui atteint les États occidentaux. Le « Brexit français » a ses caractéristiques propres résultant de notre histoire, un fonds permanent de violence et la tentation de recourir à des pratiques révolutionnaires. Ce n’est pas un simple incident de parcours. Il va peser longtemps sur notre vie politique et sociale, d’autant que nos déséquilibres financiers rendent le traitement plus long et plus douloureux.
Que peut faire en urgence le président Macron ?
Empêcher que se renouvelle un troisième week-end d’émeutes à Paris, et comme disait le général de Gaulle au lendemain du putsch d’Alger par tous les moyens, je dis bien par tous les moyens.
Éviter le recours au suffrage universel dans les prochains mois. Dans l’état de décomposition politique, et en l’absence d’une alternative crédible, personne ne sait ce qui pourrait sortir des urnes. C’est à Emmanuel Macron de résoudre la crise dans le cadre des institutions existantes.
Contribuer à l’apaisement en donnant des satisfactions immédiates à des gilets jaunes appuyés par une majorité de l’opinion. Cela implique un recul du président. L’expérience montre que sans victoires, parfois symboliques, un mouvement est difficile à arrêter. Les pauses ne sont pas nécessairement des abandons.
Mettre en place un processus de consultation décentralisé et polymorphe, incluant le plus d’initiatives possibles. Cela sera très difficile. Pour le rendre crédible, il faut parallèlement que le Président et ses épigones cessent de dire qu’il applique un programme dont les Français n’ont nulle conscience de l’avoir jamais approuvé et qu’il s’engage avant une mesure nouvelle à examiner les effets sur toutes les catégories sociales et à les moduler dans le temps si nécessaire. Un geste sur la désindexation des retraites serait opportun.
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