Coronavirus: quelles répercussions économiques? edit
Il est chaque jour plus évident que, par son ampleur, par son étendue géographique et sectorielle, par l’intensité des réactions auxquelles les gouvernements ont été contraints, la crise du coronavirus est sans précédent non seulement dans le domaine de la santé mais aussi dans le domaine économique.
Il y aura bien entendu des conséquences sur les échanges internationaux et ce qu’on appelle la mondialisation ; en particulier les décisions des entreprises dans ces matières seront probablement prises à l’avenir en prenant en considération une batterie de critères élargie : outre les coûts de production, la robustesse des circuits d’approvisionnements et probablement leur diversification, la réduction des risques ; sans compter les effets sur l’environnement dont l’introduction dans les éléments de la décision ne date pas de cette crise mais sera encore plus nécessaire. Tous ces phénomènes font déjà l’objet de beaucoup d’études.
Mais la crise va laisser d’autres traces profondes dans le fonctionnement de nos économies.
Deux phénomènes principaux sont à l’œuvre. En raison des contraintes sanitaires pesant sur les individus, la production dans beaucoup de secteurs économiques est arrêtée ou fortement réduite. Pour éviter les conséquences catastrophiques de ces réductions de production, les gouvernements empêchent autant qu’ils le peuvent leurs répercussions sur les revenus des individus et essaient de limiter l’affaiblissement des entreprises, en particulier par leur trésorerie ; tout cela en mettant en œuvre des mécanismes publics.
Un appauvrissement réel mais différencié
Pour mettre en lumière les conséquences durables de ces phénomènes, il faut analyser plus précisément comment ils se développent.
La réduction de la production est assez différente selon les secteurs, et elle sera dans certains cas au moins en partie compensée par un surcroît de production future.
Ainsi dans les industries extractives (pétrole, matières premières…) c’est la demande future, difficile à prévoir, qui commandera le niveau de compensation ; celle-ci ne sera certainement pas totale : par exemple le carburant correspondant à des déplacements auxquels les gens auront définitivement renoncé ne sera jamais vendu.
Dans l’agriculture la réduction de production paraît devoir être assez faible, mais toute récolte non faite ou non vendue entraînera une perte sèche.
Dans l’industrie le rattrapage sera limité d’une part par l’évolution de la demande (après tout je peux garder ma voiture encore quelques années…), et aussi parfois par des contraintes techniques de production.
C’est dans les services marchands que le manque à produire sera le moins rattrapé (transports, voyages, hôtellerie, restauration, services à la personne…).
Au total il y aura bien une réduction nette, définitive, de la production, même si elle sera finalement inférieure à ce que l’on constate actuellement. Il faut donc se demander quel est l’appauvrissement réel qui en résultera.
S’agissant des entreprises les marges qui n’ont pas été réalisées réduiront de façon définitive les profits. De même la distribution de revenus aux collaborateurs qui n’aura pas été prise en charge par des mécanismes de compensation publics sera une perte nette.
Ces deux effets pèseront sur les résultats et il y aura donc bien finalement une destruction de capital. L’étalement dans le temps suite à l’octroi de délais de paiement, ou de crédits de trésorerie, ou de crédits à moyen terme pourra certes aider certaines entreprises à supporter le choc, mais celui-ci existera toujours.
Un besoin de capital considérable
Certaines entreprises, qui avaient des réserves, le supporteront assez facilement ; par exemple, cela pourra se substituer au rachat de leurs propres actions ; ou à des distributions de dividendes. Pour d'autres, il sera indispensable de trouver du capital nouveau, qu’il soit d’origine interne ou externe.
La source interne réside dans l’accroissement de la profitabilité de l’entreprise ; des accords avec les salariés en seront la clé pour nombre d’entreprises, car il faut pouvoir jouer sur beaucoup de variables qui concernent la vie des salariés (horaires de travail,congés, RTT…). On peut également penser à des mesures fiscales telles qu’un amortissement accéléré. Les sources externes reposent sur un accroissement de l’investissement de l’épargne dans les fonds propres des entreprises. Cet urgent apport de capital supplémentaire peut-être accéléré par des mesures fiscales, qui devront être simples.
Au niveau du système économique dans son ensemble, le trait principal de cette période sera une importante distribution de revenus sans contrepartie réelle. Il va sans dire que ceci est extrêmement bénéfique socialement en évitant (mais jamais complètement malheureusement) des situations de détresse.
C’est aussi bénéfique économiquement en empêchant une contraction en cascade qui pourrait tourner à la dépression. Mais les effets économiques ne se limitent pas là. Si il y avait une bonne élasticité de la production, on pourrait attendre une stimulation keynésienne ; mais tel n’est pas le cas au moins au début puisque la production est largement bloquée, dans tous les pays en même temps. Il serait donc logique d’attendre une impulsion inflationniste. Mais le danger n’est peut-être pas considérable, au moins dans l’immédiat, comme on le verra en regardant l’évolution des finances publiques.
Le système public va devoir emprunter davantage : d'une part parce qu'il s'appauvrit (moindres recettes du fait le la contraction économique, accroissement des transferts sociaux) et d'autre part parce qu'il intensifie son activité financière, en consentant des délais de paiement aux individus ou aux entreprises, en leur faisant des prêts de trésorerie ou des prêts à moyen terme, en octroyant des garanties qui seront activées dans certains cas.
Face à ce phénomène général, la situation des Etats n'est pas homogène. Pour ceux qui ont une situation financière saine, cet à-coup sera facilement absorbé. Les investisseurs seront contents d'acheter un plus grand volume de titres émis par ces Etats. Pour d'autres, les tensions qu'ils connaissent déjà sur le marché de la dette vont s'aggraver. Dans un premier temps les spreads de crédit vont s'élargir. Il est probablement illusoire d'espérer que ces Etats prennent, sur le plan interne, les mesures de correction des déficits publics qu'ils ne prenaient déjà pas avant la crise actuelle. Il faut donc envisager des mesures d'atténuation des tensions dans la sphère financière.
L’arme de la dette
La mesure la plus simple à prendre (sur le papier...) est la monétisations de la dette. En Europe c'est ce que la BCE a récemment décidé. Il faut garder à l'esprit qu'il est facile de démarrer une telle politique, mais beaucoup moins facile d'y mettre fin en réduisant les quantités de dette publique achetées. Par ailleurs, une telle action est en principe inflationniste, même si dans l'économie internationale actuelle on ne voit pas les menaces inflationnistes se manifester. On pourrait même soutenir que la banque centrale européenne, qui cherchait à revivifier un peu l'inflation par une politique de taux d'intérêt extrêmement bas et n'y parvenait pas, essaye avec des rachats massifs de dette publique une nouvelle méthode qui aura peut-être plus d'efficacité... Néanmoins il faut garder à l'esprit que, si l'inflation ne se manifeste pas actuellement dans le prix des transactions, elle peut se matérialiser dans le prix de certains actifs, ce qui peut devenir facteurs de tensions déstabilisatrices. Et plus généralement la création monétaire excessive nourrit un potentiel inflationniste dont on ne sait comment l'énergie sera un jour libérée, surtout qu’ il s'agit d'un phénomène mondial ; une crise de confiance en serait probablement l'agent déclencheur. Le présent papier ne peut être le lieu de discussion de cette question, assez nouvelle et complexe.
Si néanmoins on soupçonne que l'ampleur des besoins de financement des Etats (qu'il serait d'ailleurs important d'évaluer dès que ce sera possible) sera telle que le recours à la création monétaire deviendrait problématique, alors une autre idée vient à l'esprit : trouver quelqu'un qui s'endette à la place des Etats en difficulté. Sur le plan européen, c'est l'idée des Coronabonds. Bien sûr l'idée n'a de sens que si le nouvel émetteur dispose d'un crédit international bien meilleur que celui des Etats auquel il va se substituer. Ce serait le cas si c'était l'Union Européenne qui émettait ; mais alors la question pour les Etats membres qui prêtent leur crédit est de savoir si c'est bien dans leur intérêt (la notion de solidarité étant dans les temps actuels peu féconde à l'intérieur de l'Europe…). Pour simplifier ce débat, vaut-il mieux consentir ce « prêt de crédibilité » (auquel il est difficile d'imaginer des contrepartiesau profit des Etats prêteurs), ou risquer le chaos sur une partie des marchés financiers de la zone euro, sachant qu'en matière financière, la perte de confiance s'étend comme la gangrène.
Ainsi, en plus des problèmes classiques de réglage conjoncturel en particulier de la demande, qui se posent toujours en phase de reprise de l'activité, deux domaines principaux devons faire l'objet d'une politique active.
Dans le domaine des finances publiques, il faudra éviter que les mesures de soutien justifiées prises par les états se traduisent par une réduction de la confiance dans la bonne gestion de la zone euro ; alors que, il faut toujours le rappeler, la situation de la zone euro dans son ensemble sur le plan aussi bien interne qu’externe, est tout à fait saine. S’agissant des entreprises (au moins de certaines d’entre elles) il faudra encourager intensivement la reconstitution du capital perdu, que ce soit par l’augmentation de leur rentabilité ou en facilitant les apports de fonds propres par des investisseurs externes.
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