Diplômés du monde entier : rejoignez-nous ! edit
La nouvelle loi allemande sur l’immigration a été conçue en partie pour attirer des immigrants très qualifiés. Pourtant, en 2005, moins d’un millier d’entre eux sont venus en Allemagne. La France débat actuellement d’une loi qui prévoit elle aussi de favoriser une immigration très qualifiée. Mais ses dispositions sur « les compétences et les talents » ne semblent pas plus audacieuses. Il est pourtant temps de dire aux jeunes diplômés du monde entier : bienvenue en Europe.
Pourquoi la France et l'Allemagne ont-elles tant de difficultés à participer efficacement la compétition mondiale pour les talents ? On pourrait chercher l’explication dans l'idée populaire, mais erronée, selon laquelle le seuil de tolérance des immigrants serait, disons de 100 000 personnes par an, et que la seule question est de répartir ce chiffre entre les différentes catégories. A partir de là, on pourrait réserver un quota à la plupart des catégories qui le méritent : les victimes de persécutions politiques, d’extrême pauvreté, les familles séparées et les travailleurs très qualifiés. On aboutirait ainsi probablement à un conflit entre ce qui est moralement juste et ce qui est dans l'intérêt national.
Mais la réalité est différente. Le nombre de migrants qu’un pays peut accueillir n'est pas fixé. L'immigration de travailleurs très qualifiés ne réduit pas forcément la capacité du pays à en accueillir d’autres moins qualifiés et qui, sur le plan moral, mériteraient peut-être davantage d’être soutenus. On en trouve un bon exemple au Canada, en Suisse et en Australie. Conçue sur un système de points, leur politique conduit à accueillir des travailleurs très qualifiés. Mais cela ne se fait pas au détriment des moins qualifiés, qui continuent à représenter dans ces trois pays une plus grande proportion de la population totale que dans les pays de faible immigration comme la France et l'Allemagne.
Il est donc possible de traiter séparément de ces deux politiques d’immigration. Est-ce souhaitable ? Les effets économiques de l'immigration qualifiée sont généralement positifs pour le pays de réception, alors que ceux de l’immigration peu qualifiée sont plus ambigus. Il sera relativement facile dans l’avenir de prendre des décisions politiques en faveur d’une immigration très qualifiée. Mais par contraste, les décisions quant à la migration peu qualifiée s'avèrent souvent extrêmement complexes et controversées, pour des raisons aussi bien économiques que politiques.
En mêlant les deux discussions, beaucoup de pays européens dont la France et l'Allemagne se laissent en fait distancer dans la course à l’immigration qualifiée. Pour sortir de cette impasse, l'Europe devrait en urgence réarticuler ses discussions sur l’immigration à la compétition mondiale pour le talent.
Idéalement, cela pourrait être accompli par l'introduction d'une version européenne de la Green Card américaine, une Blue Card, qui fournirait à des citoyens qualifiés de pays tiers un accès immédiat à l’ensemble du marché du travail européen. Cette Blue Card serait attribuée sur la base d’un système de points européen. Un système à l’échelle européenne serait plus attrayant que n'importe quel système national, du point de vue des immigrants qualifiés. Gageons aussi qu’une solution européenne fournirait plus de visibilité, de prévisibilité et de transparence que 25 systèmes nationaux différents.
Pour compléter le système, les étudiants ayant obtenu un master ou équivalent dans une université européenne ou une grande université étrangère devraient automatiquement en bénéficier. Ce “Diplôme Bleu” contribuerait à attirer très tôt les talents et donnerait aussi un coup de pouce bienvenu aux universités européennes. Il est temps de dire aux brillants jeunes diplômés du monde entier : bienvenue en Europe !
Cela nous amène à répondre à une inquiétude souvent exprimée : cette fuite des cerveaux ne nuirait-elle pas aux pays en voie de développement ? On devrait imposer aux pays profitant de cette immigration une compensation financière aux pays d’origine. Les pays de l'UE pourraient d’ailleurs faire un pas dans cette voie en concrétisant simplement leurs engagements de l’an dernier, et en augmentant de façon significative le pourcentage de leur PIB consacré à l'aide au développement.
En plus, l'UE pourrait faire un effort particulier pour subventionner les systèmes d'éducation dans les PVD qui envoient en Europe un nombre significatif de travailleurs qualifiés. On pourrait envisager aussi des dispositions pour aider les PVD à retenir le personnel médical dont ils ont grand besoin.
Mais en général, l'impact de la fuite des cerveaux pourrait être moins négatif qu'on ne le pense souvent. La possibilité d’immigrer donnée aux travailleurs les plus qualifiés peut considérablement augmenter l’investissement des familles dans l'éducation, créant ainsi un stimulant pour l'éducation dans les PVD. Les envois d’argent des émigrants à leurs familles dans leur pays d'origine peuvent aussi avoir des effets de développement positifs. En outre, les qualifications sont aujourd’hui moins rares dans les PVD. Depuis 15 ans, le nombre d'étudiants dans les 10 PVD les plus peuplés est passé de 25 à 42 millions. En comparaison, le nombre des étudiants dans l'UE et les Etats-Unis ne dépasse pas 34 millions.
Les qualifications et l’épargne de ces émigrants contribueraient aussi au développement économique quand ils reviendraient au pays. La Blue Card encouragerait en effet une sorte de circulation des cerveaux en fournissant un accès garanti au marché du travail européen sans exiger une présence permanente. La Blue Card agirait en fait comme une police d’assurance pour les diplômés des PVD, au cas où ils prendraient le risque de revenir dans des pays aux situations politiques instables. Parce qu’ils seraient assurés de pouvoir regagner l’Europe ils pourraient ainsi plus facilement retrouver leur pays d’origine.
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