Sarkozy ou l'échec du réformisme autoritaire edit
Ce n’est certes pas pour ses qualités de gestionnaire des différents ministères qu’il a occupés que les Français ont porté au pouvoir Nicolas Sarkozy. Le bilan de son action à l’Intérieur fut au mieux mitigé. Quant à son action aux Finances, elle fut trop brève pour laisser dans les esprits plus que le souvenir de quelques bons rapports d’experts et des mesures ponctuelles. C’est au contraire sa volonté affirmée de rompre avec un modèle économique devenu ennemi de la croissance et un modèle social facteur d’inertie et d’assistanat qui ont conduit les Français à le porter au pouvoir. Sa présidence ne serait pas « fainéante » et ses priorités étaient simples : la réforme, la réforme et encore la réforme. C’est à cette aune là qu’il nous appartient de dresser un premier bilan.
Pierre Cahuc et André Zylberberg se sont déjà livré à l’exercice en matière sociale. Notre propos sera ici d’étendre l’analyse à deux secteurs : l’enseignement supérieur et la Santé où l’ambition de réforme était tout aussi grande, où l’opposition des acteurs du secteur fut vive, et où les concessions faites conduisent à s’interroger sur la substance même de ce qui a été accompli.
Lorsqu’il aborde au cœur de l’été 2007 le dossier de l’enseignement supérieur le Président est armé d’un solide diagnostic, celui du déclin de l’université française et de la nécessité de promouvoir des universités de recherche, d’une stratégie claire puisqu’il veut troquer l’autonomie contre des moyens supplémentaires, et d’une méthode à savoir la réforme blietzkrieg à la faveur de l’état de grâce.
Ce faisant il écarte d’emblée des problèmes plus clivants comme la sélection à l’envers qui fait de l’université le havre des recalés des formations sélectives, comme la redistribution régressive qui naît de la gratuité, ou comme la différenciation sauvage au sein de l’université qui naît de l’égalité formelle. Il écarte dans le même mouvement les revendications des syndicats visant à traiter en priorité l’échec massif en DEUG, les problèmes de débouchés professionnels et la question du salaire étudiant.
Son pari est que l’autonomie est la clé du déblocage du système. Il croit alors à la valeur de l’exemple : des universités volontaires, autonomes, dotées de moyens supplémentaires fournis par l’Etat et de la capacité à lever des moyens nouveaux et d’en faire un usage discrétionnaire peuvent révolutionner les universités. Tout en effet peut s’accrocher à cette locomotive : l’évaluation des enseignants chercheurs, la modulation de leur service, et à terme l’existence même de grands organismes de recherche comme le CNRS.
Mais la résistance des présidents à une autonomie réservée aux universités volontaires le conduit à accepter de généraliser d’emblée l’offre d’autonomie à l’ensemble d’entre elles et de renforcer les pouvoirs des présidents. La décision prise par ailleurs de ne pas doter les universités autonomes de moyens propres notamment à l’occasion du plan Campus va vider l’autonomie de sa dimension financière. L’autonomie « à la française » se résume à l’octroi de pouvoirs exorbitants du président sur la communauté académique. Si la LRU est votée sans difficulté c’est parce qu’elle est perçue comme relevant des spécialistes de la gouvernance. Le projet de décret sur la modulation de la charge de travail des enseignants chercheurs va lui donner un contenu tangible. Le président, longtemps primus inter pares et maître de délicats compromis entre disciplines, corporations et puissances syndicales, peut à présent nommer discrétionnairement un enseignant et il peut décider de moduler sa charge de travail entre recherche et enseignement. L’hypothèse de l’université entreprise, grotesque dans le contexte français, pouvait prendre corps.
Dans un contexte marqué par le téléscopage de mesures budgétaires, de réduction d’effectifs, de réforme des IUFM, de mise en place de réformes décidées par les gouvernements précédents (PRES, AERES, ANR…) une image se dessine progressivement, celle d’une université livrée au « new public management », aux ravages des évaluations fondées sur une bibliométrie contestée, à l’arbitraire de présidents-entrepreneurs, le tout dans le cadre maintenu de diplômes nationaux, d’autorité confirmée du CNU et de disette budgétaire.
Le résultat d’une telle politique a été un soulèvement des professeurs toutes disciplines confondues comme l’université française n’en avait pas connu depuis longtemps, suivi d’une paralysie progressive des universités françaises sur fond d’attrition continue des inscriptions à l’université.
M. Fillon n’avait cessé de répéter que la réforme de l’enseignement supérieur était la plus importante du quinquennat, que tout en procédait - la croissance, la culture, la mobilité sociale - et qu’il était donc légitime que l’Etat y mette les moyens. La réforme autoritaire imposée à un corps social rebelle, malgré toutes les renonciations et tous les reculs, a abouti à un rejet sans précédent. Du chaos actuel émergeront peut-être quelques universités mieux gérées, mais à quel prix et en quoi surtout aura-t-on réformé un système ?
Considérons à présent la réforme du système de santé.
Les parentés entre les deux réformes sont troublantes : même volonté de mettre l’accent sur la gouvernance, même obstination à confier des pouvoirs renforcés aux gestionnaires, même soulèvement des professionnels, même révélation ex-post d’un dessein d’ensemble soigneusement masqué, même division du travail entre le méchant ministre technique et le bon président, mêmes concessions qui dénaturent la réforme et mêmes effets de l’autoritarisme.
Revenons donc d’abord sur les conditions, les modalités d’élaboration et les décisions prises dans le cadre de la Loi HPST (Hopital, Patients, Santé, Territoires).
En matière de politique de santé, et à la différence de la politique universitaire, le président parvenu au pouvoir ne dispose pas d’une feuille de route, le débat a été soigneusement évité à l’occasion des présidentielles. Comment réformer un système socialisé auquel les Français tiennent tant, dont les performances sont saluées mais dont les coûts dérivent sans qu’aucune des mesures prises ne parvienne à en inverser la dynamique. Les questions qui fâchent n’ont guère été abordées pendant la campagne électorale : la maîtrise administrative des dépenses ayant échoué, par quoi la remplacer ? Le ticket modérateur ne modérant pas les dépenses, comment responsabiliser les assurés sociaux ? Les déficits accumulés et transférés à la CADES ayant dépassé les 100 milliards d’euros, comment éviter une augmentation des prélèvements sociaux ou de l’impôt ? Quelle part de la dépense faut-il socialiser ? Le président Sarkozy va une fois de plus aborder le problème par le biais de la gouvernance du système de santé. La tactique utilisée va consister à demander au sénateur Larcher de consulter pour faire les propositions les plus consensuelles, l’objectif étant de désarmer les oppositions et de déminer un terrain sensible depuis les réformes Juppé. Le sénateur réussit au-delà de tout espoir et personne ne perçoit le texte de Loi qui va s’écrire comme menaçant. Et pourtant le texte qui sort de l’alambic gouvernemental va provoquer le soulèvement des professionnels du secteur et la descente dans les rues des professeurs en blouse blanche. La loi HPST va en effet réunir des ingrédients nouveaux (ARS, gouvernance hospitalière…) qui, combinés avec les réformes précédentes portant sur la TAA, l’ONDAM, les pôles, vont se révéler déflagratoires.
Confier aux anciennes agences régionales de l’hospitalisation (ARH) transformées en Agences régionales de Santé (ARS) la responsabilité de tous les établissements sanitaires publics ou privés et la coordination avec la médecine de ville est justifié si l’on veut administrer le meilleur soin en faisant le meilleur usage des moyens disponibles. Mais nommer à la tête de ces nouvelles autorités régionales de santé (ARS) des préfets sanitaires ayant le pouvoir de nommer les directeurs des hôpitaux, qui à leur tour nomment les chefs de pôles, change complètement l’équilibre des pouvoirs entre professionnels de santé et gestionnaires administratifs.
Vouloir distinguer missions de service public et production de soins, et faire en sorte que les coûts des soins convergent entre hôpital et clinique dès lors que les missions de service public sont correctement évaluées et indemnisées, est légitime. C’est du reste l’objectif de la tarification à l’activité (TAA) qui n’a guère été contestée lors de sa première mise en œuvre. Mais sous-évaluer délibérément le coût des missions de service public en refusant de tenir compte de la spécificité des pathologies et du rôle social des hôpitaux pour faire apparaître des déficits dans tous les hôpitaux fait naître des doutes légitimes sur la qualité de l’instrument comptable. Obliger les hôpitaux à converger avec les cliniques en matière de coûts de production de soins dans le cadre de la TAA revient en effet à donner des pouvoirs exceptionnels à l’Administration pour gérer à sa guise les hôpitaux publics au nom du retour à l’équilibre budgétaire. Affirmer avec de grands mouvements de menton que dans le nouveau système, hôpitaux publics et cliniques privées partageront les missions de service public ne peut tromper son monde bien longtemps. Enfin vouloir organiser au sein de l’hôpital public des pôles fédérant les moyens de plusieurs services qui restent la base de l’activité médicale peut se comprendre, mais faire nommer ses patrons de pôles par un directeur dont la seule légitimité est administrative et affaiblir dans le même mouvement le service, c’est casser une logique professionnelle éprouvée au nom d’une logique organisationnelle non éprouvée.
Au moment où ces lignes sont écrites la loi HPST est au Sénat mais le président de la République entend rééquilibrer les pouvoirs entre les administratifs et les médecins, et il a renoncé à la convergence des tarifs dans le cadre de la TAA (renvoi à 2018). Par ailleurs, vertu des temps de crise, les déficits de l’assurance maladie sont à nouveau à la hausse et l’échec de la maîtrise parlementaire et administrative des dépenses est patent. On retrouve donc à l’arrivée les problèmes qu’on pensait régler par la réforme.
Trois conclusions se dégagent de ce rapide parallèle entre deux chantiers majeurs de la réforme.
Les réformes de rupture n’en sont pas, la continuité des politiques, l’accumulation de réformes partielles témoignent de la prudence de sioux des réformateurs français. L’audace de Sarkozy est dans la communication, les effets d’annonce, pas dans la substance.
La réforme autoritaire expose le président et sa loi, elle produit mécaniquement des oppositions normalement hétérogènes mais qu’elle contribue à agréger.
La volonté obsessionnelle de prévenir la convergence des oppositions au moment où plusieurs chantiers de réforme sont lancés conduit à la multiplication des replis tactiques. De repli en repli, les réformes sont dénaturées et font souvent régresser le secteur réformé.
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