La punition économique des autocrates edit
Chavez et Maduro, Mugabe, Milosevic, les époux Kirchner et Erdogan (entre autres) ont en commun d’être des autocrates. Ils partagent aussi le privilège douteux d’avoir plongé leurs pays dans le chaos économique. Ils rejoignent une longue lignée de dirigeants trop sûrs de leur génie pour prendre des conseils et laisser des personnes compétentes s’occuper des questions économiques. Ce n’est d’ailleurs pas une loi du genre. Certains, malgré toutes les horreurs qu’ils perpétuent, ont parfois la sagesse de faire appel à des économistes compétents.
C’est toujours le même mécanisme. Le guide suprême distribue ses bontés mais se garde bien de lever des impôts pour les financer. Les bontés sont toujours stratégiques. Les militaires en sont les plus fréquents bénéficiaires, parce que le régime dépend d’eux pour sa survie ou parce qu’il s’est lancé dans des conflits qu’ils ne peuvent pas gagner mais qui peut lui permettre d’exacerber le sentiment nationaliste qui le rend populaire et de blâmer la main de l’étranger. Les bontés sont parfois dirigées vers des groupes de citoyens censés soutenir le régime, un paternalisme non déguisé, ou vers des entreprises qui appartiennent, directement ou indirectement, au régime. Le déficit budgétaire se creuse.
Pour un temps, les marchés financiers prêtent, sans regarder de trop près parce que c’est profitable. Comme les prêts sont en euros ou en dollars, ils ne s’inquiètent pas trop. Mais si le puits est sans fond, ils savent bien que, tôt ou tard, il faudra plier bagage. C’est alors que la crise s’enclenche. La monnaie chute durement, ce que les autocrates cherchent parfois à masquer en maintenant constant un taux de change officiel auquel seuls les privilégiés du régime ont accès. Ceux qui ont emprunté en devises étrangères doivent faire face à une dette qui devient d’autant plus lourde que le vrai taux de change baisse. Dans la mesure où ces prêts sont passés par les banques, ce sont les banques qui tanguent parce que les emprunteurs ne peuvent plus suivre. Tôt ou tard, les gens commencent à retirer l’argent déposé dans les banques, qui s’effondrent. Ils cherchent à acquérir des euros ou des dollars, ce qui accélère la dépréciation.
Mais l’autocrate a toujours besoin d’argent pour boucher les trous du budget, qui se détériore d’autant plus que la récession s’installe et réduit les rentrées fiscales. La solution alors est de demander à la banque centrale de financer le déficit. Si la banque centrale est indépendante, elle commence par refuser. Au besoin, on change la loi sur l’indépendance de la banque centrale et on remplace son gouverneur par une personne choisie pour sa docilité et son incompétence. L’inflation ne tarde pas à monter. Elle pourrait atteindre cette année plus de 13% en Turquie, un niveau bénin à côté des 1,000,000% – soit 7% par jour – prévus pour le Venezuela, sans parler des records historiques établis au Zimbabwe ou en Serbie.
Le plus sidérant est que tout ceci est bien connu et donc parfaitement prévisible. Que se passe-t-il dans la tête des autocrates ? Une possibilité est qu’ils sont ignorants et s’imaginent qu’ils vont pouvoir endiguer la montée du péril. Erdogan a fait jeter en prison les porteurs de mauvaises nouvelles et autres spéculateurs qu’il considère responsables, une recette aussi ancienne qu’inefficace. Maduro a changé le nom de la monnaie après avoir supprimé quelques zéros aux prix, ce qui n’est ni plus original ni plus efficace. Tous cherchent ensuite à contrôler de manière administrative les prix. Il suffit alors d’emprisonner les commerçants récalcitrants pour produire des chiffres d’inflation bien meilleurs. Mais le commerce et la production migrent alors sur le marché noir, qui devient le vrai baromètre. Au passage, les recettes fiscales s’effondrent, ce qui accélère la création monétaire et l’inflation réelle.
Une autre possible interprétation est que l’autocrate ne cherche qu’à gagner du temps en attendant un miracle bien improbable. Les époux Kirchner ont perdu le pouvoir et laissé à leur successeur, le président Macri, une situation tellement compromise qu’il a dû demander au début de l’été l’aide du FMI. Christina Kirchner peut maintenant se moquer de Macri. Les généraux brésiliens avaient appliqué la même recette et ont laissé après 1985 leurs successeurs se débattre pendant des années, avec beaucoup de maladresse il est vrai. Mugabe a trouvé la solution en abandonnant la monnaie nationale et en adoptant le dollar, au prix d’une profonde récession. Il a alors habilement chargé son Premier ministre, choisi dans les rangs de l’opposition, de s’en occuper, ce qui a décrédibilisé l’opposition.
Les autocrates peuvent discipliner la population, écraser les oppositions, réduire la presse au silence, détourner la justice, éventuellement déclencher des aventures militaires, mais ils ne peuvent pas faire plier les principes économiques. D’ailleurs, certains autocrates, même parmi les plus horribles comme Hitler ou Pinochet, ont pu faire appel à des personnes compétentes. C’est aussi, en partie, le cas de Poutine. D’autres, en revanche, semblent incapable d’accepter la discipline que suggèrent les principes économiques. Tous échouent systématiquement, et la crise qui s’ensuit assure leur chute. Maigre consolation.
Mais la leçon est bien plus générale. Même dans une démocratie, des politiciens ignorants et sûrs d’eux-mêmes peuvent créer des dégâts considérables. On pense à la Grande-Bretagne et son impossible Brexit, rendu populaire grâce à des promesses insensées. On pense surtout à Trump. Il s’est entouré de conseillers aussi zélés qu’incompétents voire malhonnêtes. Il est convaincu que ses techniques de négociation, acquises dans le monde particulier de l’immobilier, s’appliquent aux affaires de l’État. Ses coups de boutoir tous azimuts peuvent peut-être débloquer des situations malsaines, comme le protectionnisme de la Chine. Mais ses bontés à son électorat (défense des industries vieillissantes et polluantes, attaques contre le système commercial multilatéral, réforme fiscale qui profite aux hauts revenus), la destruction de la réglementation financière mise en place après la crise de 2008 ou ses critiques à l’égard de la banque centrale sont autant d’hérésies qui finiront par coûter cher. Aux États-Unis d’abord, au reste du monde ensuite. À un moindre degré, bien sûr, nous sommes tous des Vénézuéliens et des Turcs.
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