Emmanuel Macron et la mythologie de la start-up edit
Emmanuel Macron aime les start-up. Dans sa fresque pour l’avenir, la figure centrale, c’est la petite entreprise de la technologie innovante. Comme conseiller à l’Elysée puis comme ministre, il n’a cessé d’honorer la French Tech. Il a fait appel à une pépite française, Liegey Muller Pons, créatrice d’un logiciel d'analyse de données sociodémographiques, pour amplifier son mouvement de marcheurs. Une des mesures-phares de son programme, la réforme de la protection sociale, qui permet d’accorder le droit au chômage pour les indépendants, exprime limpidement un encouragement à l’entrepreneuriat. Mais à qui profitera cette profession de foi en faveur de la start up ?
Pour beaucoup de jeunes, l’image de l’entreprise a pris un splendide coup d’embellissement grâce à la start up. Cet emblème de l’économie du XXIe siècle a déjà une longue histoire. Elle repose sur le postulat selon lequel les nouveaux marchés ne naissent plus d’une demande du consommateur, mais de l’émergence d’un concept « génial », disruptif selon la rhétorique de la Silicon Valley, qui va orienter les choix du client. L »enjeu, c'est alors de trouver les idées auxquelles le consommateur n’a lui-même jamais pensé. Il ne s’agit pas de prévoir bêtement le futur mais, superbement, de le convoquer en lançant un pari insensé. Inciter des chercheurs ou des inventeurs, le plus souvent dotés d’une expérience dans les nouvelles technologies et mus d’une créativité féconde, à lancer leur start up en s’associant avec du capital risque : voici le cœur de l’économie émergente. L’exemple type cité par Clayton M. Christensen, qui a conceptualisé cette philosophie entrepreneuriale en 1997 dans son livre The Innovator’s Dilemma, c’est quand les fabricants d’ordinateurs décidèrent de lancer sur le marché des ordinateurs personnels – de faible qualité à l’époque, mais très abordables par le prix – au tournant des années 70.
En France, pays où le citoyen lambda suspecte facilement l’activité entrepreneuriale de mille turpitudes, plusieurs intellectuels ou chercheurs devenus eux-mêmes startupers ont contribué à promouvoir l’éclat glamour de la start up (Jacques Lewiner, Hervé Lebret, Nicolas Colin, etc). Derrière ces intellectuels d’un nouveau style se cachent souvent des ingénieurs. L’entreprise, surtout si elle est de caractère innovant et à taille humaine, y a gagné une estime nationale, presqu’une réhabilitation. La mythologie de la start up nourrit le fantasme de la démocratisation du génie, détecter une trouvaille qui va révolutionner la société, et celui du pari fulgurant qui peut, éventuellement, rapporter gros.
Pour la jeunesse européenne le côté séduisant de la start up, pourtant, n’est pas tant d’importer l’esprit californien, mais de bénéficier d’un travail indépendant. Ceci prouve la vitalité, dans le monde contemporain, de l’aspiration à la liberté, du souhait d’être maitre chez soi et de s’affranchir des rapports hiérarchiques qui imprègnent la grande entreprise ou l’administration. Une étude de comparaison internationale réalisée par Yougov auprès des « Millenials » (les 16-36 ans »), montre la désaffection à l’égard de ces entités. Seulement 26 % d’entre eux souhaitent travailler dans une grande entreprise internationale ou nationale. Lorsqu’on demande aux jeunes français, le type de carrière qu’ils souhaitent le plus, 50 % d’entre eux citent « être free-lancer » avec la liberté que cela implique. Le score est le même en Allemagne (51%), mais il est beaucoup plus faible auprès des jeunes au Royaume-Uni (26%), et aux Pays-Bas (32%).
L’attrait de la start up renvoie aussi à la possibilité de créer son propre emploi pour ceux qui n’en ont pas. « Je lance ma start up », pour un chauffeur Uber, est plus satisfaisant et plus rémunérateur que de galérer comme bénéficiaire à vie du RSA.
En France, la création d’entreprise est poussée par un vent porteur, même si, la plupart du temps, celle-ci ne correspond pas à la start up type magnifiée par les magazines économiques. En 2016, 554 000 entreprises ont été créées soit 6% de plus qu’en 2015 (source : INSEE). Mais ce sont, comme les années précédentes, les commerces de réparation d’automobiles et de motocycles (97000 créations), les activités spécialisés scientifiques et techniques (90 600 créations) et le domaine de la construction (61 600 créations) qui fournissent les plus gros contingents. Par delà ces chiffres, on note des tendances. Avec un accroissement des créations de 56% en 2016, le secteur « transports et entreposage », particulièrement dopé en Ile-de-France, contribue pour plus de la moitié à cette croissance – celle-ci était déjà forte les deux années d’avant. Dans ce secteur, l’âge moyen du créateur est de 29 ans. Par ailleurs, le nombre de petites entreprises liées à des activités d’information et de communication, des activités scientifiques techniques, ou à l’immobilier connait un essor.
Clairement, la création d’entreprise suit deux courbes montantes : celle de l’ubérisation des emplois dans les services, des emplois remplis sous le statut de l’auto entrepreneuriat, en particulier pour des jeunes dotés d’un faible capital scolaire, d’une part ; l’inclination des hauts diplômés à devenir consultant ou startuper, de l’autre. Cette dernière tendance, pourtant, doit être évaluée à sa juste dimension. Ainsi, en 2016, 5 % des sortants des grandes écoles étaient en train de créer une entreprise, surtout chez les hommes diplômés d’une grande école de commerce (9, 1%). Ces écoles se calquent sur le modèle des Universités américaines, en fournissant des facilités aux étudiants pour initier leur projet durant leur scolarité. Devenir cadre constituait, il n’y a pas si longtemps, le ciel d’espérance du salarié : un gage pour des avantages monétaires, une meilleure protection sociale et aussi un statut flatteur, qui auréole d’une autorité symbolique. Aujourd’hui, l’activité dont la cote monte en flèche à la bourse des valeurs des nouvelles élites, celle qui brille de modernité, c’est le founder, ou bien le consultant.
Ces deux évolutions économiques n’ont que peu à voir l’une avec l’autre. La logique start up figure dans le champ de l’innovation techno économique et vise à tirer l’ensemble de l’économie. La logique d’ubérisation a un impact dans le champ du travail, puisqu’elle consiste à déléguer la bonne fin d’une activité à des acteurs sous-traitants, qui en assument les risques inhérents ainsi que leur propre protection sociale, ce qui les fragilise. L’envolée lyrique en faveur de la start up a sûrement davantage d’écho auprès des étudiants des grandes écoles qu’auprès des jeunes de banlieue, où la vision de l’auto entrepreneuriat est revêtue de toutes les ambiguïtés attachées aux emplois « ubérisés ».
« Les jeunes Français doivent avoir envie de devenir milliardaires », déclarait l’ex-ministre de l'Economie lors de sa visite au Consumer Electronics Show de Las Vegas en 2015. Un appel qui loin d’être dissonant dans le cadre d’une économie libérale, s’adresse en principe à toutes les catégories de jeunes. Mais qui l’entend ? « 78 % des fondateurs français d’entreprises ayant participé au CES de 2015 ont été formés dans les Grandes Ecoles » précise la conférence de Grandes Ecoles. Il faut donc tempérer la vision de la start up comme rampe de la mobilité sociale ascendante, puisque, dans la plupart des cas, elle constitue le secteur d’investissement des jeunes les plus dotés en capital scolaire et culturel.
Pour la jeunesse en panne d’insertion, Emmanuel Macron annonce des mesures classiques. Par exemple, la limitation à 12 élèves pour les petites classes dans les zones d’éducation prioritaire (une politique qui portera ses fruits dans vingt ans), ou l’intensification de la formation continue. Il propose aussi la création d’emplois « francs » : les emplois attribués à des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville seraient exonérés de charges. Par delà, une politique véritablement disruptive serait de créer un écosystème permettant à des jeunes en difficulté de devenir des startupers et donc de participer à la transition numérique – formation à la gestion dans les filières techniques, valorisation de l’innovation, création de makerspaces, financements collaboratifs, etc. Un avenir désirable, ce n’est pas seulement d’avoir un emploi, mais de pouvoir être partie prenante de l’esprit du temps de sa génération.
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