Oui, il faut arrêter les emplois aidés! edit
Depuis plusieurs mois une complainte se répand dans les médias, l’opposition politique, les collectivités locales et les associations, pour fustiger l’abandon progressif des emplois aidés[1] (dits d’avenir) mis en place en 2012 et qui formaient un pan essentiel de sa politique de l’emploi. Dernier épisode en date, à l’Emission politique sur France 2 le 27 septembre, la maire LR de Chanteloup-les-Vignes reproche avec virulence au Premier ministre l’abandon de cette politique. Il est vrai que tous les gouvernements successifs depuis 35 ans, de droite et de gauche, ont abondamment utilisé les emplois aidés, depuis les TUC inventés par Laurent Fabius en 1984.
Ce qui est sidérant dans ces critiques c’est qu’elles portent essentiellement sur le tort que cette restriction des emplois aidés ferait aux associations et aux collectivités locales, comme si ce dispositif avait été conçu principalement en leur faveur ! C’est évidemment faux, une réécriture complète de l’histoire mais qui éclaire d’une lumière crue les carences et l’hypocrisie de cette politique. Revenons quelques années en arrière.
Cette mesure était la mesure phare du programme de François Hollande en faveur des jeunes de 16 à 25 ans peu ou pas qualifiés, le candidat socialiste ayant axé sa campagne sur la jeunesse. La mesure – des emplois réservés à cette catégorie et subventionnés à hauteur de 75% du SMIC pendant trois ans – est sans aucune ambiguïté une mesure de politique de l’emploi. C’est bien essentiellement dans le secteur non marchand que ces emplois devaient être proposés aux jeunes, mais il n’a jamais été question de la présenter comme une aide aux associations et aux collectivités locales. D’ailleurs au début du lancement de la mesure, celles-ci, au départ peu enthousiastes, étaient mises sous pression par le pouvoir politique pour remplir ce que celui-ci considérait comme leurs obligations. Or voilà qu’aujourd’hui, à écouter les plaintes qui s’expriment, l’arrêt des emplois aidés serait un coup porté aux associations et aux collectivités locales. On entend même dans bien des cas que, faute de ce soutien, elles ne pourraient plus remplir correctement leurs missions.
Bien évidemment, dans un certain sens les emplois aidés dans le secteur non marchand peuvent se comprendre comme une subvention indirecte aux collectivités publiques ou parapubliques qui en bénéficient. En effet, celles-ci sont contraintes budgétairement et n’auraient pas pu embaucher la personne bénéficiaire sans l’aide publique. Elles peuvent donc théoriquement, grâce à ces emplois, répondre à des besoins nouveaux ou non satisfaits. Dans la pratique cependant, en ce qui concerne les emplois d’avenir, étant donné la politique du chiffre[2] qui a été menée pour tenter de faire baisser à tout prix le chômage et satisfaire la promesse de François Hollande, il est peu probable que cet effet de réponse à des besoins émergents ait concerné une part importante de ces emplois.
Un dispositif coûteux et inefficace
Et les jeunes, destinataires principaux de cette politique ? Personne n’en parle ou si peu. Et pour cause. Car cette politique est vouée à l’échec. Bien sûr certains jeunes peuvent en avoir tiré profit, ayant occupé une activité au lieu de demeurer au chômage. Mais une politique doit s’apprécier dans son ensemble et sur la durée en faisant le rapport de son coût et de ses résultats à moyen terme. Le coût pour les finances publiques est très élevé, plus de 10 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat de François Hollande, selon l’IFRAP. Le bilan statistique des emplois d’avenir n’a pas pu encore être conduit la mesure étant trop récente. Mais on connaît depuis longtemps les résultats concernant des politiques équivalentes qui ont menées en France et en Europe. Et le bilan est sans appel. Ces politiques très coûteuses n’améliorent pas le retour à l’emploi dans le secteur marchand si on compare, comme l’ont fait un certain nombre d’études, le devenir des bénéficiaires à celui de jeunes de même profil n’ayant pas bénéficié de la mesure.
Ces études sont nombreuses en Europe et en France et toutes vont dans le même sens : les emplois aidés dans le secteur marchand ont un effet positif sur l’accès à l’emploi à la fin de la mesure (avec un bémol sur les possibles effets d’aubaine), alors que cette politique appliquée au secteur non marchand a des effets nuls et souvent négatifs. On peut citer, parmi beaucoup d’autres, l’étude de Barbara Sianesi en Suède sur les programmes mis en œuvre dans ce pays dans les années 1990, de nombreuses études de Denis Fougères et Bruno Crépon pour la France au début des années 2000, et plus récemment plusieurs études de la DARES[3].
Les dernières études de la DARES sur les contrats aidés qui avaient été mis en place en 2005 dans le cadre de la loi de cohésion sociale montrent même un effet négatif de ce type de mesure dans le secteur non marchand. Deux facteurs peuvent l’expliquer. Tout d’abord un effet d’enfermement. Les jeunes recrutés sur ces emplois dans des associations ou des collectivités locales y exercent des fonctions trop éloignées des emplois auxquels ils pourraient postuler dans le secteur marchand, alors que ces emplois n’ont pas vocation à être pérennisés dans le secteur public ou associatif (ils ne peuvent l’être pour des raisons budgétaires une fois l’aide parvenue à son terme). Ces emplois peuvent donc difficilement jouer le rôle d’un marchepied vers l’accès pérenne à l’emploi. L’association d’une formation à l’occupation de l’emploi aidé limite cet effet négatif, mais concernant les emplois d’avenir cette disposition, pourtant prévue dans le dispositif initial, est loin d’avoir été mise en œuvre de manière systématique et efficace. L’actuel ministère du Travail évalue à 36% la part des jeunes en contrats aidés qui en bénéficient, pour une moyenne de trois jours par mois ! Le deuxième facteur pourrait être un effet de stigmatisation, le passage par un emploi aidé dans le secteur non marchand pouvant être interprété comme un signal négatif par une partie des employeurs.
Au total le bilan est donc clairement négatif. Ce qui étonne d’ailleurs, concernant les emplois d’avenir, c’est que ces évaluations des emplois aidés dans le secteur non marchand existaient bien avant 2012 et étaient connues de tous les spécialistes du marché du travail. Pourquoi alors François Hollande en a-t-il fait une mesure phare de son programme ? Méconnaissance ou cynisme ?
Tout sur la formation
Muriel Pénicaud a donc eu tout à fait raison de vouloir réduire la voilure sur les emplois aidés. Ce n’est pas pour autant que les pouvoirs publics doivent rester les bras ballants face aux difficultés des jeunes peu ou pas qualifiés. Ces difficultés, on l’a rappelé souvent dans ces colonnes, sont réelles et s’aggravent d’année en année. Il est donc urgent d’agir. Sur ce plan, certaines des mesures présentées dans le cadre du plan pauvreté vont dans le bon sens.
Les expériences étrangères dont l’efficacité a pu être évaluée montrent que facteur-clé est la formation. Dans plusieurs pays scandinaves les pouvoirs publics ont l’obligation de proposer une formation de longue durée (souvent 18 mois) à tout jeune sorti du système éducatif et sans emploi, ceux qu’on appelle les NEET (acronyme anglais pour Not in Education, Employment or Training).
Le gouvernement a prévu, dans le cadre du plan pauvreté, un dispositif de ce type, avec une formule à double détente. Le premier volet concerne 20 000 jeunes décrocheurs de 16-18 ans chaque année auxquels les pouvoirs publics seront dans l’obligation de proposer un accompagnement et une formation. Le gouvernement a décidé par ailleurs d’étendre la garantie jeunes, pour le coup une bonne mesure du précédent quinquennat, pour la tranche d’âge supérieure (jusqu’à 26 ans). Il s’agit là encore de proposer une solution, en termes de formation ou d’emploi, à des jeunes chômeurs en assortissant cette proposition d’une aide financière. Les missions locales seront mobilisées pour aller au-devant de ces jeunes, les convoquer et leur proposer une solution.
Ces mesures sont séduisantes sur le papier, mais il faudra bien sûr être attentif aux conditions de mise en œuvre et notamment de repérage et de suivi des décrocheurs qui, aujourd’hui, sortent sans bruit des radars des politiques sociales.
La philosophie est en tout cas bien différente de celle des emplois d’avenir et on ne peut que s’en réjouir : plutôt que d’occuper de manière artificielle des jeunes dans des tâches subalternes, et en réalité sans avenir, tenter de les remettre sur le chemin de l’emploi par la formation et l’accompagnement individualisé. Reste la mise en œuvre qui est loin d’être simple et qui sera véritablement la clé du succès.
[1] La décrue est d’ailleurs progressive : le stock de contrats aidés pour les jeunes de moins de 26 ans est passé de 100 000 en 2015 à 55 000 en 2017 (dont 71 000 emplois d’avenir non marchand en 2015 et 34 000 en 2017).
[2] Le nombre total de bénéficiaires de contrats aidés fin 2016 a atteint 456 723, soit une hause de 76,2% sur ce quinquennat qui n'est pas parvenu à en inverser la courbe du chômage pour autant (source : IFRAP).
[3] Voir notamment Isabelle Benoteau, « Quels effets du recrutement en contrat aidé sur la trajectoire professionnelle ? Une évaluation à partir du Panel 2008 », Économie et statistique, n° 477, 2015
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