Une vertu en trompe-l'œil edit
La Commission européenne a récemment révisé à la baisse ses prévisions de croissance. Elle prévoit désormais une contraction du PIB de la zone euro de 1,9% en 2009. Onze des seize États-membres de la zone seraient ainsi en récession en 2009, la baisse du PIB pouvant aller jusqu'à -5% en Irlande. Sous l'effet des stabilisateurs automatiques et des plans de relance, la moitié des États-membres de la zone euro pourraient afficher en fin d'année un déficit budgétaire supérieur au seuil de 3% du PIB. La Commission prévoit des déficits particulièrement importants en Irlande (11% du PIB) et en Espagne (6,2%). Comment des pays aussi vertueux que l'Irlande et l'Espagne ont-ils pu soudainement sombrer dans des déficits abyssaux ?
L'un et l'autre figuraient, jusqu'à une date récente, parmi les plus vertueux de la zone euro. De 1999 à 2007, aucun des deux n'a atteint ni même approché la barre des 3%. En moyenne, le solde budgétaire a été proche de l'équilibre en Espagne, tandis que l'Irlande a affiché un insolent excédent de 1,6% du PIB. Tous les autres membres de la zone euro sauf la Belgique, la Finlande et le Luxembourg ont franchi le seuil de 3% au moins une fois durant cette période, et cinq d'entre eux (Allemagne, France, Grèce, Italie, Portugal) l'ont fait plusieurs fois.
La vulnérabilité de l'Espagne et de l'Irlande à la crise actuelle est bien connue : elle provient essentiellement de bulles immobilières assorties d'un surendettement des ménages. Lorsque la bulle éclate, l'économie s'effondre et le gouvernement ne peut pas faire autrement que de dépenser plus et d'admettre de recevoir moins de recettes fiscales pour soutenir l'économie. Pourquoi ces deux pays ont-ils connu de telles bulles spéculatives ?
Une raison fréquemment invoquée est qu'ils ont bénéficié de taux d'intérêt réels très faibles, voire négatifs - résultat de taux d'intérêt nominaux faibles en zone euro et de taux d'inflation élevés dans chacun de ces deux pays. Dès 1999, les gouvernements savaient que les taux d'intérêt réels pourraient devenir stabilisants en union monétaire, puisque les pays à forte inflation se retrouveraient avec des taux d'intérêts réels faibles, lesquels à leur tour alimenteraient l'inflation en stimulant la demande. Pourtant, l'expérience montre que les pays inflationnistes n'ont pas réagi aussi vigoureusement qu'ils auraient dû. En dépit de finances publiques solides (et, dans le cas de l'Espagne, d'un solde budgétaire en hausse régulière), l'Espagne et l'Irlande ont connu des déficits extérieurs courants croissants. En 2007, le déficit courant atteignait 10% du PIB en Espagne et 5% en Irlande. Comme le solde extérieur courant n'est rien d'autre que l'excès de revenu sur la dépense au niveau national, ceci signifie que les deux pays souffraient d'un excès de dépense, non pas de la part du secteur public, mais de la part du secteur privé.
Rétrospectivement, il semble que l'accent mis sur l'épargne publique (à travers le Pacte de stabilité et de croissance) a amené les Européens à négliger l'évolution de l'épargne privée. En 2000, dans le cadre des Grandes orientations de la politique économique, la Commission européenne et les ministres de l'ECOFIN avaient demandé à l'Irlande de resserrer sa politique budgétaire afin de calmer une économie en surchauffe. Au contraire, le gouvernement irlandais réduisit les impôts, de sorte que le solde budgétaire corrigé du cycle chuta de 5% du PIB en 2000 à 1,4% en 2001, hors intérêts de la dette. Bien sûr, des États prodigues ont peu de légitimité à exiger davantage d'excédents budgétaires de la part des États vertueux. Peut-être les partenaires de l'Irlande auraient-ils pu mettre davantage l'accent sur d'autres moyens d'enrayer la bulle immobilière, comme la réglementation et la fiscalité des prêts hypothécaires. Néanmoins, la crise actuelle montre que la vertu de l'Irlande et de l'Espagne était largement un trompe-l'œil, comme si les gouvernements avaient caché leurs déficits dans ceux du secteur privé.
Aujourd'hui, la Commission européenne et la BCE demandent aux États-membres des engagements clairs sur la manière de ramener leurs finances publiques à l'équilibre à moyen terme. Le problème est que ces engagements, inscrits dans les programmes de stabilité des États, ont peu de chances d'être crédible puisqu'ils contredisent le mot d'ordre du Fonds monétaire international, qui est de se tenir prêt à dépenser plus si nécessaire, dans un environnement où personne ne sait quand la reprise mondiale surviendra. Une solution pourrait être, comme l'a récemment suggéré le FMI, de s'engager à revenir vers l'équilibre budgétaire lorsque le taux de croissance du PIB aura atteint un certain seuil positif.
À plus long terme, on pourrait imaginer un Pacte de stabilité plus symétrique entre les périodes de récessions d'une part, les périodes de forte croissance d'autre part. Déjà, le Pacte révisé de 2005 exige une amélioration du solde budgétaire corrigé du cycle d'au moins 0,5% par an en période faste. Au-delà de ce dispositif, une procédure de surveillance particulière pourrait être mise en place pour les périodes d' " expansion exceptionnelle ". Cette surveillance pourrait comporter différentes exigences budgétaires selon le niveau de la production par rapport à la production potentielle ou, pourquoi pas, selon le niveau du solde extérieur par rapport à sa valeur " soutenable ", liée à la croissance potentielle. Bien sûr, les déficits publics excessifs mettent en danger la zone euro ; mais ce que nous avons découvert ces dernières semaines, c'est que des déficits privés excessifs peuvent rapidement contaminer des finances publiques a priori saines : l'équilibre entre épargne et investissement privé devrait faire partie de la surveillance des États membres, au même titre que les soldes budgétaires.
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