Le jour d’après… edit
Qu’elle était belle la campagne avec ce peuple vibrant aux slogans de répudiation de la dette, de fin de l'austérité, d’élimination de la Troïka, de retour à la gratuité des services publics, de pensions et de salaires relevés. Quelle fierté pour le peuple grec, hier homme malade et assisté de l’Europe, voué à la tyrannie des créanciers, sommé de renoncer à ses traditions sociales et aujourd'hui célébré pour son vote insurrectionnel, pour son leadership alter-européen, pour ses audaces programmatiques qui ouvrent la voie aux peuples espagnols et français. Les déclarations d’officiels allemands invitant à refermer la parenthèse électorale et à reconduire les programmes et les pratiques anciennes paraissaient presque irréalistes et insensibles à l’air du temps.
Et pourtant, Alexis Tsipras est sans doute dans une situation plus favorable que son prédécesseur pour réaliser l’ajustement structurel nécessaire et porté par la Troïka, c’est-à-dire des réformes structurelles en matière fiscale, sociale et de gouvernance en échange d’un étalement de la dette et d’un allègement de l’austérité. Pourquoi ? Parce qu’il peut capitaliser sur les efforts déjà faits et qu’il n’a rien à voir avec la partitocratie corrompue et clientéliste qui a faussement alterné au gouvernement du pays.
Les jours et les semaines qui viennent vont être décisifs car il appartient à Alexis Tsipras de faire rapidement le départ entre ambitions légitimes, urgences sociales et illusions d’une restauration de l’ancien régime socio-administratif et d’une nouvelle ère de redistribution non financée.
Il lui appartient aussi d’indiquer d’emblée ce qui relève des prérogatives souveraines du peuple grec et ce qui relève de la constitution économique de l’Europe et des accords internationaux. Nul ne lui en voudra de réformer la fiscalité, de taxer les plus riches, de réorienter la dépense publique. Mais il serait illusoire de prétendre répudier les engagements européens de la Grèce et asseoir pour moitié le financement du programme d’urgence du gouvernement Siryza avec de l’argent européen !
Il y a trois volets dans le programme de Siryza. Le premier vise à recréer les conditions durables d’un retour à la croissance. Il porte essentiellement sur la renégociation de la dette, la relance de l’emploi et de l’activité. Le deuxième est un programme d’urgence pour réparer les effets de l’extrême pauvreté résultant d’une cure austéritaire particulièrement sévère pour les petites gens. Le troisième relève d’une logique de restauration, d’une remise en cause de réformes négociées avec la Troïka dans le cadre de la mise en œuvre des plans d’ajustement structurels, et que Syriza entend remettre en cause.
Le premier volet organise la rupture avec l’ordre ancien puisqu’il répudie la Troïka, met un terme aux MOU négociés avec l’UE et le FMI et appelle à la réunion d’une Conférence européenne de la dette qui, inspirée du modèle de 1953 sur la renégociation de la dette allemande, doit aboutir à l’abandon d’une partie de la dette grecque.
Lorsqu’ils s’expriment sur la dette, les nouveaux dirigeants grecs usent de trois arguments difficilement contestables. D’une part la dette est passée de 127% du PIB au début de la crise à 175% aujourd’hui par l’effet mécanique des plans d’austérité appliqués au pays. D’autre part la Troïka s’est régulièrement trompée sur les effets des mesures d’austérité ; le FMI du reste l’a reconnu publiquement. Enfin l’Europe s’est autant sauvée qu’elle a sauvé la Grèce puisque les dettes nouvelles ont permis d’éviter la crise bancaire européenne. Hans-Werner Sinn a même déclaré que le premier plan de sauvetage grec a surtout sauvé les banques françaises ! Réduire d’un tiers la dette, alors que la Grèce n’a pas bénéficié d’argent nouveau, qu’elle a payé son sauvetage d’un effondrement de son PIB (-26%), d’une envolée du chômage à 26%, d’une dégradation du service public de santé, du sacrifice d’une génération (50% de chômage des jeunes) et d’une baisse massive des retraites, des salaires du secteur public et du salaire minimum, n’est pas illégitime.
Le deuxième volet porte sur la stimulation de la croissance. Formellement le programme de reconstruction nationale de Alexis Tsipras prévoit de mobiliser 11,4 milliards d’euros financés grâce à la lutte contre la fraude fiscale et au redéploiement d’aides européennes pour faire face à la crise humanitaire, relancer l’économie par un plan national de création d’emplois restaurer la justice sociale et, réformer le système politique.
Qu’il faille desserrer l'étreinte pour les plus pauvres ayant subi de plein fouet les coupes brutales dans l’Etat-providence est légitime, d’où les engagements de Tsipras pour une électricité gratuite, la distribution de repas gratuits et les mesures d’accès au système de santé pour les plus pauvres.
Qu’il faille augmenter les impôts pour les plus riches, supprimer les privilèges fiscaux des armateurs, de l’Église orthodoxe et des grands propriétaires fonciers, est certainement bienvenu, de même que l’accélération de la réalisation du cadastre et la modernisation des services fiscaux.
À l’inverse, recruter 100 000 nouveaux fonctionnaires et supprimer l’impôt foncier, d’un bon rendement, payé par tout le monde et prélevé sur la facture d’électricité, ne sont pas des mesures évidentes et urgentes. C’est par ce type de choix que s’opère le glissement des mesures légitimes vers des orientations contestables.
Le troisième volet du programme Siryza relève d’une logique de restauration. Le parti d’Alexis Tsipras remet en cause des réformes majeures menées par les précédents gouvernements en matière de retraites, de droit du travail, de privatisations. Le retour rapide à des niveaux de pension d’avant crise, l’augmentation sensible du salaire minimum, l’allégement de la pression fiscale sur les revenus modestes se justifieraient si le retour à la croissance était durable, si l’équilibre budgétaire primaire était durable et si une solution durable à la dette étaient acquis ; or tel n’est pas le cas. Le choix d’un retour à des législations qui rigidifient le marché du travail et rendent problématiques les privatisations n’est certainement pas justifié, ni au regard des intérêts de moyen terme de l’économie grecque, ni des engagements pris auprès des partenaires européens.
Dans la négociation qui va s’engager il est de bonne guerre d’afficher des positions initiales maximalistes, mais en veillant toutefois à ne pas prendre dans l’enthousiasme des lendemains de victoire des mesures irréversibles car les termes d’un compromis dynamique pour la Grèce et l’Europe existent.
L’Europe doit accepter la renégociation et la Grèce doit renoncer à la tentation du défaut unilatéral d’autant que le FMI n’a jamais procédé à un effacement de dette et que la BCE ne peut pas le faire davantage avec ses statuts actuels. Les pays européens prêteurs et le FESF doivent contribuer à la réduction du poids de la dette grecque.
Si l’abandon pur et simple de créances est difficile à imaginer tant pour des raisons légales que pour des raisons politiques et symboliques, des solutions techniques existent qui permettent d’aboutir aux mêmes résultats. Un étalement des maturités, une réduction des taux et une indexation du service de la dette sur la croissance peuvent avoir les mêmes effets qu’une réduction de dette.
Si l’acceptation pure et simple du programme Tsipras est inenvisageable car elle comporte des mesures contraires aux engagements grecs qui ont conditionné les crédits accordés et les garanties apportées, il est en revanche possible d’accepter de financer les mesures d’urgence sociale.
L’UE peut même contribuer à la relance de l’activité en mobilisant les crédits non utilisés pour des investissements dans les énergies renouvelables, le numérique, la recherche et la formation.
Le nouveau gouvernement grec, s’il est sincère dans sa volonté de rester dans la zone euro, ne peut que gagner au compromis proposé ici : poursuite et amplification des réformes structurelles contre aménagement de la dette et des programmes d’austérité.
Le compromis est donc possible. Mais le processus peut déraper si Tsipras finit par croire à son discours sur la répudiation unilatérale des engagements, si Syriza cède à la surenchère de ses minorités radicales et de son allié eurosceptique de droite extrême, si les Européens durcissent leurs positions en cours de négociation. Alors l'option du défaut et de la sortie de l'euro retrouverait de la crédibilité.
Cette option, loin d’améliorer le sort des Grecs, le dégraderait fondamentalement et ce pour au moins trois raisons : les sacrifices passés qui se traduisent aujourd’hui par le double équilibre (de balance courante et de budget primaire) seraient perdus, le défaut sauvage priverait la Grèce de tout accès aux marchés et aux financements européens, et la dévaluation ne profiterait guère à une économie peu spécialisée, peu réactive et peu compétitive.
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