L’impératif franco-allemand edit
Il a fallu deux ans et demi après l’arrivée au pouvoir de François Hollande pour que l’impératif stratégique de la coopération s’impose dans les relations franco-allemandes. Mais il n’est pas certain que l’Union européenne dans son ensemble en profite.
Le point de départ de cette relance franco-allemande a été la manifestation du 11 janvier à Paris, plus exactement la décision spontanée et immédiate d’Angela Merkel d’y participer. La chancelière allemande a entraîné la présence des autres chefs d’Etat et de gouvernement. Elle a multiplié à l’égard de la France et de François Hollande les gestes publics d’amitié dont elle est peu prodigue.
L’initiative commune qui a débouché sur les négociations de Minsk avec Vladimir Poutine pour tenter de trouver une issue politique à la guerre en Ukraine a encore rapproché la chancelière et le président. Ils ont manifesté une cohésion qui n’a pas peut-être pas impressionné Vladimir Poutine mais qui a au moins resserré le « lien » franco-allemand, pour reprendre le mot employé par François Hollande qui évite le terme de « couple ».
Face aux exigences d’Alexis Tsipras, Paris et Berlin ne se sont pas opposés, contrairement aux attentes du nouveau premier ministre grec. Si la position de François Hollande a été moins rigide que la première réaction d’Angela Merkel – et surtout de son ministre des finances, Wolfgang Schäuble –, la France et l’Allemagne ont joué un rôle dans le compromis qui a été trouvé, conformément à leur rôle traditionnel dans l’Union européenne. Le président de la République a intérêt à chercher une position médiane pour parvenir à la « réorientation » de l’Europe qu’il appelle de ses vœux, mais certainement pas au prix d’une querelle avec l’Allemagne au bénéfice des thèses de la gauche radicale qu’il combat en France même.
Est-ce à dire qu’après plus de deux ans de relations distantes, la traditionnelle coopération franco-allemande retrouve ses droits ? Cette situation ne serait pas exceptionnelle. Un temps d’adaptation a presque toujours était nécessaire entre la France et l’Allemagne quand une alternance politique s’est produite dans l’un ou l’autre pays. Les années passant, le sentiment s’est imposé que les « couples » mythiques – De Gaulle-Adenauer, Giscard-Schmidt, Mitterrand-Kohl, voire Sarkozy-Merkel – se sont formés spontanément. Il n’en est rien. Sauf peut-être pour Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt qui avaient travaillé ensemble en tant que ministres des finances avant d’accéder, presque en même temps au printemps 1974, qui à la présidence de la République, qui à la chancellerie fédérale. Mais Adenauer se méfiait du général qui avait montré son hostilité à l’intégration européenne pendant sa « traversée du désert ». Et De Gaulle ne cacha pas sa déception quand Adenauer laissa le Bundestag ajouter un préambule « atlantiste » au traité de l’Elysée.
Dans les années 1980, ce n’est que près de deux ans après son arrivée à l’Elysée que Mitterrand scella l’entente avec Helmut Kohl par son célèbre discours au Bundestag sur l’arsenal nucléaire à moyenne portée en Europe – « les fusées sont à l’Est et les pacifistes à l’Ouest ». Et si Jacques Chirac et Gerhard Schröder s’entendirent au moins pour violer de concert les règles budgétaires du traité de Maastricht, il a fallu le calamiteux Conseil européen de Nice au cours duquel, en décembre 2000, l’Union européenne a frôlé la catastrophe à cause du désaccord franco-allemand sur la pondération des voix, pour que le président et le chancelier prennent conscience du caractère impérieux de la concertation franco-allemande.
François Hollande a certainement voulu marquer ses distances avec « Merkozy », ce néologisme soulignant la proximité Sarkozy-Merkel, qui ne s’est pas imposée elle-même immédiatement. La relation entre la chancelière et le président a d’abord été empreinte d’incompréhension entre deux tempéraments opposés. « La chancelière réfléchit et moi j’agis », disait Nicolas Sarkozy pour illustrer le contraste entre l’attentisme d’Angela Merkel et son propre volontarisme. La gestion de la crise financière de 2008 les a rapprochés et Nicolas Sarkozy a alors décidé de « coller » à l’Allemagne afin que la France bénéficie du préjugé favorable aux Etats « vertueux ».
L’autre constante de la relation franco-allemande est, pour les dirigeants des deux pays, la tentation « d’aller voir ailleurs ». Outre-Manche ou vers le sud. La Grande-Bretagne est soit comme un contrepoids à l’Allemagne ou comme l’alliée irremplaçable pour la coopération militaire – vue de Paris –, soit comme un contrepoids à la France ou comme une alliée idéologique dans la défense du libéralisme économique – vue de Berlin. La déception a toujours été au rendez-vous. Les Britanniques ont beau avoir des intérêts communs tantôt avec les Français tantôt avec les Allemands, ils ne partagent pas le dénominateur européen minimum qui rapprochent les deux principales puissances continentales. La perspective d’un référendum sur l’Europe et la montée du parti eurosceptique UKIP marginalisent encore plus la Grande-Bretagne dans le jeu européen.
La France a connu des déconvenues comparables avec les Etats du sud. L’alliance des pays du Club Med ou des « cueilleurs d’olives », comme les appelait avec mépris un ministre allemand de l’économie déjà dans les années 1980, n’est pas pour Paris une politique de rechange à la concertation avec l’Allemagne. Elle ne peut être, à la limite, qu’un expédiant tactique dans une négociation. D’abord parce que la France n’a aucun intérêt à être mise dans une même catégorie que des pays à la réputation, justifiée ou non, de laxisme économique et financier, en présenterait-elle quelques caractéristiques. Ensuite, parce que les pays dits du sud ne veulent pas être instrumentalisés par Paris. C’est vrai pour l’Espagne et l’Italie. Pour obtenir un satisfecit de l’UE à sa politique de réformes, Matteo Renzi a plus besoin, lui aussi, de la bienveillance d’Angela Merkel que du soutien de François Hollande.
Difficile donc d’échapper à la question franco-allemande. Les signes récents de rapprochement sont les bienvenus, s’ils ne débouchent pas uniquement sur des exercices de communication sans lendemain. L’ordre du jour annoncé ensemble par Angela Merkel et François Hollande pour le prochain conseil des ministres franco-allemand qui se tiendra fin mars à Berlin est prometteur parce qu’il est concret : immigration, énergie, etc.
Reste à savoir si cette embellie sera durable et surtout si elle aura des effets positifs sur l’Union européenne dans son ensemble. Paris et Berlin n’ont aucun projet européen d’avenir. Angela Merkel se méfie des utopies. Elle a fait sienne la maxime d’Helmut Schmidt – « Celui qui a des visions doit aller chez le médecin ». François Hollande souffre encore du traumatisme du non au référendum de 2005 et constate la progression constante du souverainisme. La tiédeur de l’un sert d’alibi à l’autre. Pourtant la coopération franco-allemande prend tout son sens quand elle est au service d’une ambition européenne. Quand le président et la chancelière parlent ensemble à Vladimir Poutine, ils mettent dans la balance le poids de leur deux pays et en même temps ils représentent l’Europe. Mais ils ne font pas progresser pour autant la politique extérieure commune, qui reste une politique de second choix.
Retrouvez les analyses de Daniel Vernet sur le site Boulevard extérieur.
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