Lettres sur la laïcité, suite edit
La place prise par l’islam dans notre société appelle-t-elle des révisions fondamentales de la laïcité «catho-républicaine» élaborée au fil des siècles? L’État républicain tel qu’il est dispose de tous les moyens pour faire face à la situation nouvelle, développe Alain Bergounioux. L’intégration de l’islam dans la République passe par un combat résolu contre l’islamisme, répond Laurent Bouvet. (Version complète de ces échanges disponible en PDF sur le site de la Fondation Jean-Jaurès, avec laquelle ce texte est copublié)
État républicain
Alain Bergounioux, 29 août 2018
Il n’est pas étonnant que le dernier échange entre Laurent Bouvet et moi en arrive à placer la discussion sur la question de ce qu’est et doit être l’État républicain. Pour avoir une compréhension juste de la laïcité, Laurent Bouvet marque fortement qu’entre deux formes de liberté, il faut choisir, selon ses mots, entre une conception libérale et une conception républicaine. Il écrit, certes, qu’elles sont « en partie compatibles » – on ne voit pas, d’ailleurs, comment il pourrait en être autrement dans une démocratie libérale que nous revendiquons ensemble. Mais il souligne qu’elles ne sont pas « fongibles » – ce que je n’ai jamais pensé ni écrit, dans la mesure où, dans ma deuxième lettre, je parle expressément d’un « conflit de libertés ». La distinction s’impose, et nous en sommes d’accord.
Mais dire que la laïcité est avant tout un principe républicain demande de s’entendre sur la nature de l’État républicain. Le mieux pour ce faire est de privilégier le moment où le débat a été le plus approfondi dans les décennies qui ont précédé et suivi l’installation de la IIIe République. Claude Nicolet, dans un ouvrage déjà ancien de 1982, mais qui fait toujours référence, L’Idée républicaine en France[1], en a offert une explication érudite. Le rôle reconnu de l’État républicain de représenter l’unité de la nation ne lui donne pas pour autant une fin en lui-même. L’État républicain, en effet, trouve au-dessus de lui les droits de l’homme. Selon une formule éclairante du philosophe Charles Renouvier, auteur d’un Manuel républicain de l’homme et du citoyen en 1848, « la République est la cité des consciences autonomes ». C’est tout l’esprit des Lumières qui s’exprime ainsi : la condition du progrès humain est la conquête de l’autonomie par les individus – intellectuelle au premier chef, d’où l’importance de l’éducation. C’est à l’État républicain d’en favoriser les conditions et de la faire respecter. Celle-ci ne peut qu’être complète dans une citoyenneté politique partagée. Les philosophes républicains n’ont pas conçu de séparation entre deux types de libertés, celles des « Anciens » et celles des « Modernes », pour reprendre la célèbre opposition de Benjamin Constant[2], ils sont simplement restés fidèles à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La laïcité s’inscrit nécessairement dans ce cadre. Les tentations (et les tentatives) de définir et d’imposer un dogme républicain ont, certes, été fortes et ont trouvé à s’exprimer à plusieurs reprises. Mais, philosophiquement, il est impossible pour un républicain conséquent, nourri dans la tradition des Lumières, de penser que la détermination des fins individuelles et collectives ne relève pas d’actes libres et volontaires. Il faut, donc, lorsqu’on est plongé dans la complexité du réel, si l’on veut respecter les principes républicains, pour bâtir le cadre de la laïcité, partir de la liberté, conçue comme conquête de l’autonomie des individus, pour en apprécier les conditions de réalisation. Nous pouvons ainsi prendre en compte les tensions et les conflits qui résultent de la confrontation inévitable des libertés individuelles et collectives dans la société.
À partir de là se déduisent un certain nombre de conséquences concrètes pour définir ce que sont les rapports entre les particuliers, membres de la société civile d’un côté, et, de l’autre, l’État et la communauté politique des citoyens. L’universalisme républicain ne veut pas dire que, dans le débat politique, l’État ignore les regroupements sectoriels de toute nature qui structurent la société civile. D’une manière générale, la conception rousseauiste qui voudrait que les citoyens s’abstraient de leurs appartenances particulières dans leur vote tourne le dos à la réalité des démocraties pluralistes. Cela peut être un idéal régulateur. Mais les démocraties pluralistes sont composées, à la fois (encore le « en même temps »…), mais dans des rapports différents, de particuliers et de citoyens. Étant l’État de tous, l’État républicain doit être neutre (en tout cas le plus possible) pour pouvoir traiter à égalité toutes les convictions. Séparation ne veut donc pas dire étanchéité. Dans l’article 2 de la loi de séparation, « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». La notion de reconnaissance veut dire que l’État républicain ne privilégie aucun culte, mais elle ne signifie pas que l’État républicain ne semble pas connaître les particularités des citoyens. Cela fait même partie de sa tâche… Une démocratie, c’est bien sûr un ensemble d’institutions qui reposent sur la liberté du suffrage, mais c’est aussi le respect du pluralisme de la société. La première involution d’un régime démocratique – et les exemples existent aujourd’hui même en Europe – est de vouloir s’attaquer à l’expression du pluralisme de manière arbitraire. Il est évidemment juste de ne vouloir faire aucune différence entre les citoyens de la communauté politique en fonction de leur religion, de leurs origines, de leur sexe et de toute autre particularité. Il est aussi important de n’assigner personne à une communauté et d’affirmer que toutes les communautés partielles doivent respecter les lois républicaines. Mais il ne serait pas républicain de ne pas prendre en compte les groupes particuliers qui composent la société dans leur diversité. Il en va de même pour tous les groupes sociaux, religieux, culturels, etc. Les responsables de l’État républicain doivent les entendre, dialoguer avec eux quand il le faut, sans privilèges ni discriminations, et déterminer, ensuite, selon les procédures institutionnelles légitimes, les décisions politiques qu’ils pensent conformes à l’intérêt général.
J’avoue que je ne vois pas pourquoi Laurent Bouvet ne serait pas en accord avec ces analyses. André Philip, intellectuel et ministre socialiste en 1945, quand l’Assemblée nationale avait créé une Commission parlementaire sur la laïcité, avait donné une définition, souvent citée par Régis Debray, qui ressort de tout cela : « Le cadre laïque se donne les moyens de faire coexister sur un même territoire des individus qui ne partagent pas les mêmes convictions au lieu de les juxtaposer en une mosaïque de communautés fermées sur elles-mêmes et mutuellement exclusives. » La neutralité ne peut donc être pensée comme devant s’imposer à la société. Les limites de l’expression de la liberté religieuse – comme de toute autre liberté, d’ailleurs – s’arrêtent là où commencent les libertés des autres. La laïcité républicaine est toujours nécessairement un équilibre qui ne peut pas être fixé une fois pour toutes, mais évolue selon les enjeux qui apparaissent selon des périodes historiques. Doit-on penser que la place prise par l’islam dans notre société amène à repenser les principes et les pratiques de l’État républicain ? Ces derniers ont été façonnés par le long conflit de l’État avec l’Église catholique – ce qui a conduit certains auteurs à parler d’une laïcité « catho-républicaine »… L’islam demande-t-il, pour autant, des révisions fondamentales, au-delà des mesures à prendre qui lui sont spécifiques, comme à toute religion particulière ? Je pense, pour ma part, que l’État républicain tel qu’il est dispose de tous les moyens pour faire face à la situation nouvelle, qui n’est pas celle de 1905, évidemment. J’ai bien sûr conscience que la question de l’islam n’est pas que religieuse, et qu’elle s’accompagne de tout un débat sur l’identité française, son passé et son avenir. La laïcité demeure cependant un bon fil directeur pour nous orienter dans la période présente, en lui donnant – comme le suggère Laurent Bouvet dans son texte précédent – toute sa dimension républicaine. Nous pourrions peut-être concentrer nos réflexions croisées sur cet objet qui est au cœur des débats présents. Car, si nous savons bien que le croire est la chose du monde la mieux partagée, comme aurait pu le dire Descartes, et qu’il est un besoin universel, préreligieux, comme l’ont établi les anthropologues, tout le problème, ce sont les objets et les formes que prend la croyance, qu’elle soit ou non religieuse.
Une nouvelle question laïque
Laurent Bouvet, 1er mars 2019
Dans les mots de conclusion de son dernier texte, concernant la place de l’islam aujourd’hui dans notre identité collective, Alain Bergounioux soulève ce que nous avons appelé dans un ouvrage récent « la nouvelle question laïque[3] ». Nous sommes là au cœur du débat qui nous occupe.
La principale difficulté de la laïcité aujourd’hui face à l’islam, c’est qu’elle ne permet pas de le traiter, a priori, autrement que comme une religion. La laïcité ne permet pas d’envisager l’islam comme un enjeu culturel et politique, de « civilisation ». Alors qu’on est ici bien au-delà d’un simple problème de gestion du culte musulman. Les revendications identitaires, les tentations communautaristes et séparatistes, les discours idéologiques sur fond d’islam ou encore les évolutions démographiques ne sont pas des questions qui peuvent se résoudre par des décisions techniques, à travers telle ou telle politique publique. Ce sont des enjeux qui touchent directement l’identité commune de tous les Français, musulmans ou non. L’islam est devenu, en trente ans, la deuxième religion française, au moment même où il entrait dans l’âge identitaire, et alors que la société française elle-même connaissait une profonde mutation économique, sociale et culturelle. C’est ce qui donne tout son sens à la nouvelle question laïque. C’est aussi ce qui rend indispensables et urgentes les réponses qui peuvent y être apportées.
Or, la réponse laïque libérale telle que nous l’avons esquissée dans notre dialogue, une réponse caractéristique de notre époque, n’est pas satisfaisante : elle est peu adaptée au contexte sociohistorique français et, surtout, inefficace dès lors qu’il s’agit de faire de la seule liberté de l’individu (résumée en « c’est mon choix ») l’alpha et l’oméga de la manière dont on est supposé « vivre ensemble ». Il s’agit en effet d’une conception de la laïcité détachée de toute profondeur culturelle et qui se situe volontairement hors de tout héritage commun, sinon celui d’un libéralisme individualiste et purement procédural. Dans un tel cadre, les religions sont toutes égales entre elles suivant le principe de neutralité. Celui-ci l’emporte sur leurs différences sociologiques et culturelles, aussi marquées soient-elles – et qui niera la spécificité de l’islam, des islams, devrait-on dire ? Une telle conception fait de la laïcité un lieu sinon vide, du moins neutralisé, sans histoire ni origine. Alors même que, pour qu’elle existe réellement, il a fallu que soit pensée, avant elle, sur plusieurs siècles, la dissociation du théologique et du politique, par exemple. Ainsi, comment laisser de côté les conditions particulières que cette dissociation a elle-même produites, la sécularisation dans et à partir de la domination chrétienne ? Or, une telle dissociation n’existe pas, sous une forme aussi nette et consciente, dans d’autres contextes historiques et dans d’autres civilisations, et assurément pas dans l’islam. Ce n’est en effet qu’à partir du moment où la religion – entendue ici au sens des normes culturelles et sociales que produisent la croyance et le culte – ne joue plus un rôle dominant dans la société que la possibilité et la spécificité laïques se font jour.
L’idée qui fonde la laïcité n’a pu naître que dans un contexte sociohistorique particulier, celui de l’Europe occidentale dominée par le christianisme, et celui de la France monarchique dans son lien particulier avec l’Église catholique. Mais, pour advenir historiquement, elle a consisté en une mise à distance de cette origine. La spécificité laïque, pour se réaliser, doit traiter de manière égale, juridiquement, toutes les religions, y compris celle dont elle est issue culturellement. Ainsi, « les réformateurs républicains pouvaient s’appuyer sur un ensemble de valeurs héritées de la culture chrétienne et profondément ancrées dans la société, sur une conception de la foi valorisant l’intériorité de la conscience au détriment de l’extériorité de la loi, sur une certaine idée de la liberté et de la personne, ainsi que sur la distinction ancienne du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel[4] ». Le régime de compromis qu’inaugure la loi de 1905 est le produit de cette histoire commune. C’est le processus de sécularisation qui rend à un moment donné indispensable un régime politico-juridique qui puisse en reconnaître pleinement les effets sur la société et les individus, un régime spécifique à l’histoire de cette société, un régime spécifique à la France, en l’occurrence.
Or, cette histoire spécifique, irréductible, devient un problème, à la fois philosophique et politique, dès lors que la laïcité est contestée par une religion qui ne la reconnaît pas culturellement, quand ce n’est pas juridiquement, comme un mode légitime de régulation des rapports entre l’État et les religions. C’est évidemment le cas de l’islam, tout spécialement de la revendication identitaire de celui-ci que l’on a pris l’habitude de nommer « islamisme ». D’où toute une série de questions auxquelles il nous faut, impérativement et collectivement, répondre : la laïcité est-elle adaptée au défi posé par l’islam ? Lui faut-il, pour y répondre, amoindrir son exigence de neutralité pour faire de la place à cette religion, s’accommoder de certaines de ses exigences ? Ou bien doit-elle au contraire s’imposer de la même manière à cette religion qu’elle s’est imposée aux autres, y compris dans l’épreuve de force ?
On doit donc absolument comprendre le lien intrinsèque qu’entretient la laïcité avec le substrat civilisationnel dont elle est issue, en reconnaître l’importance, en mesurer l’influence et en distinguer aussi les limites éventuelles, celles qui sont à l’origine de la rupture laïque. De sorte qu’il serait hasardeux de considérer la laïcité et la philosophie républicaine dont elle témoigne comme des lieux vides et abstraits, du moins vidés de toute trace de civilisation au profit d’une forme de rationalisme à plat, sans conscience ni racines. Si « vide » républicain il y a, c’est celui de la neutralité de l’État vis-à-vis de l’ensemble des opinions et convictions qui peuplent la société. Ni plus ni moins. Mais la rigueur procédurale du droit qui en découle n’a pas elle-même davantage de signification que la nécessité de permettre à ces opinions et convictions de s’exprimer librement dans le respect commun. Simplement, pour que cette neutralité et cette rigueur procédurale puissent être garanties à tous, également, dans la société – c’est-à-dire, concrètement, pour qu’elles protègent les plus vulnérables, qu’il s’agisse des élèves de l’école publique ou des femmes musulmanes, par exemple –, il est indispensable qu’elles soient décidées par une communauté de citoyens au sein de laquelle l’idée laïque est pleinement acceptée et reconnue. En clair, il est indispensable que l’on dispose, collectivement, d’une culture politique et historique commune qui serve de cadre au choix de l’agencement des principes de régulation de la société.
Ce « substrat civilisationnel », Pierre Manent le résume ainsi à sa manière : « l’expérience française de la laïcité, loin de donner l’exemple d’une vie commune religieusement neutre et d’un État simplement protecteur des droits individuels, présente la trinité suivante : l’État neutre ou “laïque”, la société des mœurs chrétiennes, la nation sacrée[5] ». Ce qu’il ne dit pas en revanche, lui qui veut d’abord montrer la permanence du lien chrétien, c’est la rupture qui accompagne la naissance de la nation française moderne, celle qui rend possibles la République et, donc, la laïcité. On en trouve une bonne formulation chez un autre philosophe, Bernard Bourgeois : « La France révolutionnaire s’est bien faite nation avant de se faire république, et, plus tard, république laïque. Et si l’on peut lier la laïcité à la république, c’est parce que l’on se représente dans la république ce qui est d’abord une nation. […] Si toute nation, tant s’en faut, ne se constitue pas en État laïque, un État laïque ne peut pas s’instituer sinon sur la base d’une unité d’abord proprement nationale[6]. » C’est d’ailleurs précisément ce sur quoi Ernest Renan, dans sa célèbre conférence sur la nation prononcée à la Sorbonne le 11 mars 1882, mettait déjà l’accent : « La religion ne saurait non plus offrir une base suffisante à l’établissement d’une nationalité moderne. […] De nos jours, la situation est parfaitement claire. Il n’y a plus de masses croyant d’une manière uniforme. Chacun croit et pratique à sa guise, ce qu’il peut, comme il veut. Il n’y a plus de religion d’État ; on peut être français, anglais, allemand, en étant catholique, protestant, israélite, en ne pratiquant aucun culte. La religion est devenue chose individuelle ; elle regarde la conscience de chacun. […] La religion […] garde toute son importance dans le for intérieur de chacun ; mais elle est sortie presque entièrement des raisons qui tracent les limites des peuples[7]. »
S’il est bien un enjeu de civilisation que l’islam soulève aujourd’hui en France, ce n’est pas au regard du christianisme, il ne s’agit pas en effet d’un « choc de civilisations » au sens huntingtonien. Non, l’enjeu est plutôt celui d’une « civilisation des mœurs », à la fois au sens tocquevillien du terme[8] et au sens général de cette expression telle qu’elle a été employée par le sociologue Norbert Elias pour décrire non pas un état mais un processus, celui de la sortie de la société féodale dans l’Occident chrétien[9]. Car ce qui est en cause ici, ce n’est pas l’islam en tant que tel, comme religion, comme dogme ou comme croyance individuelle, ce sont les conséquences politiques, sociales et culturelles qu’impliquent ce dogme et cette croyance lorsqu’ils sont imposés aux autres. On a dit combien la discussion sur le sens du dogme islamique lui-même était vaine, dès lors qu’on se situe dans une perspective non pas théologique, mais politique. Ainsi, les débats sur le caractère incréé ou non de l’islam, sur les différentes interprétations possibles du texte, sur les différences entre le texte dicté par Dieu et les paroles du Prophète, sur le fait de savoir si le port du voile par les femmes est une prescription religieuse ou culturelle, etc., sont tout à fait passionnants et peuvent assurément apporter des éclairages intéressants sur la manière dont les musulmans vivent leur foi, en fonction de telle ou telle lecture de leur religion, mais ils ne peuvent en aucun cas être pris en considération pour décider des règles de l’ordre politique et social laïque dans lequel vivent des musulmans. Pour une raison simple a priori : nul n’a, de l’extérieur de la religion, ni la capacité ni la légitimité pour décider de ce qu’est la bonne ou la mauvaise pratique de l’islam, ce qui est très bien ainsi. Seuls nous intéressent les effets de telle ou telle croyance ; ce sont eux qui sont pris en compte suivant les principes qui régissent, dans notre droit, les trois espaces privé, public et civil que l’on a définis plus haut. Et ce n’est qu’à partir de ces effets, et tout spécialement de la manière dont la religion musulmane se manifeste concrètement dans l’espace civil, celui de la « confrontation » des convictions et des consciences, que l’on peut situer le débat d’un point de vue politique.
C’est à ce point précis du raisonnement qu’intervient la distinction, fondamentale, entre islam et islamisme. Dès lors que l’on passe dans le domaine politique, ce n’est plus de régulation de la religion, au double sens cultuel et culturel, dans le cadre circonscrit par le droit laïque, qu’il s’agit mais d’un combat, au nom de la laïcité, contre des visions du monde, des « valeurs », des idées… déduites de la religion, un combat de nature idéologique, contre l’islamisme. Ce dernier est contraire à la laïcité, non pas parce qu’il serait l’expression d’une opinion particulière, fondée sur un dogme religieux, hostile à la laïcité, mais parce qu’il entraîne, en tant qu’opinion, dans l’espace civil, des conséquences pratiques sur la liberté de conscience, et donc sur la liberté d’expression et sur le mode de vie de certains citoyens, ceux de confession ou de culture musulmane, au premier rang desquels les femmes. C’est justement pourquoi l’intégration de l’islam dans la République passe par un combat résolu et total contre l’islamisme.
[1] Claude Nicolet, L’Idée républicaine en France, Paris, Gallimard, 1982.
[2] Benjamin Constant, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », discours prononcé en 1819.
[3] Laurent Bouvet, La Nouvelle Question laïque. Choisir la République, Paris, Flammarion, 2019. Le présent texte reprend de manière synthétique ce que nous développons plus longuement dans cet ouvrage.
[4] Laurent Fedi, « Laïcité et civilisation », Outre-Terre, 2017/2, n° 51, p. 106.
[5] Pierre Manent, Situation de la France, Paris, Desclée de Brouwer, 2015, p. 33.
[6] Bernard Bourgeois, Sept questions politiques du jour, Paris, Vrin, 2017, pp. 54-55.
[7] Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une Nation ? et autres écrits politiques, Paris, Imprimerie nationale, 1996, pp. 237-238.
[8] « J’entends ici l’expression de mœurs dans le sens qu’attachaient les anciens au mot mores ; non seulement je l’applique aux mœurs proprement dites, qu’on pourrait appeler les habitudes du cœur, mais aux différentes notions que possèdent les hommes, aux diverses opinions qui ont cours au milieu d’eux et à l’ensemble des idées dont se forment les habitudes de l’esprit. Je comprends donc sous ce mot tout l’état moral et intellectuel d’un peuple. » Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, IIe partie, chapitre IX, Gallimard, Folio, [1840] 1986, p. 426.
[9] Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, Paris, Pocket, 2003 (1re éd. 1939).
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