Macron ou le mépris à l’égard des corps intermédiaires? edit
Dans le monde politique, médiatique ou militant, un bruit court et se fait de plus en plus insistant. Le président Macron et plus largement l’exécutif ne tiendraient quasiment aucun compte des propositions que les partenaires sociaux font quant aux réformes en cours. L’exécutif consulte mais ne négocie pas. Il se donne des objectifs par rapport auxquels les partenaires sociaux ont peu ou pas de prises. Certains, issus de la gauche de la gauche ou d’ailleurs, vont même plus loin et accusent le pouvoir d’arrogance voire de mépris à l’égard des syndicats et des corps intermédiaires. Bien sûr, l’attitude adoptée dans des situations précises par l’exécutif a pu alimenter ce sentiment. Lors de la réforme de la formation professionnelle, le gouvernement prit certaines décisions qui ont suscité parmi les partenaires sociaux un mécontentement bien réel. Il en est ainsi de la collecte des fonds concernés qui ne sera plus du ressort des organismes paritaires – les OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) – mais de l’URSSAF qui les transfèrera à la Caisse des dépôts. De la même façon, la fusion des institutions représentatives des personnels réduit de façon importante le nombre des élus dans l’entreprise. Enfin, le gouvernement reste aujourd’hui intransigeant sur le projet de réforme de la SNCF qui sera vraisemblablement adopté dans les délais prévus.
Mais ailleurs, d’autres initiatives gouvernementales contredisent certains jugements sur l’attitude supposée ou réelle du pouvoir à l’égard des partenaires sociaux. Avec les ordonnances sur le code du travail, le rôle contractuel de ces derniers s’est beaucoup renforcé dans l’entreprise et l’autonomie de la négociation locale connaît un niveau jusqu’alors inégalé. Il s’agit là d’une initiative qui, en recentrant la négociation sur l’entreprise, répond aussi à une attente largement partagée par les salariés comme le montrent la plupart des enquêtes. En effet, ceux-ci souhaitent souvent plus de proximité avec leurs élus et reprochent aux syndicats leur éloignement par rapport à eux. Sur un autre registre, de multiples consultations ont lieu depuis le début de l’année afin de renforcer l’association des salariés et des syndicats au fonctionnement et aux résultats de l’entreprise c’est-à-dire à des aspects majeurs de la gouvernance de l’entreprise. Il s’agit là d’initiatives qui se situent loin de toute défiance à l’égard des partenaires sociaux ou des syndicats et pour cause : elles confortent au contraire leur rôle dans l’entreprise et dans des domaines cruciaux ou stratégiques.
Au fond, la situation est beaucoup plus complexe que celle décrite par ceux qui dénoncent l’attitude du pouvoir politique face aux corps intermédiaires et qui ont d’autant plus d’échos qu’ils se veulent directs, simples ou percutants, ce qu’on peut regretter car ils masquent un fait majeur : les rapports entre l’Etat et les partenaires sociaux sont – peut-être – en train d’évoluer profondément et les réduire à des postures d’arrogance du pouvoir conduit à négliger certains aspects essentiels du contexte politique et social actuel.
Du côté de l’État, Emmanuel Macron part d’un constat connu et partagé par beaucoup : la France connaît depuis plus de 20 ans un retard important en matière de réformes ce qui à ses yeux nuit à sa compétitivité économique, à la situation des comptes publics et à son crédit politique auprès de ses partenaires européens et au-delà. Pour lui, la réforme répond désormais à un principe, celui de l’urgence politique à la fois incontournable et indispensable. Il l’a dit durant sa campagne présidentielle et répété depuis. C’est bien sûr de ce point de vue que découle la multitude de réformes déjà faites, en cours ou annoncées pour bientôt comme la réforme des retraites ou celle de l’État. Dans ce contexte où tout est accéléré, on incrimine souvent la faiblesse et la division extrême des syndicats pour expliquer leurs difficultés à faire (vraiment) face à la situation. La remarque est juste mais insuffisante. De façon plus essentielle, le problème se pose à un autre niveau, celui du rôle des corps intermédiaires dans des sociétés qui connaissent de profondes ruptures ce qui renvoie à des faits souvent évidents.
Tel Janus en effet, les corps intermédiaires présentent des visages distincts qu’il ne faut ni diaboliser ni aborder en des termes angéliques. Dans une société moderne, les corps intermédiaires sont des rouages importants de la démocratie (en général) ou de la démocratie sociale lorsqu’ils agissent dans l’entreprise ou dans l’univers des professions. Mais l’on ne saurait limiter leur rôle à cette dimension du moins si l’on se réfère à des contextes sociaux de plus en plus mouvants, soumis à des mutations rapides et incessantes et qui nécessitent des politiques d’anticipation et de réformes plus ou moins assumées. C’est-à-dire lorsque l’on se réfère au paradigme du changement social bien connu des sociologues, un changement qui peut mener à la mise en cause du rôle, de la fonction et du statut des corps intermédiaires.
En effet, par définition, un corps intermédiaire se constitue et s’organise dans une société donnée, à un moment donné et en vertu d’intérêts précis ou définis qu’il est censé représenter et défendre tout en visant autant que faire ce peut à les renforcer. Or, à l’évidence, toute mutation profonde de la société qu’elle soit subie ou volontaire, affecte les intérêts existants et conduit les corps intermédiaires à une simple alternative : s’agit-il pour eux de résister au changement quitte à adopter des stratégies purement défensives voire conservatrices ? Ou de s’adapter aux évolutions voire de les anticiper ? En termes plus crus, on pourrait dire que lorsqu’il est réel et profond, le changement social contraint les corps intermédiaires à se renouveler en profondeur ou les contraint à une pure et simple disparition à plus ou moins long terme. Et c’est en ces termes que se posent aujourd’hui l’avenir des corps intermédiaires et plus spécifiquement des syndicats.
En interdisant les corporations, les tenants de la Première République avaient résolu la question à leur manière. En septembre 1944, le général de Gaulle faisait devant le Conseil national de la Résistance et le gouvernement provisoire, réunis au Palais de Chaillot, un discours où il soulignait sans ambages la suprématie et l’autorité de l’État comme unique représentant de l’intérêt général qui devait toujours l’emporter sur les intérêts particuliers et corporatistes d’où qu’ils viennent. Certes aujourd’hui, de plus en plus nombreux sont ceux qui considèrent Emmanuel Macron comme un libéral, ce qu’il est à l’évidence. Mais certains contextes du passé ne constituent-ils pas à ses yeux, de précieux repères, lui qui se réfère souvent à l’autorité de l’État ? En fait, Emmanuel Macron reste un personnage politique ambigu mais, par-delà ce constat, se pose de façon plus concrète une autre question : libérale et étatiste à la fois, sa politique est-elle ou non tenable à long terme ? Cette question, qui restera sans réponse ici, demeure cruciale. D’autant plus qu’avec elle se pose celle de l’avenir des réformes engagées ainsi que celle de l’instauration de nouveaux rapports entre l’État, les syndicats et les corps intermédiaires qui pourraient rompre avec ceux que nous avons connus depuis les années 1970.
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