Les enjeux de la confrontation israélo-iranienne edit
La question des relations irano-israéliennes constitue d’abord pour la République islamique d’Iran une affaire d’identité idéologique avant d’être une question de politique étrangère. En effet, une stratégie régionale et internationale qui serait fondée sur la défense des intérêts économiques du pays ne ferait pas de la défense de la cause palestinienne et de la contestation de l’ordre hégémonique américain au Moyen-Orient, les principes fondateurs de la politique de Téhéran dans la zone. Historiquement, ces relations ont été marquées par une entente pragmatique à l’époque pahlavie tardive dans le cadre de la doctrine de la périphérie[1] qui réunissait, sur le plan géopolitique, les États non arabes du Moyen-Orient : Israël, l’Iran impérial et la Turquie. Ces trois États évoluent alors dans le cadre des alliances militaires voulues par Washington. La Révolution islamique de 1979 provoque le retrait iranien du CENTO (Central Treaty Organisation)[2] et la perte de l’allié iranien pour Washington. L’Iran de la République islamique ne devient pas pour autant un régime prosoviétique mais il développe une doctrine politique le Khomeynisme qui fait de l’antisionisme militant le cœur de la stratégie régionale de Téhéran et du projet d’exportation de la Révolution islamique dans les mondes musulmans.
Depuis 1979, la confrontation israélo-iranienne est multidimensionnelle : elle est régionale depuis les années 1980 et la création du Hezbollah au Liban jusqu’à la guerre de Syrie depuis 2011 et la guerre du Haut-Karabagh en 2020. À ces tensions régionales, se sont ajoutés la confrontation dans le domaine nucléaire avec la crise internationale autour du programme iranien depuis les révélations de 2002 et l’affrontement dans le cyberespace avec des attaques informatiques récurrentes contre les installations nucléaires iraniennes. À chaque période d’escalade, chaque fois que la République islamique accélère son programme nucléaire, des opérations clandestines sont effectuées en Iran par les services secrets américains et le Mossad pour détruire les installations nucléaires. En 2010, c’est avec le soutien de Washington que Tel Aviv a utilisé le virus informatique Stuxnet pour endommager les installations d’enrichissement d’uranium de Natanz et pour ralentir la mise en service de la centrale de Bouchehr. Il convient de mentionner que l’utilisation du virus Stuxnet a contribué au retard dans la mise en service de la centrale puisque la production d’électricité n’a débuté qu’au début de l’année 2013. Ces cyberattaques se sont poursuivies avec le virus Flame et sa nouvelle version miniFlame.[3] Pendant cette période, on observe également l’élimination de plusieurs scientifiques iraniens travaillant pour le programme nucléaire avec pour objectif de faire peur à l’ensemble de la communauté scientifique impliquée dans cette entreprise[4]. Du point de vue iranien, ces contraintes liées aux pressions économiques internationales et à la guerre larvée des États-Unis et d’Israël contre ses installations nucléaires n’ont pas entraîné une remise en cause des objectifs nucléaires du pays.
En 2020, alors que l’Iran poursuit la stratégie du « less for less » (moins pour moins) dans le cadre de la réduction de ses engagements au sein de l’Accord sur le nucléaire de 2015 en réponse au retrait de Washington de mai 2018, on observe alors une reprise des opérations clandestines. Au mois de juillet 2020 l’incident qui a lieu au sein de l'installation nucléaire de Natanz est selon les autorités iraniennes le résultat d'opérations de sabotage et l'incendie est à l’origine de dommages importants susceptibles de ralentir le développement des centrifugeuses d'enrichissement d'uranium[5]. En réponse, Téhéran poursuit ses attaques informatiques contre des infrastructures hydrauliques israéliennes[6] et l’industrie de défense israélienne[7]. Le 30 novembre 2020, l’assassinat de l’un des responsables du programme nucléaire iranien Mohsen Fakhrizadeh par les services de renseignement israélien relance le débat sur l’efficacité des outils de lutte contre la prolifération nucléaire : faut-il privilégier la voie du compromis diplomatique, les opérations clandestines (covert operation) ou les menaces de frappes contre les installations nucléaires iraniennes ?
Pour le gouvernement israélien, il apparaît nécessaire de choisir la voie de la confrontation militaire pour limiter les ambitions nucléaires iraniennes. Cette élimination du scientifique iranien est pourtant l’une des raisons de la décision iranienne de reprendre l’enrichissement de l’uranium à hauteur de 20%[8]. Cette dernière a été prise en janvier 2021 à l’initiative des factions les plus conservatrices à la fois pour masquer l’incapacité de Téhéran à « venger » Fakhrizadeh en assassinant à son tour un responsable du programme nucléaire militaire israélien mais aussi pour montrer que l’escalade militaire israélo-américaine conduira inéluctablement à la nucléarisation accélérée de la République islamique d’Iran. Cela donne également aux autorités de la République islamique une marge de manœuvre supplémentaire pour négocier de nouvelles contraintes sur son programme nucléaire avec la future Administration Biden. Ces tensions militaires liées au programme nucléaire iranien ne doivent pas faire oublier la confrontation militaire permanente entre les forces militaires pro-iraniennes stationnées en Syrie et l’armée israélienne[9]. Enfin, la défaite arménienne lors de la guerre du Haut-Karabagh est aussi un recul stratégique pour Téhéran qui voit l’influence militaire israélienne renforcée sur sa frontière nord avec l’approfondissent de la coopération militaire Bakou-Tel Aviv. On retrouve des critiques internes en République islamique sur la politique régionale de Téhéran qui serait responsable du rapprochement entre Israël et des monarchies du Golfe comme Bahreïn et les Emirats Arabes Unis[10].
Au-delà des victoires stratégiques israéliennes dans le voisinage de l’Iran, force est de constater que la rhétorique guerrière israélienne sur la question du nucléaire iranien est aussi un moyen de favoriser le renforcement du régime juridique de sanctions économiques américaines contre Téhéran. En effet, les sanctions économiques sont présentées comme une alternative à la guerre. Cependant, en 2019, c’est bien l’embargo pétrolier mis en place par l’Administration Trump qui a conduit le golfe Persique au bord de la guerre. En 2021, la mise en œuvre d’une nouvelle politique iranienne par l’Administration Biden devra néanmoins prendre en compte les exigences sécuritaires israéliennes en démontrant à Tel Aviv l’intérêt pour tous les États de la région de la réussite d’une solution politico-diplomatique sur le dossier nucléaire, seule alternative crédible à une escalade militaire dans la zone.
[1] Alexander Greenberg, « Les relations entre l’Iran et Israël avant la révolution de 1979 : bref exposé historique », Les Clés du Moyen-Orient, 5 octobre 2020.
[2] “The Baghdad Pact (1955) and the Central Treaty Organization (CENTO)”, Archive, US Department of State, 2001-2009.
[3] . « Après Flame, miniFlame repéré en Iran et au Liban », L’Orient-Le Jour, 15 octobre 2012.
[4] Hélène Sallon, « Les scientifiques iraniens du nucléaire, cibles d'une guerre de l'ombre », Le Monde, 17 janvier 2012.
[5] « Les explosions se multiplient en Iran qui pourrait bien être victime d’une "guerre secrète" », La Libre Belgique, 1er août 2020.
[6] « Israël: de nouvelles cyberattaques frappent des infrastructures hydrauliques », i24 News, 17 juillet 2020.
[7] Judah Ari Gross, “Iran-linked group claims to hack Israeli defense firm, releases employee data
Elta, a subsidiary of state-owned Israeli Aerospace Industries, says it is investigating the latest in a series of suspected Iranian cyberattacks”, Times of Israel, 20 décembre 2020.
[8] متن کامل قانون اقدام راهبردی برای لغو تحریمها و صیانت از منافع ملت ایران, Fars News, ۱۳۹۹-۹-۱۲
[9] Carmit Valensi, Udi Dekel, “The Struggle for Control of Southern Syria: Where is Israel?”, INSS Insight, No. 1414, 16 décembre 2020.
[10] Kourosh Ziabari, “How Iran has helped Israel’s growing foothold in the Middle East”, Responsible Statecraft, 4 novembre 2020.
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