La concurrence sans l'anxiété edit
Une multitude de travaux empiriques, produits en France comme dans les autres pays développés, montrent que la productivité est la clé de la prospérité. Et pourtant, elle a mauvaise presse ! Elle serait même responsable des destructions d'emplois. Notre législation du travail considère qu'on ne peut licencier que pour préserver la productivité, et surtout pas pour l'accroître. Or seules les entreprises productives créent de l'emploi, paient bien leurs salariés et leur offrent des carrières, exportent, importent aussi (les méchantes !!!), et surtout innovent. Deux tiers des entreprises qui accroissent leur productivité (sur une période de 5 ans) créent simultanément de l'emploi parce qu'elles grandissent. Bien sûr, lorsque les entreprises qui réussissent s'accroissent, fatalement, d'autres, les moins productives, meurent. Et rares sont les entreprises parmi les moins productives, devenant, on ne sait comment, plus efficaces. L'entrée de nouvelles entreprises constitue une source importante de croissance de la productivité.
C'est pour cela qu'il n'y que rarement, voire jamais, lieu d'aider une entreprise peu productive, de la sauver et de sauver les emplois qui s'y trouvent. Or toute la politique actuelle est tournée vers ce but. Souvent pour " d'excellentes raisons ". Avec Marianne Bertrand, Antoinette Schoar et David Thesmar, j'ai observé que les chefs d'entreprise cotées en bourse qui sont passés par les cabinets ministériels arrêtent de détruire de l'emploi, de fermer des usines, les années d'élections locales, surtout lorsque le maire ou le député est " puissant ".
Autre exemple plus subtil de fausse bonne mesure : sans doute parce que la France détient un quasi-record au sein des pays développés dans son incapacité à former les plus désavantagés, il a été décidé de mettre en place des baisses de charges pour les salariés payés autour du SMIC. Ces baisses de charges sont parfaites à court terme. Face à un coût minimum du travail exagérément élevé, surtout pour les plus jeunes et les moins qualifiés, elles sont nécessaires et font preuve d'efficacité. Le problème c'est qu'elles aident surtout les entreprises les moins productives, celles qui ont le moins d'avenir. Ces baisses fonctionnent comme une drogue : nécessaires à court terme à cause d'une politique du SMIC déraisonnable, elles sont nuisibles à moyen terme, non pas à cause de prétendues trappes à bas salaires qui n'existent nulle part dans les données, mais parce qu'elles dirigent l'argent public vers des entreprises sans avenir. Il vaudrait mieux investir massivement dans l'éducation des laissés pour compte de la course aux grandes écoles menée depuis le plus jeune âge au détriment du plus grand nombre (comme l'ont compris la Hollande, ou la Finlande par exemple).
Mais alors, comment faire pour favoriser l'éclosion des bonnes entreprises, la croissance de ces gazelles qui font tant défaut à notre système productif ? Facile. La concurrence. C'est l'alpha et l'oméga de toute réforme génératrice de prospérité. Les exemples sont si nombreux et ont été tellement répétés qu'on ne sait par où commencer. La libéralisation financière française du milieu des années 1980 (réalisée sous l'auspice d'un premier ministre de gauche) fournit un exemple, tout comme le fait que le transport routier des marchandises a massivement bénéficié, malgré des soubresauts tout à fait justifiés, de la suppression des licences en 1986. L'emploi dans ce secteur s'est mis à croître à un rythme de 5 à 6% par an alors qu'il augmentait péniblement de 1,5% auparavant. On pourrait aussi citer de nombreux exemples étrangers qui tous confirment que la concurrence est l'amie de l'emploi et du consommateur. A l'inverse, la loi Royer, suivie par les lois Raffarin, Galland, n'a nullement permis de préserver l'emploi dans le secteur du commerce de détail, au contraire. Moins il y a de concurrence, plus les prix sont élevés et moins l'emploi se développe. Des travaux américains ont même démontré que la déréglementation dans le secteur bancaire a bénéficié aux femmes et que la discrimination à leur égard a décru.
La commission Attali s'attaque avec courage à ces problèmes. Il est incroyable que des secteurs si importants pour notre économie soient fermés, ou réglementés. Un exemple illustre l'absurdité de ces mesures. Si vous prenez le car entre Bruxelles et Paris, il vous est permis de descendre à l'arrêt de Lille mais il vous est interdit d'y monter : ce serait faire concurrence à la SNCF sur une ligne qu'elle dessert, ce qui est interdit. Or si le train est un moyen de locomotion formidable pour les plus riches, dans tous les pays du monde, les plus pauvres, par exemple les étudiants ou les personnes âgées, utilisent des réseaux de car qui chez nous n'existent même pas. Ou alors ils prennent la voiture quand ils le peuvent, sans permis de plus en plus souvent. D'ailleurs, pourquoi notre permis de conduire coûte-t-il environ trois fois plus cher qu'ailleurs, et même dix 10 fois plus cher qu'aux Etats-Unis? A cause d'un système qui restreint l'ouverture d'auto-écoles, une profession protégée comme des milliers d'autres.
Bien sûr, la concurrence fait aussi des dégâts. Les fermetures d'usines sont douloureuses pour les employés, leurs familles et leurs régions. Pour autant, l'efficacité de ce que nous offrons aux personnes perdant leur emploi est déplorable. Plutôt que de protéger les emplois, protégeons les personnes. Et ces personnes sont nombreuses. Selon des calculs effectués par Pierre Cahuc et moi-même, 30 000 personnes perdent chaque jour leur emploi. Simultanément, 30 000 retrouvent un emploi, souvent dans de mauvaises conditions après une période de chômage. Nous ne faisons pas assez pour elles. Il est certes nécessaire de parler des devoirs du chômeur, mais il est aussi nécessaire de parler de leurs droits, tout comme l'entreprise a des devoirs, mais aussi des droits. Permettre à la concurrence d'agir est indispensable, mais il faut en rendre les effets moins anxiogènes, pour les salariés comme pour les entreprises. C'est là une priorité nationale.
Pour réduire l'anxiété des salariés, il faut s'attaquer en priorité aux difficultés auxquelles ils font face :
. L'accompagnement des chômeurs : il faut évaluer les opérateurs privés comme publics chargés d'accompagner les salariés. Seul devrait compter le résultat, l'efficacité de la prise en charge de tous les publics et non des seules personnes faciles à placer.
. Les contrats : on l'a dit, on l'a répété, tant que l'on n'a pas un CDI, il est difficile de se loger, d'emprunter, de vivre normalement en un mot. Les solutions préconisées par le Medef ou d'autres (contrat de projet, rupture à l'amiable) n'y changeront rien. Les plus fragiles sont les plus exposés.
. La formation et la re-formation : on parle souvent de formation continue. Formidable. Mais totalement à côté du sujet. Comment former à 30 ans, à 40 ans, ceux que nous n'avons pas su former à 10 ou 15 ans ? Comment transmettre les compétences électroniques aujourd'hui nécessaires à un mécanicien auto s'il n'est pas employé par un garage de taille suffisante ? Comment aider des salariés formés dans une spécialité en déclin vers des métiers du futur, surtout quand le salarié a 40 ou 50 ans ? Il sera donc nécessaire de retourner à l'école, en IUT, à l'université pour de longues périodes de plusieurs mois, voire de plusieurs années.
. La VAE est un début de réponse mais la façon dont les diplômes sont actuellement délivrés est troublante. Education nationale comme professions tendent à protéger la valeur du diplôme plutôt que jouer ce rôle central de re-formation. On y revient plus loin.
La mobilité nécessaire doit être facilitée : logement comme transports doivent jouer leur rôle. Dans ce domaine, les pistes proposées par la Commission Attali sont à examiner de près. De nombreux salariés employés par les entreprises en difficulté tendent à rester dans ces entreprises plutôt que de les fuir et de trouver un emploi dans un secteur porteur ou une entreprise avec un futur.
Les entreprises aussi doivent pouvoir faire face aux exigences salutaires de la concurrence sans être rendues anxieuses par des règles qui sont inefficaces, voire destructrices d'emploi et de croissance :
. Se séparer d'un salarié ne fait que rarement plaisir. Pourtant, le système français conduit à augmenter les tensions. Ainsi, comme tous les pays développés, la France doit exiger un motif pour le licenciement. De fait, tous les pays développés autorisent le licenciement économique, mais seule la France interdit les licenciements destinés à améliorer la productivité ; il n'est possible de licencier que pour la maintenir.
. Seule la France laisse au juge le soin d'analyser le sérieux du motif économique. Ailleurs, on vérifie la réalité du motif, s'il y a eu effectivement une réorganisation. Mais pas plus ni pas moins.
. Quant au licenciement collectif, la France est (presque) seule à imposer des contraintes formelles très lourdes, en particulier de reclassement des salariés.
. L'insécurité juridique entourant la séparation est très grande.
. Les indemnités légales sont trop faibles et donc souvent contestées.
. Même si les grandes entreprises s'accommodent tant bien que mal de la législation parce qu'elles ont des services juridiques et des ressources humaines fournis, il faut constamment penser au sort des PME qui, elles, souffrent. La législation sociale, plus que les seuils sociaux, est souvent une barrière à l'entrée ou à la croissance dont se satisfont les grandes entreprises et les cabinets de conseil. Ces barrières se rajoutent à celles évoquées plus haut.
Enfin, la vie est particulièrement décourageante aux deux bouts de la vie professionnelle :
. Il nous faut recréer un marché du travail pour les seniors : certains travaux montrent que l'âge de la retraite " cause " l'emploi des seniors. En effet, dans tous les pays développés où l'âge de la retraite est de 65 ans (et ils sont nombreux), le marché du travail fonctionne " mal " pour les salariés dès 62 ou 63 ans. En France, il fonctionne mal dès que les salariés ont environ 54 ans. Les pré-retraites et les dispenses de recherche d'emploi pourrissent le fonctionnement de ce marché en enlevant aux salariés comme aux employeurs toutes incitations au travail.
. Il devrait être possible quand on le désire, et toucher une retraite fonction de la durée de cotisations, de l'espérance de vie (seule mesure pertinente de la pénibilité), calculée à partir d'un système de points. C'est ce que font de nombreux pays développés, donc c'est possible.
. Il faut recréer un marché du travail pour les jeunes. Plusieurs pistes peuvent être évoquées. Si l'on se concentre sur la question de l'apprentissage, certainement cruciale pour ces personnes peut diplômées, trois pistes peuvent être évoquées : augmenter le revenu des apprentis, dès lors qu'ils réussissent leurs examens ; récompenser les patrons formateurs, les artisans par exemple, dès lors qu'ils font réussir leurs apprentis aux examens professionnels ; distinguer dans le CAP la formation professionnelle et la formation générale. Seule la première est nécessaire pour s'établir. La réussite à la seconde ne devrait être exigée que si l'apprenti désire continuer vers le BP ou le BAC Pro. Il est tellement facile " d'éliminer " un candidat parce qu'il parle mal français. Il est tellement décourageant pour un candidat de savoir que l'on peut être éliminé à cause de faiblesses en mathématiques ou en français qui ont justement conduit ce candidat à s'orienter vers l'apprentissage.
Finalement, il est nécessaire de repenser complètement le financement des syndicats de salariés comme de chefs d'entreprises. Un financement clair, ouvert, fondé sur les services rendus aux salariés comme aux patrons est seul légitime. Les services possibles sont nombreux, en particulier en direction des petites entreprises (formation, accompagnement juridique, accompagnement au cours d'un parcours de chômeur,...). Tous ces services, parce qu'ils seraient financés par des fonds publics doivent être évalués très précisément, ce qui est bien loin d'être le cas actuellement ; la formation professionnelle en est un exemple pour le moins troublant et emblématique.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)