Après les midterms, des questions pour l’Amérique edit
Le 7 novembre, lendemain du scrutin des midterms, l’ambiance était mitigée au siège du parti Démocrate à Washington. Il semblait certes que le parti avait conquis la majorité à la Chambre des représentants, pour la première fois depuis 2010 ,mais il avait perdu des sièges au Sénat et plusieurs de ses candidats les plus en vue étaient battus. Le président Trump avait quelques motifs d’afficher sa satisfaction, ce qu’il ne se priva pas de faire ce jour-là.
Depuis, les commentateurs politiques ont revu à la hausse le bilan de l’opposition démocrate. Celle-ci a conquis sept postes de gouverneurs et disposera à la Chambre d’une majorité significative, une quarantaine de sièges. Par ailleurs, ses candidats au poste de gouverneur en Floride, Andrew Gillum, et au Sénat au Texas, Beto O’Rourke, qui étaient deux espoirs du parti, ont frôlé la victoire de quelques milliers de voix, ce qui leur ouvre des perspectives fructueuses pour les prochaines échéances électorales.
Des questions non résolues
Toutefois, comme l’ont souligné deux observateurs particulièrement avisés de la scène politique américaine, Susan Glasser (New Yorker) et Michael Winters (NCRonline), ce vote a mis en lumière des questions de fond non résolues et particulièrement préoccupantes pour l’avenir de la démocratie américaine.
Ce que la campagne a confirmé, c’est la profonde division de l’opinion publique américaine au point que certains ont pu parler d’un climat de guerre civile. D’un côté, les électeurs républicains soutiennent massivement Trump y compris dans ses obsessions xénophobes et son hostilité aux médias. La campagne d’une extrême violence menée par le président a mobilisé un électorat composé majoritairement de Blancs peu diplômés et vivant dans des zones rurales. De l’autre côté, les Démocrates ont manifesté une hostilité absolue à l’encontre de Trump en s’appuyant sur les minorités noires et hispaniques et les diplômés de l’enseignement supérieur. Un signe révélateur de ces divergences concerne l’électorat féminin. Si la majorité des femmes blanches sans diplôme soutient les Républicains, plus de 60% des femmes diplômées ont voté démocrate.
Ce fossé ne cesse de se creuser entre deux Amériques qui ne s’informent pas de la même manière en raison de la polarisation croissante des médias et qui n’ont pas les mêmes convictions religieuses dans un pays où la religion joue un rôle majeur. En effet, alors que les agnostiques votent exclusivement démocrate, 80% des 70 millions d’évangélique blancs, surtout présents dans le Sud, soutiennent les Républicains.
Une crise des institutions
Ces tensions très fortes sont aggravées par une crise des institutions qui sont de plus en plus inadaptées à l’évolution sociologique et démographique de la population. Chacun des 50 États est représenté par deux sénateurs mais l’écart se creuse entre les 14 États les plus peuplés qui représentent désormais 70% de la population et les 36 autres qui disposent de 72 sièges sur 100 pour 30% des électeurs. Or l’électorat démocrate se concentre dans les États les plus peuplés comme la Californie ou New-York alors que les petits États peu urbanisés et qui tendent à se dépeupler sont devenus des fiefs des Républicains.
Ce déséquilibre se reflète aussi dans la composition du collège électoral présidentiel puisque le nombre de délégués par État est la somme des membres du Congrès et du Sénat. De ce fait, le poids des petits États est considérable, ce qui explique que Trump ait pu l’emporter en 2016 alors qu’il avait récolté sur le plan national 3 millions de voix de moins qu’Hillary Clinton.
Enfin, la représentativité du Congrès est devenue de plus en plus contestable en raison des effets du « gerrymandering », le découpage partisan des circonscriptions, pratiqué de manière systématique par les gouverneurs. Dans la mesure où la majorité des États est administrée par les Républicains, c’était le cas de 33 sur 50 avant les midterms, ces découpages abusifs profitent surtout au parti du président. Les recours auprès de la Cour Suprême ont peu de chances d’aboutir en raison de la composition de celle-ci, un point sur lequel nous reviendrons.
Compte tenu de ces handicaps, il est remarquable que le parti Démocrate ait pu obtenir des résultats aussi satisfaisants au Congrès et limiter ses pertes à trois sièges au Sénat où il avait beaucoup plus de sortants que les Républicains (23 contre 10). Néanmoins l’horizon de la présidentielle de 2020 est loin de s’éclaircir.
Il faut d’abord tenir compte du phénomène Trump. Celui-ci, en dépit de son discours très agressif et des multiples cafouillages de son administration et notamment des services de la Maison-Blanche, conserve une cote de popularité remarquablement stable, autour de 40% d’opinions favorables, soit le même niveau qu’au moment de son intronisation. Cette fidélité d’un électorat composé en majorité de Blancs âgés et peu diplômés mais qui vont massivement voter présente un double avantage pour lui : elle lui permet de contrôler complètement le parti Républicain qui est devenu le Trump party et aussi de l’emporter dans les zones rurales et peu urbanisées qui sont électoralement surreprésentées.
Cet incontestable succès du président tient dans une large mesure à sa maîtrise de la communication. Il est vrai que le paysage médiatique américain s’est radicalement modifié depuis vingt ans. D’une part, on a assisté à l’essor de la chaine d’information Fox News, totalement dévouée à Trump et qui est devenue le leader des chaînes de cette catégorie, devançant avec plus de quatre millions de téléspectateurs quotidiens ses concurrents CNN et MSNBC. D’autre part, les réseaux sociaux sont exploités avec efficacité par le président qui s’adresse quotidiennement à ses 53 millions d’abonnés à son compte Twitter ce qui lui permet de dominer l’actualité en créant chaque jour des événements que les journaux et les médias audiovisuels même les plus critiques à son encontre sont obligés de reprendre, ce qui lui donne une audience encore plus massive.
Une crise de la démocratie
Si on ajoute à ces éléments le basculement à droite en faveur des Républicains et pour une génération de la Cour suprême et la chute vertigineuse de confiance de l’opinion à l’égard des assemblées, des partis et des médias, on constate un ensemble de symptômes qui confirment l’existence d’une crise majeure de la démocratie traditionnelle.
Depuis l’élection de Trump, de nombreux ouvrages de politologues américains ont tenté de cerner les causes et conséquences de cette crise. À côté des essais de Yascha Mounk et de Mark Lilla, déjà évoqués dans Telos, il faut mentionner un livre qui a eu un grand retentissement aux Etats Unis : How Democracies die, de Steven Levitsky et Daniel Zilblatt. Dans cet essai les auteurs insistent sur le risque de déclin irréversible des institutions démocratiques en raison de l’affaiblissement des contrepouvoirs et des erreurs de l’opposition qui peine à rassembler les différents courants de l’opinion. Pour eux, la présidence de Trump n’est qu’un épisode d’un processus de dégradation qui a commencé avant lui et qui risque de se poursuivre après son départ en 2020 ou 2024.
Dans ces conditions, l’échéance de la prochaine présidentielle revêt une importance particulière, non seulement sur le choix du futur président mais aussi sur la gouvernance des instances locales et la composition du Congrès et du Sénat. Il faudra que le parti Démocrate trouve un candidat crédible et définisse un programme capable de mobiliser une majorité d’électeurs. Une tâche malaisée dans un laps de temps relativement limité.
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