Qui profite de la baisse de l'euro ? edit
L’euro est passé de 1,51 dollar le 25 novembre 2009 à 1,35 dollar le 23 février dernier, soit une dépréciation de 10%. Faut-il s’en réjouir ? Pas si sûr. La sortie de crise récente a montré que les mouvements de change pouvaient être pénalisants pour la zone euro. Alors que les moteurs asiatiques ont rapidement soutenu la demande mondiale début 2009, ils ont peu bénéficié à la zone euro, peut-être en partie parce que sur la même période la zone euro souffrait des effets de la dépréciation du dollar vis-à-vis de l’euro (le dollar s’est déprécié de près de 20% entre l’automne 2008 et la fin 2009). Si cela est vrai, à l’inverse, la dépréciation du dollar vis-à-vis de l’euro devrait donc être bénéfique pour les échanges de la zone euro.
En réalité les échanges de la zone euro avec les États-Unis et l’Asie émergente (y compris la Chine) sont assez limités (environ 3% et 5% du PIB de la zone euro environ respectivement), de même que les échanges de la zone euro avec le reste du monde (hors autres pays européens, ces échanges représentent environ 12% du PIB de la zone). Ce n’est pas négligeable, mais les effets de la baisse de l’euro sur les échanges de la zone sont en dessous de ce que suggère l’ampleur du mouvement euro/dollar.
Les effets des variations du change ont aussi un impact sur la valeur des portefeuilles des ménages, des banques centrales ou des entreprises (tout comme leurs dettes, dépendant de la part des actifs et dettes) libellés en dollars. Les effets d’une appréciation du dollar seraient au total plutôt négatifs par ce canal, mais heureusement ils sont assez modestes. Plane et GM Milesi-Ferreti montrent ainsi que si le Japon et la Chine ont des portefeuilles de valeurs étrangères largement libellés en dollars, la part des actifs détenus par la zone euro en dollars (en % de PIB) est bien plus modeste. L’appréciation de portefeuille qui suit une dépréciation de l’euro (appréciation du dollar) est donc relativement modeste. En revanche, et contrairement à la Chine et au Japon, la zone euro est emprunteur net en dollar, donc une dépréciation de l’euro augmente sa dette. Au total, une dépréciation de l’euro aurait donc un impact négatif sur le bilan financier de la zone euro.
En outre, la zone euro n’est pas homogène. Ainsi, les investissements directs en dollars en Irlande sont massifs et les échanges commerciaux irlandais avec les États-Unis représentent plus de plus de 16% du PIB Irlandais et 6% avec l’Asie émergente, ce qui au total conduit à un fort impact des mouvements du change sur la croissance irlandaise. À l’opposé, l’Espagne, la Grèce, le Portugal ont des déficits extérieurs importants et en partie financés en dollars, alors que la part des échanges de ces pays avec les États-Unis et l’Asie émergente cumulée représente moins de 5% de leur PIB. Une dépréciation de l’euro entraîne alors une hausse des remboursements liés à cette partie de leur dette libellée en dollars, alors que la contribution des échanges est faible. Pour les pays de la périphérie de la zone euro, qui ont une part des échanges avec les États-Unis modestes en pourcentage de PIB, la dépréciation de l’euro n’est finalement pas une si bonne nouvelle.
Les effets d’une dépréciation de l’euro sont en réalité plus positifs pour l’Allemagne: les échanges de l’Allemagne avec les États-Unis et l’Asie émergente représentent près de 10% de son PIB, alors que l’endettement financier de l’Allemagne en dollars est relativement faible. C’est donc principalement par l’effet entraînant de la baisse de l’euro pour le moteur de la croissance allemande (les exportations) que l’on peut se féliciter de cette dépréciation.
Mais si elle contribue à favoriser les exportations de ce pays, la dépréciation de l’euro n’aide pas à rétablir les déséquilibres internes à la zone euro. Ces déséquilibres traduisent un manque de compétitivité relatif des différents pays de la zone euro par rapport à l’Allemagne : lorsque l’on mesure (en tenant compte de l’imperfection de ces mesures) la baisse de compétitivité des pays de la périphérie de la zone euro vis-à-vis de l’Allemagne en termes de coût du travail, l’ajustement de compétitivité salariale à réaliser est au moins aussi impressionnant que la baisse récente de l’euro : l’ajustement serait de l’ordre de 7% pour la Grèce, 10% pour le Portugal, 12% pour l’Espagne et environ 20% pour l’Irlande.
La baisse de l’euro, si elle se maintient ou s’accentue, est donc une bonne nouvelle pour la croissance des exportations de l’Allemagne. Mais elle ne résout pas ces déséquilibres internes de la zone euro que sont les différentiels de compétitivité salariale.
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