En Allemagne, la crise profite aux modérés edit
Qui gouvernera l’Allemagne après les élections législatives du 27 septembre prochain ? L’équation se résume à un jeu de deux grands (CDU/CSU et SPD), qui peuvent espérer faire autour de 30% chacun, et de trois petits (le parti libéral, le Parti vert et la gauche populiste Die Linke), chacun crédité d’environ 10 %. Cela rend les perspectives de pouvoir incertaines car ni le centre droit (CDU/CSU plus libéraux) ni le centre gauche (SPD et Verts) ne sont assurés d’une majorité.
La gauche populiste, sans partenaire, reste hors jeu car le SPD refuse de gouverner avec elle au niveau national. Ce qui donne quatre scénarii pour la formation d’un gouvernement. Une coalition CDU/CSU et libéraux (favorisé par la chancelière et le FDP) s’imposera si les deux formations obtiennent une majorité. En l’absence d’une telle majorité, s’offre la possibilité, inédite, d’une coalition à trois, menée soit par la CDU/CSU soit par le SPD, avec les libéraux et les verts. Solutions très compliquées car réunissant des formations qui s’opposent sur le plan idéologique, mais intéressantes pour les deux « petits » s’ils veulent vraiment entrer au gouvernement. Car en cas d’échec, reste la quatrième alternative, que tout le monde récuse mais qui est parfaitement réaliste : la reconduction de la grande coalition actuelle entre CDU/CSU et SPD.
C’est que la vie politique allemande favorise les coopérations. Elle s’articule certes autour de la confrontation entre centre-gauche et centre-droit, mais l’Allemagne reste imprégnée par une culture politique très centriste ; l’électorat n’apprécie pas les surenchères idéologiques. C’est pourquoi CDU/CSU et SPD cherchent certes la différence par une certaine polarisation, et les sujets ne manquent pas : salaire minimum, politique industrielle, redistribution fiscale, financement de la sécurité sociale… Mais malgré quelques dérapages verbaux ils ne poussent pas à une confrontation dure de type gauche-droite. C’est le centre (« die Mitte »), donc l’électorat modéré, ou indécis, qu’ils tentent de séduire. « Nous sommes le centre » n’a pas hésité à déclarer Angela Merkel lors d’un congrès de son parti. Position répondant à un triple impératif : trouver une synthèse des différents courants et intérêts qui les traversent en tant que partis de rassemblement, capter l’électorat centriste, et séduire les autres formations nécessaires pour la formation d’une majorité. Mais dans une société de plus en plus fragmentée, cet exercice ressemble à un grand écart pour les grands partis de rassemblement que sont la CDU et le SPD.
A première vue, la CDU d’Angela Merkel semble dans une situation confortable, avec une avance de 8 à 10 points devant le SPD que lui pronostiquent les sondages, ce qui lui donnerait en tout cas un rôle incontournable, voire dominant dans la formation d’un gouvernement. Mais ce rapport de force est fragile : en 2005, la CDU était loin devant le SPD au printemps, pour finir à égalité en automne. Malgré la popularité d’Angela Merkel, la CDU ne progresse guère par rapport aux élections de 2005. En plus, la CDU est tiraillée entre ses courants. L’aile sociale prône une accélération des mesures sociales, tandis que l’aile patronale gronde contre la « social-démocratisation » du parti et réclame des mesures de libéralisation. La question d’une baisse des impôts divise le parti, entre ceux qui en font une religion et ceux qui estiment que ce n’est vraiment pas le moment. La CSU bavaroise, depuis une claque cinglante lors des dernières élections régionales, fait de la surenchère clientéliste sans s’occuper de solidarité gouvernementale ou chrétienne-démocrate. Certains barons de la CDU, rivaux d’Angela Merkel (comme Christian Wulf, Roland Koch ou Jürgen Rütgers), jouent leur propre partition. A quoi s’ajoutent les divisions sur des questions sociétales, comme celle sur l’image de la famille et de la femme : le modernisme de la ministre de la famille Ursula von der Leyen est à mille lieues du conservatisme de la base rurale du parti. Résultat, la CDU a un problème de positionnement programmatique. La préservation du pouvoir et la popularité d’Angela Merkel assurent tant bien que mal la cohésion d’un parti tiraillé par les conflits internes.
Face à cette jolie cacophonie chrétienne-démocrate, le SPD se montre inhabituellement uni. Pourtant il semble être le grand perdant de la grande coalition en accusant une perte des intentions de vote de l’ordre de 8 à 10 points par rapport à 2005. Paradoxe : alors qu’il a souvent réussi à reprendre l’offensive et à imposer ses thèmes à la grande coalition comme dans le cas de la création d’un salaire minimum, les électeurs ne semblent pas l’honorer ou, pire, créditer Angela Merkel des succès politiques d’inspiration social-démocrate ! Pour rattraper son retard, le SPD doit lutter sur deux fronts. D’abord, endiguer la concurrence sur sa gauche : les réformes du gouvernement Schröder, très contestées et dénoncées comme antisociales par les syndicats, lui ont fait perdre bon nombre de militants et d’électeurs, provoquant la montée du parti ultra-gauche (Die Linke). Le SPD s’efforce de regagner son image de parti de la justice sociale et des salariés, mais il risque d’apparaître peu crédible pour une partie de sa base électorale : après tout, ses leaders actuels furent les principaux lieutenants de Schröder. Ensuite, garder son image de parti gouvernemental responsable, préserver la confiance des électeurs modérés et ne pas se couper de partenaires de coalition éventuels, ce qui demande de ne pas trop gauchir son discours. Gouvernementalisme modéré ou positionnement à gauche : le SPD n’échappe pas non plus au grand écart.
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