Olivier Faure est dans la droite ligne du socialisme français edit
On peut s’étonner qu’Olivier Faure réclame le pouvoir pour une gauche dont la composante principale est un parti, LFI, dont le leader est Mélenchon et dont l’un de ses lieutenants, Adrien Quatennens, appelle à une marche sur Matignon pour obliger le président de la République à confier le pouvoir au Nouveau Front Populaire. Pourtant, ceux qui connaissent l’histoire du PS depuis 1920 ne peuvent partager cet étonnement[1].
« J’ai fait le choix du rassemblement de la gauche et je n’en bougerai pas », a réaffirmé Olivier Faure, le Premier secrétaire du Parti socialiste, le mercredi 10 juillet. Ce choix politique, tous les dirigeants de ce parti l’ont fait, à un moment ou un autre, depuis la scission de la SFIO au Congrès de Tours en 1920 qui a vu la majorité des délégués socialistes créer le Parti communiste français. Dans la péroraison de son fameux discours à ce congrès, Léon Blum, qui s’était opposé à l’adhésion à l’Internationale léniniste et qui ensuite contribuera au premier rang à maintenir la SFIO avec Paul Faure, déclarait : « Les uns et les autres, même séparés, restons des frères qu’aura séparés une querelle cruelle mais une querelle de famille et qu’un foyer pourra encore réunir. »
La SFIO maintenue, malgré la lutte sans merci que le PCF mena contre lui jusqu’en 1934, continua à privilégier l’objectif de réunification des deux partis marxistes. C’est la raison pour laquelle Blum refusa dans cette période les appels du Parti radical, principal parti de gauche mais non marxiste, à former un gouvernement d’union après la victoire du cartel de gauches en 1924 puis à nouveau à nouveau en 1932. S’il accepta de diriger en 1936 le gouvernement du Front populaire, c’est que Staline, abandonnant la tactique classe contre classe après l’arrivée d’Hitler au pouvoir et la destruction du parti social-démocrate allemand, changea de stratégie en privilégiant en France l’union avec les radicaux dont les communistes approuvèrent le programme que la SFIO estimait trop modéré. Blum n’accepta enfin d’exercer le pouvoir, en 1936, que parce que le PCF participait à l’union, encore que celui-ci, au grand dam de la SFIO, n’accepta pas finalement de participer à ce gouvernement, se réservant « le ministère des masses ». Le Front populaire, dans sa version initiale, ne dura cependant qu’une année. Puis la signature du pacte germano-soviétique en 1939 rétablit le fossé entre socialistes et communistes.
Après la Libération puis la fondation de la IVe République, le gouvernement tripartite SFIO/PCF/MRP dirigé par le socialiste Paul Ramadier en 1947 sombra quelques mois plus tard, quand le déclenchement de la guerre froide par Staline eut obligé les députés communistes à voter contre le gouvernement auquel leur parti appartenait. Ramadier renvoya alors les ministres communistes, au grand dam du nouveau dirigeant du parti, Guy Mollet, qui appartenait à son aile gauche. Mollet estimait que la seule solution était alors la démission du gouvernement. La SFIO, face au refus de Ramadier de démissionner, mit alors le gouvernement sous tutelle et finit par obtenir le retrait de Ramadier. Pour Mollet, la SFIO ne devait gouverner qu’avec les communistes. C’est la guerre froide, et donc Staline, qui finirent par réconcilier les deux fractions de la SFIO, Mollet se rangeant alors dans le camp occidental. En 1954, Mollet refusa de participer au gouvernement dirigé par Pierre Mendès-France, expliquant que si Mendès était « l’homme le plus à gauche dont nous pouvions rêver, la vocation du Parti socialiste n’est pas de participer à la gestion, fut-elle bonne, des affaires publiques ». Cependant les rapports avec le PCF demeuraient exécrables. En 1956, le premier gouvernement de Front républicain, dirigé par Mollet, ne comprenait pas les communistes. Il ne dura que seize mois.
Après la fondation de la Ve République et jusqu’en 1962, les deux partis marxistes demeurent des « frères ennemis ». C’est de Gaulle qui alors réconcilia les deux partis, hostiles à la révision constitutionnelle, lorsqu’entre les deux tours des élections législatives, pour sauver les sièges socialistes, Mollet, en faisant voter pour les candidats communistes, rompit l’alliance avec le centre et la droite républicaine. Si les alliances électorales classiques (« la discipline républicaine ») rapprochèrent les deux partis, jusqu’en 1969, la SFIO ne put s’entendre avec un Parti communiste qui, à partir de 1964, souhaitait alors se rapprocher des autres partis de gauche. En 1965, François Mitterrand rassembla toutes les gauches sur son nom. Mais les 5% obtenus par le socialiste Gaston Defferre à l’élection présidentielle de 1969 sonnèrent le glas de la SFIO. Le nouveau Parti socialiste prit sa place en se refondant cependant sur une ligne traditionnelle : « L’union de la gauche constitue l’axe normal de la stratégie des socialistes. Le parti doit engager sans préalable et poursuivre le débat public avec le Parti communiste portant sur les modalités de combat contre les forces capitalistes sur les voies de passage au socialisme, sur les fondements de la société socialiste. Ce débat doit être sans complaisance. » Mais ce débat ne donna rien et le parti isolé et affaibli rata ainsi sa refondation.
François Mitterrand, en substituant à l’idée du débat entre les deux partis l’objectif de l’élaboration d’un programme commun de gouvernement avec le PCF, gagna le Congrès d’Epinay en 1971, ouvrant ainsi une nouvelle page de l’histoire du Parti socialiste. Ce programme fut adopté par les deux partis l’année suivante. Mitterrand entendait faire du PS un parti de gouvernement. Dans son ouvrage publié cette même année 1971, Un socialisme du possible, il repoussait cependant toute tentation d’une social-démocratisation du parti à reconstruire : « Les socialistes qui se sont posés en réformistes ont fini par collaborer au système de valeurs capitalistes et donc à la politique de droite. La collaboration échappe difficilement à son destin qui est de trahir. L’exemple typique est celui de Noske, et après tout, l’aventure de Noske était contenue dans l’évolution de Kautsky, pourtant admissible en soi. Le socialisme français a, de 1947 à 1965, étroitement collaboré à la défense de la société capitaliste. L’opportunisme et la trahison ont gravement compromis le réformisme. » À Epinay, il déclarait : « Violente ou pacifique, la Révolution c’est d’abord la rupture. Celui qui n’accepte pas la rupture – la méthode, cela passe ensuite – avec l’ordre établi, politique, cela va de soi, c’est secondaire, avec la société capitaliste, celui-là, je vous le dis, il ne peut pas être adhérent au parti socialiste. » Il ajourait : « Le véritable ennemi, j’allais dire le seul, parce que tout se passe chez lui, le véritable ennemi si l’on est bien sur le terrain de la rupture initiale des structures économiques, c’est celui qui tient les clés. C’est le monopole, terme extensif pour désigner les puissances de l’argent, l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui tue, l’argent qui ruine et l’argent qui corrompt jusqu’à la conscience des hommes. »
Élu président de la République en 1981, François Mitterrand forma un gouvernement qui comprenait quatre communistes. Mais le tournant de la rigueur de 1983 entraîna la décision du PCF de ne pas participer au gouvernement Fabius formé en 1984. Les communistes participeront entre 1997 et 2002 au gouvernement de la « gauche plurielle » dirigé par Lionel Jospin après la dissolution ratée de Jacques Chirac. En revanche, ils ne participeront pas aux gouvernements socialistes pendant le quinquennat de François Hollande. De 1981 à 2024, le Parti communiste ne cessera de décliner. À partir de 2012, Jean-Luc Mélenchon, qui a quitté le Parti socialiste, décide d’occuper l’espace politique sur la gauche de ce parti, reprenant la stratégie communiste de jadis consistant à faire des socialistes leur ennemi principal. À partir de 2017, son parti, la France insoumise occupe l’essentiel de l’espace électoral de la gauche tandis que le PS est en voie de marginalisation. Cette année-là, Olivier Faure prend la direction de ce parti, après le désastre électoral, et s’attache à remplir son « devoir d’inventaire », fustigeant et condamner le quinquennat « trop libéral » de François Hollande. Aux élections de 2022, son parti va coller à LFI avec la formation de la Nupes qui permet de sauver quelque sièges. Désormais, Jean-Luc Mélenchon s’autoproclame le leader de la gauche, ayant obtenu 23% contre 6% au candidat socialiste, Benoît Hamon, à l’élection présidentielle. On connaît la suite. Au lendemain de la dissolution du 9 juin 2024, la Nupes, qui s’était progressivement disloquée depuis 2022, est réactivée sous le nom de Nouveau Front populaire. Olivier Faure, l’un des acteurs principaux de cette réactivation, qui estime que le destin du PS doit demeurer étroitement uni à celui de LFI, que pourtant il critiquait sévèrement, réaffirme : « J’ai fait le choix du rassemblement de la gauche et je n’en bougerai pas. »
Tel est l’ADN du Parti socialiste. L’identité profonde du PS demeure inchangée : pas d’alliances au centre, union de la gauche. Aucune révision doctrinale n’a jamais changé cet ADN. Dans ces conditions, espérer que ce parti pourrait participer à un nouveau système d’alliances sur sa droite est très optimiste, sauf survenue d’une nouvelle scission que l’on ne voit pas pour l’instant se profiler à l’horizon. En attendant, le Nouveau Front populaire réclame le pouvoir, estimant, à tort, qu’il a gagné les élections législatives.
[1] Je renvoie à mes cinq articles dans la revue Commentaire n° 182 à 186, 2023-2024.
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