Macron et l’international: le sens d’une victoire edit
L’élection d’Emmanuel Macron a étonné l’opinion internationale. Pendant plus de trente ans, de François Mitterrand à François Hollande, les Français avaient choisi des politiciens professionnels éprouvés, ayant milité plusieurs dizaine d’années dans le même parti, et partageant, au-delà de leurs différences politiques, de nombreux traits communs : l’âge (58 ans en moyenne lors de leur accession à la présidence), une longue expérience parlementaire et – sauf François Hollande – ministérielle, une prudence voire une réticence face à la réforme et – sauf Nicolas Sarkozy – un certain conservatisme dans le style et l’apparence.
Au fond, on devenait en France président de la République un peu à l’ancienneté, en s’imposant au pays par un long apprivoisement et en se coulant dans la continuité de ses traditions politiques (malgré le 10 mai 1981 et la « rupture » revendiquée par Nicolas Sarkozy), en particulier dans le « consensus français » de politique étrangère. Le « c’est votre tour, vous allez gagner » de François Mitterrand à Jacques Chirac en 1995 résume bien cette situation, qui confirmait pour le monde un double diagnostic souvent porté sur le France, celui de l’immobilité économique et sociale et du conservatisme politique.
Emmanuel Macron rompt sur tous les plans avec cette perception : jeune, dépourvu d’affiliation partisane, bousculant les divisions, les partis et les codes politiques du pays, jamais élu, inconnu du monde extérieur, il a été pour le monde plus encore que pour les Français une surprise. Vu de l’extérieur, on s’est dit que la France pouvait donc encore produire du nouveau ; qu’au pays de la sclérose un renouveau était possible. Ce sentiment de curiosité et d’intérêt contrastait avec la condescendance plus ou moins polie qui avait souvent accompagné, de la part des commentateurs étrangers, l’évocation des prédécesseurs d’Emmanuel Macron. Cela a été une première retombée internationale de sa victoire.
Edouard Philippe l’a caractérisée, comme d’autres, en disant que « la France [était] de retour ». Ce jugement fait écho au slogan « America is back » de Ronald Reagan en 1980, celui de la rupture avec le laisser-aller sociétal et la démission face à l’URSS que les néo-conservateurs identifiaient au président Jimmy Carter ; il porte la marque du talent de communication de Reagan, qui ne s’en était d’ailleurs pas tenu aux mots et avait accru de 50% le budget de la Défense au cours de son premier mandat.
Ce type de slogans a ses limites : l’Amérique n’avait pas besoin de « faire son retour » en 1980, et le long recul d’influence de la France en Europe n’est pas encore inversé. Il reste que la France a fait l’événement en choisissant un leader jeune, déterminé et inattendu, et en confirmant ce choix par un basculement tectonique des forces politiques françaises aux législatives. La personnalité d’Emmanuel Macron et sa large victoire créent en sa faveur une attente et un crédit sur le plan international.
Une portée qui dépasse la France
Cette attente et ce crédit, il les doit aussi à ce que son élection a été interprétée comme la rupture de la spirale populiste anti-européenne, protectionniste et isolationniste marquée notamment par le Brexit et par l’élection de Donald Trump. Le duel du second tour entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron et a paru ainsi constituer l’acmé d’un combat global entre les forces d’introversion identitaire et nationale, et celles de l’ouverture au monde ; et ce d’autant plus qu’il y a eu une internationalisation du débat présidentiel français : Emmanuel Macron avait bénéficié du soutien de Barack Obama et d’Angela Merkel, et Marine Le Pen de celui de Vladimir Poutine et – dans une certaine mesure – de Donald Trump qui avait parlé d’elle en termes positifs lors des primaires.
Après la défaite – de justesse – de Werner Hofer en Autriche en décembre, et celle – cinglante – de Geert Wilders aux Pays-Bas en mars, la victoire d’Emmanuel Macron confirme un reflux des forces extrémistes et anti-européennes sur le continent ; ce reflux tient sans doute pour partie aux déboires de la présidence Trump et du Brexit ; la victoire d’Emmanuel Macron le confirme et l’amplifie : après les législatives, le Front national doit renoncer à sa prétention d’être le premier parti de France ou même le premier parti d’opposition, et Jean-Luc Mélenchon à celle de devenir le fédérateur de la gauche.
Les pays inquiets de la victoire de Trump et du Brexit peuvent se rassurer : c’est ce qu’a fait la Chine en se réjouissant qu’avec l’élection de Macron un coup d’arrêt soit donné à la tentation protectionniste mondiale qui menaçait. En Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, les forces que désespèrent les choix actuels de leurs pays voient évidemment d’un œil favorable un président français qui représente tout le contraire.
Dans ce contexte, la victoire d’Emmanuel Macron a eu une portée qui dépassait naturellement la France ; mais cela ne change pas le fait que la moitié des suffrages exprimés (49,62%) se sont portés au premier tour de la présidentielle sur des candidats extrémistes ou farfelus, hostiles à l’économie de marché, anti-européens, et dont ni les programmes ni les idées ne se prêtaient – ni n’étaient au fond destinés – à une quelconque mise en œuvre. Le pays reste politiquement incertain, et vulnérable à la tentation des extrêmes.
En outre, la victoire même d’Emmanuel Macron procède de la désintermédiation et de la volatilité de l’offre politique qui ont fait le succès des forces populistes : le contournement des partis établis, la dénonciation des sortants, l’appel direct au peuple par les réseaux sociaux et le management communicationnel, la mise en réseau virtuel de soutiens novices en politique, ont servi la campagne d’En Marche, qui a retourné contre elles des techniques dont elles avaient partout su profiter, de Beppe Grillo à Trump, tout en les mettant au service d’un candidat dont les instincts se situent à l’opposé des leurs : l’ouverture internationale et européenne, et le retour de l’Etat dans ses dimensions les plus classiques, l’autorité, la rationalité technocratique et la conduite des réformes.
Le mérite de la clarté
Au total, la portée internationale la plus marquante de la victoire d’Emmanuel Macron n’est pas qu’il ait vaincu les forces anti-européennes et populistes, mais qu’il l’ait fait dans la clarté : sa victoire aura en effet été acquise sur elles, non plus par des manoeuvres d’évasion comme l’avait fait le PS depuis 2005, ou par le parasitage de leurs idées comme l’avait fait Nicolas Sarkozy avec succès en 2007 puis en vain en 2012, mais en adoptant une stratégie de confrontation directe avec elles au nom de convictions européennes assumées et en affichant le choix de la réforme.
C’est cela qui donne son sens sur le plan international à sa victoire, et au nouveau président son crédit sur la scène européenne et internationale : dans une Europe rétrécie à l’Est par la contagion populiste et à l’Ouest par le Brexit, menacée dans ses intérêts des deux côtés, par Poutine et Trump, l’adhésion des électeurs français à un programme explicitement réformiste, internationaliste et pro-européen donne au président français une marge de manœuvre, et à la France un positionnement central, qu’ils n’avaient pas eus en Europe depuis François Mitterrand.
Cette situation rend possible un renforcement du cœur du système européen autour de la France et de l’Allemagne, possibilité qui a été immédiatement perçue par les intéressés, et à laquelle Mme Merkel a souscrit ; mais elle ne deviendra une réalité qu’à trois conditions : que le sérieux revienne dans la gestion par la France de ses finances publiques et de ses engagements européens, ce qui symboliquement exige d’elle qu’elle ramène en-dessous de 3% en 2017 son déficit public ; que la France réussisse à transformer ses ambitions de relance européenne en des projets concrets qui permettent de recréer une dynamique de convergence économique et politique en Europe ; qu’à l’offre de partenariat de la France réponde celle de l’Allemagne : les circonstances internationales font de la France l’unique partenaire disponible pour elle ; il faut qu’à cette solidarité obligée se substitue un engagement qu’aura choisi et assumé l’Allemagne, celui d’une relance commune de l’Europe dans une relation privilégiée avec la France.
C’est lorsque ces trois conditions seront remplies qu’on saura vraiment que la France est de retour.
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