Laurent Wauquiez, les Républicains et Viktor Orbán edit
Le 12 septembre 2018, le Parlement européen a voté à la majorité qualifiée (448 votes pour, 197 contre et 48 abstentions) la résolution suivante : le Parlement « invite le Conseil à constater s’il existe un risque clair de violation grave, par la Hongrie, des valeurs visées à l’article 2 du traité de l’Union européenne et à adresser à la Hongrie des recommandations appropriées à cet égard ». Il s’est prononcé ainsi en faveur du rapport sur l’État de droit en Hongrie rédigé par l’eurodéputée Judith Sargentini qui énumère les « préoccupations » du Parlement face à un Viktor Orbán qui incarne la vague populiste déferlant en Europe. Ces préoccupations concernent le « fonctionnement du système constitutionnel et électoral » en Hongrie, « l’indépendance de la justice », « la corruption et les conflits d’intérêts » ou encore diverses libertés individuelles, ainsi que les droits des réfugiés. Ce rapport vise à demander au Conseil de l’Union européenne de déclencher la procédure de sanction prévue par l’article 7 du Traité sur l’Union européenne contre ce pays. Rappelons que l’article 2 du Traité dispose : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »
Au sein du PPE (Parti populaire européen), groupe auquel appartient le parti de Viktor Orbán, le Fidesz, 143 eurodéputés sur 211 ont voté la résolution mais chez les Républicains, parti français qui adhère à ce groupe, le vote a été différent puisque sur 16 membres, 5 seulement ont voté en faveur de cette résolution, 3, dont le chef de la délégation française, Franck Proust, ont voté contre, 6 se sont abstenus et 2 n’ont pas pris part au vote.
Laurent Wauquiez, président des Républicains, n’a pas indiqué quel aurait été son vote s’il avait été membre du Parlement européen mais ses déclarations permettent de penser qu’il aurait voté contre la résolution, comme l’a fait Franck Proust. Quels arguments Laurent Wauquiez et les responsables des Républicains qui étaient opposés à la résolution ont-ils donnés pour expliquer leur vote ? M. Wauquiez a salué la fermeté d’Orbán sur la crise migratoire et a dit ne pas être « gêné » par l’approche du Premier ministre hongrois sur cette question, confirmant ainsi qu’il entend se situer, au niveau français comme européen, sur la position des partis populistes de Pologne et de Hongrie ainsi que sur celles de la Ligue italienne, de la CSU bavaroise et du Rassemblement national français. Son souci de « ne pas diviser l’Europe » renvoie en réalité au projet des droites populistes européennes dans leur ensemble qui consiste à tenter de gagner les élections sur le thème du refus absolu de l’immigration. Du coup, les leaders des Républicains sont conduits à minimiser fortement la menace que représente dans plusieurs pays européens l’offensive déclarée et menée contre la démocratie libérale. C’est ainsi que Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat, a déclaré en marge de la présentation de son projet européen : « Comme d’autres pays de l’Est, la Hongrie est tentée par un modèle de démocratie illibérale, mais ça n’est pas pour autant une raison de la rejeter ». Quant à Franck Proust, il a déclaré que son vote contre la résolution « ne cautionne ni l’attitude ni les paroles de M. Orbán », mais force est de constater que « c’est le seul pays qui arrive à maintenir la progression de l’extrême droite ». Wauquiez a déclaré quant à lui au Figaro qu’« Orbán a toute sa place au sein du PPE. Il a été élu démocratiquement. Tous nos braves censeurs devraient s’en souvenir ». Oubliant ainsi de préciser ce que signifie concrètement du point de vue de la démocratie libérale être élu démocratiquement.
Pourtant, lui-même poursuit ainsi : « par contre, il y a des lignes rouges à ne pas franchir comme celles de l’État de droit ou la liberté de la justice ». Le problème est qu’Orbán a franchi ces lignes rouges depuis longtemps. De ce point de vue, je recommande fortement la lecture de la passionnante et terrifiante contribution à la livraison d’octobre 2018 de The Atlantic d’Anne Applebaum, chroniqueuse pour le Washington Post et professeure à la London School of Economics. Donnons quelques éléments sur ce point.
En matière d’immigration, M. Orbán a clairement repris à son compte la théorie « du grand remplacement », affirmant que l’Europe allait être envahie par l’islam : « Nous défendrons la culture chrétienne et nous ne livrerons pas le pays aux étrangers », a-t-il déclaré. Il a fini par chasser de Hongrie George Soros, juif d’origine hongroise, son université et ses associations d’aide aux réfugiés, en employant des arguments typiquement antisémites, le décrivant ainsi sans le nommer : « il n’avance pas à la lumière du jour, mais se cache, il ne se bat pas directement, mais furtivement, il n’est pas honorable, mais sans scrupules, il n’est pas national mais international, il ne croit pas au travail mais spécule avec de l’argent ; il n’a pas de patrie, mais estime que le monde entier lui appartient. » Viktor Orbán a détruit en Hongrie les contre-pouvoirs et a lancé une vaste révision constitutionnelle gravant dans le marbre les valeurs du « christianisme » et de la « famille traditionnelle », renforçant l’emprise du gouvernement sur la justice, et imposant le pouvoir de son parti dans toutes les institutions. La Cour constitutionnelle a vu ainsi ses pouvoirs limités. De même, la création d’une autorité pouvant sanctionner les organes de presse pour diffusion d’informations « non nuancées » a placé la grande majorité des médias dans la sphère d’influence du gouvernement, allant même jusqu’à la publication, récemment, d’une liste de journalistes « suspects ». La corruption s’est développée aux plus hauts niveaux de l’État. Le gouvernement a fortement restreint la liberté de fonctionnement des universités. Le traitement réservé par la Hongrie aux migrants, qui ne semble pas gêner M. Wauquiez, est jugé contraire au droit européen. Enfin, sa guerre déclarée aux plus démunis est considérée comme étant « incompatible avec le droit international sur les droits de l’Homme » par le Parlement européen lui-même.
Last but not least, Viktor Orbán ne se contente pas de saper les bases de la démocratie libérale, il assume publiquement son projet. Il n’est donc pas seulement « tenté » par le modèle de la démocratie illibérale, il entend l’étendre à l’ensemble de l’Europe. Il a ainsi déclaré « l’ère de la démocratie libérale touche à sa fin. Elle ne parvient pas à protéger la dignité humaine, est incapable d’offrir la liberté, ne peut pas garantir la sécurité et ne peut plus maintenir la culture chrétienne ». Il entend défier « l’ancien ordre mondial » en faveur d’une véritable démocratie chrétienne.
La position extrême de Laurent Wauquiez sur le cas Orbán a creusé encore davantage le fossé qui sépare désormais au sein des Républicains ses partisans de ceux qui, derrière Valérie Pécresse et le président du Sénat, Gérard Larcher - qui s’est dit « fondamentalement attaché aux valeurs de l’État de droit telles qu’inscrites dans la charte du PPE » et qui aurait voté l’activation de l’article 7 – ont condamné clairement la dérive hongroise. La première a demandé lors d’un récent bureau politique des Républicains une condamnation claire du « démantèlement de l’État de droit » en Hongrie. « Le recul de la liberté de la presse, des libertés universitaires, de l’indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs, ne sont pas compatibles avec les valeurs européennes », a-t-elle affirmé. « Les Républicains doivent redire clairement, comme à l’article 3 de leurs statuts, qu’ils s’engagent ‘pour la construction d’une Europe libre et démocratique et pour le progrès de la démocratie dans le monde’ », a-t-elle ajouté. Elle a appelé « le bureau politique à réaffirmer la non porosité entre les Républicains et l’extrême droite et demandé à ce que les ‘fusionistes’ soient déclarés immédiatement démissionnaires du parti. Laurent Wauquiez l’a accusé de fragiliser sa famille. « Il y a une voie pour une droite européenne mais qui considère qu’il faut mettre fin au laxisme migratoire par exemple. Le débat est derrière nous », lui a-t-il répondu.
La droite de gouvernement est ainsi aujourd’hui profondément fracturée. Dans un prochain article, nous analyserons la portée de cette rupture du point de vue du fonctionnement du système de partis français dans son ensemble.
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