Le PS et la social-démocratie edit
Dans une tribune publiée le 29 mai dans le Journal du dimanche, 200 parlementaires, universitaires et hauts fonctionnaires signent un manifeste pour défendre la social-démocratie menacée selon eux d’une disparition qui « serait grandement dommageable ».
Ils ont d’abord voulu rappeler que la social-démocratie, ce sont d’abord des valeurs, ensuite « des réalisations qui ont profondément marqué nos sociétés, et que dès lors face aux défis d’un capitalisme financiarisé, spontanément inégalitaire et attentatoire aux équilibres de la planète le message social-démocrate, au-delà de ses vicissitudes électorales, demeure fondamentalement actuel ».
Tout le problème est que ce rappel pose plus de problèmes qu’il n’en résout. Nul ne doute que la social-démocratie soit un humanisme, qu’elle promeuve les libertés et qu’elle entende assurer la production et la distribution égalitaire des biens communs. Chacun sait aussi que la social-démocratie, au cours de son histoire, a substitué la régulation du marché à la nationalisation, la subsidiarité au centralisme, la redistribution et la négociation sociale au dirigisme. Mais qu’en est-il plus précisément du socialisme français dans cette évolution générale ? Lorsque le manifeste parle de danger de disparition de ce courant politique, s’agit-il de la social-démocratie en général ou plus spécifiquement du parti français ? En effet, il ne répond pas à la question centrale : pourquoi la social-démocratie a-t-elle prospéré dans de nombreux pays européens en se transformant profondément, et pas en France où elle n’a jamais clairement triomphé de la culture révolutionnaire et jacobine de la gauche française ? Est-ce vraiment le courant social-démocrate qui est en voie de disparition en France, ou plutôt un socialisme qui n’a jamais pu se constituer en un véritable parti social-démocrate ? Et n’est-ce pas précisément cette incapacité qui est la cause de son déclin, déclin déjà patent dans les années soixante et que François Mitterrand avait pu bloquer un temps en faisant du PS un véritable parti de gouvernement ?
Le manifeste ne se pose pas ces questions. Or, sans se les poser, comment comprendre les raisons de l’effondrement du Parti socialiste au cours de la période 2017-2022, effondrement dont d’ailleurs le manifeste n’examine pas les causes ?
Les auteurs écrivent à juste titre que la social-démocratie n’est pas seulement un ensemble de valeurs, de principes et de convictions mais aussi une forme de gouvernement « qui tient compte du pluralisme dans la société et bâtit les compromis utiles pour que tous puissent être pris en compte et représentés ». Mais les auteurs ne la définissent ensuite que de manière négative. Elle « n’est ni une gauche tiède, centriste, qui hésiterait entre radicalité et modération selon les saisons, ni une gauche en apparence et un néolibéralisme tempéré en substance ». Appliquée au cas français, cette définition semble signifier qu’elle n’est aujourd’hui ni mélenchoniste ni macroniste. Mais qu’est-elle positivement, du point de vue de la conception et des objectifs de l’exercice du pouvoir ?
Quelles perspectives politiques tracer dans les pays qui ont réalisé l’essentiel du programme social-démocrate tel que décrit par nos auteurs ? Le fait de définir cette forme de gouvernement comme pluraliste et privilégiant le compromis, qui est certes fondamentale, ne dit rien sur la manière dont sera appliquée cette définition aux enjeux de la politique étrangère et de sécurité, aujourd’hui cruciaux, ni sur les sujets de politique économique et sociale, notamment dans leur rapport à notre appartenance à l’Union européenne.
En matière de politique étrangère et de sécurité, comment se situer dans le nouveau conflit mondial et que préconiser du point de vue de nos relations avec les États-Unis, la Russie, l’Ukraine mais aussi la Chine ? En matière économique et sociale, trois questions récurrentes sur le bilan et les perspectives de la social-démocratie permettent d’illustrer le débat inachevé sur son essence et ses déclinaisons nationales. Ce débat se pose dans l’ensemble des pays européens, mais il prend un tour plus grave en France, du fait des particularités du socialisme français, de sa passion pour l’État et de son enlisement historique dans les politiques économiques de la demande, qui privilégient les consommateurs au détriment des travailleurs.
Le premier sujet est celui des biens publics et de la propriété publique des moyens de production et d’échange. Ce sujet a longtemps divisé socialistes français longtemps attachés aux nationalisations et sociaux-démocrates britanniques pour qui cette revendication était typique du vieux socialisme étatique avec lequel il convenait de rompre. Si nul ne réclame le retour aux nationalisations et aux monopoles publics, dans leur manifeste les sociaux-démocrates français plaident pour des monopoles publics dans les domaines de l’eau de la santé et de l’éducation. Ces références à des services publics plus qu’à des secteurs d’activité ou à des monopoles privés témoignent d’abord d’un consensus nouveau : nul ne plaide pour la nationalisation d’activités productives et même dans les biens communs on consent à la gestion privée. Mais s’agissant des services publics de l’éducation ou de la santé que signifie le maintien du monopole public ? Si de plus en plus de citoyens sont contraints par la rareté de l’offre publique à devoir recourir à une médecine privée mal remboursée que devient l’objectif d’égalité ? De même s’agissant de l’éducation, la dégradation continue de l’offre publique a généré une demande croissante d’offre privée si bien que l’école confessionnelle est parfois devenue le refuge de parents en quête de qualité. Comment réagir à une telle situation ? Faut-il emprunter aux solutions du New Labour ou d’Emmanuel Macron en promouvant l’autonomie des établissements, la différenciation salariale et la priorité financière aux quartiers difficiles, c’est-à-dire en donnant plus à ceux qui ont moins ?
Le deuxième sujet est celui de l’horizon social et redistributif de la social-démocratie. La crise de la gauche française durant la présidence Hollande est due, selon les frondeurs, à la conjonction d’une conversion progressive à une politique de l’offre, et à l’abandon des politiques traditionnelles de relance par la demande et de certains aspects des politiques de redistribution. Cette mise en cause qu’Olivier Faure qualifie de trahison est injuste, ne serait-ce que parce que Hollande a fortement alourdi la taxation du capital pour financer ses politiques sociales. Elle n’en pose pas moins un problème redoutable : la social-démocratie comme projet politique peut-elle perdurer sans avancées sociales et sans nouveau projet de redistribution ? L’enjeu est majeur ne serait-ce que parce que la social-démocratie a essayé de se réinventer autour de l’écologie ou du libéralisme culturel, libérant un espace social que la vieille gauche a vite occupé. Mais alors, comment concevoir ce nouveau projet social ? Et dans un pays parmi les plus fortement redistributeurs de l’OCDE, peut-on raisonnablement pousser le curseur plus haut ? Lorsque les auteurs estiment que par leur action sur le système même de production de richesses, les politiques sociales-démocrates doivent faire en sorte que « le système productif participe directement à la réduction des inégalités au lieu de les développer », il s’agit là d’une affirmation d’une telle importance qu’elle demande à être développée et étayée, notamment par rapport à cette autre exigence qu’est le développement de notre production et la création d’emplois.
Le troisième sujet est celui de l’articulation entre l’échelon européen et l’échelon national en matière de définition des politiques publiques. Les sociaux-démocrates ont été les soutiens enthousiastes de l’intégration européenne mais avec le temps et les transferts de compétences la question démocratique n’a pas manqué de resurgir. Comment en effet peut-on plaider pour une « union toujours plus étroite » et maintenir pour l’essentiel les règles et la légitimité des institutions politiques nationales ? N’y a t-il pas une nécessité à retrouver une forme classique de souveraineté dès lors que l’on veut élargir les politiques de redistribution ? La tentation de la « désobéissance » formalisée par LFI en France n’est-elle pas inévitable lorsqu’on veut diverger fortement du cadre européen tel qu’il est défini par le pacte de stabilité, le semestre européen et les règles de la concurrence libre et non faussée ? L’alternative à cette tentation est bien sûr le saut qualitatif vers le fédéralisme budgétaire et l’union politique mais il faut alors entraîner l’ensemble des membres du club. Est-ce le projet de nos sociaux-démocrates ?
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