Les prophéties de Jamie Dimon edit
Le patron de la banque JP Morgan Chase s’est offert un petit succès médiatique en parlant d’un ton inquiet de la prochaine crise financière. Ce qu’il a dit n’est pas vraiment original, mais l’intérêt est ailleurs : ce qui compte, c’est qui le dit, et pourquoi.
D’abord, Jamie Dimon est un des rares patrons de Wall Street qui ait survécu à la crise. Il doit sa survie à l’excellente santé de sa banque, qui a profité de la crise pour grossir en rachetant des concurrents agonisants. En particulier, son rachat de Bear Stearns en mars 2008 restera dans les annales de Wall Street, pourtant riches en événements spectaculaires. JP Morgan Chase a alors racheté son concurrent pour environ 2% de sa valeur d’un an auparavant, et ce avec l’aide un prêt gigantesque de la banque centrale américaine, la Fed. Un peu plus tard, face à une menace de plainte des actionnaires des Bear Stearns, JP Morgan Chase a revu son offre à la hausse, en multipliant le prix d’achat par cinq ! Il est admis que Jamie Dimon a fait une affaire exceptionnellement juteuse. Ses actionnaires n’ont aucune raison de lui en vouloir. Ses revenus personnels en témoignent.
C’est d’ailleurs sa lettre annuelle à ses actionnaires qui a attiré l’attention. Jamie Dimon y dit qu’il y aura encore une crise financière, ce que tout le monde sait, ou devrait savoir. Il ne dit pas quand, ni comment, ce que personne ne sait. Dans six mois ou dans dix ans, ou beaucoup plus. Il n’y a pas de finance sans prise de risque, et quand on prend des risques tout le temps, un jour ou l’autre, forcément, l’accident arrive. Il dit aussi que les banques sont aujourd’hui plus robustes que jamais et mieux armées pour faire face à une crise. La raison en est la réglementation bancaire adoptée depuis la crise. Voilà qui est surprenant, venant de la part d’un banquier qui a déployé des efforts considérables pour essayer de bloquer cette réglementation. Aurait-il changé d’avis ?
Pas vraiment, et c’est ce qui est intéressant. Sa thèse est que le prix à payer pour des banques plus solides est un marché plus fragile, une sorte d’histoire de vases communicants. Dans le monde de Jamie Dimon, les banques sont les anges gardiens des marchés financiers. Qu’un accident se produise, et elles feront ce qu’il faut, tout comme il l’a fait avec Bear Stearns, les profits n’étant que la juste rémunération pour service accomplis. C’est une vieille tradition de la maison. Son fondateur, John Pierpont Morgan, est entré dans les livres d’histoire pour avoir organisé la fin de la panique bancaire de 1907 en sauvant, avec l’aide d’autres banquiers, un courtier de Wall Street. C’est cette action spectaculaire a fini par convaincre le Congrès, toujours hostile à trop de gouvernement, de créer en 1913 une banque centrale, la Réserve Fédérale. Certes, au passage, Morgan a accru son emprise sur l’industrie de l’acier, obtenant directement du président Theodore Roosevelt, dans le feu de l’action, une immunité face à la loi anti-trust – la juste rémunération du service accompli.
Que dit aujourd’hui le patron de JP Morgan Chase ? Il affirme que les nouvelles réglementations bancaires ont pour conséquence d’empêcher les banques de prendre les risques associés à un sauvetage en urgence de l’une d’entre elles. Il a sans doute raison. Les nouvelles règles ont pour objectif de rendre les banques plus sûres. L’idée est qu’elles ne doivent plus se trouver dans la situation où il faut absolument les sauver pour éviter un effondrement du système financier. Mais il sait bien que les banques vont toujours s’arranger pour contourner les règles et que des accidents se reproduiront. Si les banques ne sont plus en mesure d’organiser le sauvetage de l’une d’entre elles, ce sera au gouvernement et à la Réserve Fédérale de le faire. Les risques seront alors pris sur le dos des contribuables. Ainsi, Jamie Dimon se présente en protecteur des contribuables. C’est exact. Mais rien ne dit que le gouvernement ne peut pas organiser une opération de sauvetage qui ne soit pas profitable pour les contribuables. C’est précisément ce que prévoient les nouvelles règles qu’il combat. L’idée est de faire payer aux actionnaires des banques en difficulté le coût, et plus, d’une opération de sauvetage. Quand il écrit à ses actionnaires, Jamie Dixon sait comment les caresser dans le sens du poil. C’est un grand patron qui pense à ses actionnaires, pas aux contribuables.
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