Les régionales et la présidentielle edit
L’effondrement de la participation aux élections régionales et départementales est l’événement marquant de ces élections locales qui ont marqué un record d’abstention pour toutes les élections sous la Ve République. Que les deux tiers des électeurs aient boudé les urnes est un phénomène qui exige réflexion et action. Certes, plusieurs raisons peuvent l’expliquer. D’abord la période particulière que viennent de vivre les Français avec la pandémie qui a été leur préoccupation première. Le fait, aussi, qu’ils ne savent pas toujours précisément quelles sont les missions des différentes collectivités qui composent notre millefeuille électoral. L’absence enfin d’enjeux politiques clairs de ces élections.
Ces raisons nous paraissent cependant secondaires. Le niveau élevé de l’abstention a deux causes principales : la cannibalisation par l’élection présidentielle des autres consultations électorales et la déstructuration du système partisan.
L’élection présidentielle a toujours été sous la Ve République l’élection reine. Mais le temps passant, elle est devenue la seule ! Hommes politiques, médias et sondages ont concentré l’attention des Français sur cette unique élection en la personnalisant à l’extrême. L’autonomisation croissante des candidats par rapport aux partis politiques a encore accru cette tendance. Du coup, un phénomène de déconnexion entre ces élections et les autres consultations n’a cessé de se développer. Jugeons-en. Entre 1986 et aujourd’hui, l’abstention aux régionales est passé de 22% à 66%. Aux municipales elle est passée entre 1989 et 2020 de 27% à 55%. Aux législatives, entre 1997 et 2017, de 32 à 51%. L’abstention à l’élection présidentielle n’a jamais connu, elle, de progression importante ; elle n’était que de 19% en 2012 et elle a atteint 22% en 2017.
La déstructuration du système partisan apparue en 2017 a accéléré la progression de l’abstention, privant une grande partie des électeurs de leurs repères traditionnels avec l’affaiblissement, visible depuis le début du siècle, du clivage gauche/droite. Entre 2015 et 2021, l’abstention aux régionales est passée de 49,5% à 66%, aux municipales de 36% en 2014 à 55,3% en 2020 et aux législatives, de 42,8% en 2012 à 51,3% en 2017.
Cette déstructuration du système n’a pas débouché sur sa recomposition, privant les citoyens de repères clairs pour s’orienter dans le champ politique. Du coup, les résultats de l’élection présidentielle n’ont pas permis de réorganiser la vie politique au niveau des différentes collectivités, la déconnectant ainsi des élections locales.
Cette situation s’est traduite, qu’il s’agisse des élections régionales, départementales ou municipales, par une abstention croissante, au bénéfice des équipes sortantes qui ont souvent enregistré des progrès importants par rapport aux scrutins précédents, mesurés sur les suffrages exprimés. Aux régionales d’hier, quelle que soit leur couleur politique, les présidents sortants, tous candidats à leur réélection, devraient être réélus, avec une possible exception en PACA. Les partis n’ayant pas de sortants, c’est-à-dire les écologistes, la France insoumise, la République en marche et le Front national, ne gagneront probablement aucune région. Cette situation représente un double inconvénient. La dépolitisation des élections locales, souvent souhaitée, est en réalité un élément d’affaiblissement pour les collectivités, dont les élus n’ont recueilli qu’une part très faible des électeurs inscrits, empêchant notamment un renouvellement des équipes.
Cette prime au sortant, qui pourrait permettre aux sept sortants de la droite modérée et aux cinq sortants socialistes de conserver leur siège au second tour, a joué principalement contre le parti du président de la République – celui-ci se trouvant très isolé, son parti, malgré un début d’implantation avec 11,2%, ne pouvant jouer un rôle dans la recomposition politique au niveau local – et le Rassemblement national, qui enregistre partout des reculs, souvent très importants, notamment dans le Grand Est, en Auvergne Rhône-Alpes, en Occitanie et dans les Hauts de France, subissant du coup une spectaculaire défaite. Quant au PS et à EELV, dans les régions où la gauche n’était pas sortante, elle est, elle aussi, en recul, notamment en PACA et dans les Hauts de France. En fin de compte, la droite modérée, comme aux municipales de l’an dernier, ayant le plus de sortants, comptera le plus de victoires et sera considérée, à juste titre, comme le vainqueur de ces élections.
De 2021 à 2022
Peut-on extrapoler à partir de ces résultats pour ce qui concerne les élections de l’an prochain ? Dans l’ensemble, on ne peut en tirer beaucoup de conclusions pour l’élection présidentielle, à moins que l’augmentation de l’abstention touche à son tour cette élection, phénomène peu probable mais que l’on ne peut écarter complètement. Néanmoins, ces élections régionales peuvent avoir des conséquences à la fois pour la droite modérée et le Rassemblement national.
Pour la droite modérée, ces résultats sont à la fois porteurs d’espoir et gros de périls. Espoir : les très bons résultats des présidents sortants dans les Hauts de France, en Auvergne Rhône-Alpes et en Ile de France, ne peuvent que rendre un peu d’optimisme à une famille politique qui se sentait prise en étau entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, et faire pousser des ailes à ces trois candidats en puissance. Péril : LR sort conforté de ces élections. Mais, du coup, comment un parti qui a renoncé aux primaires pourra-t-il arbitrer entre les trois candidats… et imposer sa décision, en admettant qu’il en prenne une ? En particulier, pourquoi Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez, qui vont être triomphalement réélus, accepteraient-ils de se retirer l’un en faveur de l’autre alors qu’ils sont sur des lignes politiques opposées et que l’un est membre de LR et pas l’autre ? À peine regonflée par ses victoires, la droite modérée ne risque-t-elle pas d’imploser dans les mois qui viennent ?
Quant à Marine Le Pen, qui s’était fortement impliquée dans la campagne, la dynamique de sa candidature risque d’être cassée par les très mauvais résultats de son parti. Seule une victoire en PACA pourrait amortir un peu le choc de cette défaite. Quels que soient les arguments – pour partie recevables – qu’elle avance pour l’expliquer, ces élections montrent la fragilité d’un électorat protestataire qui n’a pas transformé sa sympathie pour le RN en vote effectif. L’image d’éternelle perdante qui lui collait à la peau et dont elle commençait à se défaire ces derniers temps va lui revenir en boomerang.
Enfin, l’image d’isolement d’Emmanuel Macron, après les contre-performances de son parti, ne peut que s’installer dans l’opinion, le fragilisant lui aussi. Pour autant, il est peu probable que la déconnexion entre élection locales et élection présidentielle disparaisse dans les temps qui viennent.
À propos des élections législatives, trop d’inconnues existent pour tirer aujourd’hui des plans sur la comète. Dans l’hypothèse où Macron serait réélu, il est possible que le phénomène d’augmentation de l’abstention continue de se produire pour ces élections. Certes, il se peut qu’il joue à nouveau à son bénéfice. Mais nul ne peut en être certain. Son socle électoral risque d’être encore plus réduit qu’en 2017. N’est-il pas temps pour lui de réfléchir à frais nouveaux à notre mode de scrutin législatif et à envisager d’instaurer une proportionnelle à prime majoritaire, afin que le macronisme puisse sortir de son isolement ?
Des analyses complètes des résultats des élections régionales et départementales seront publiées sur Telos au lendemain des seconds tours de scrutin, respectivement par Pierre Martin et Florent Gougou.
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