Marine Le Pen au secours de Donald Trump edit
On savait que le Rassemblement national soutenait Donald Trump. À la veille de l’élection présidentielle américaine, Marine Le Pen estimait qu'une victoire du président américain sortant serait «meilleure pour la France» : « Donald Trump, c'est le retour des nations, déclarait-elle, c'est l'arrêt de la mondialisation sauvage, de cette dérégulation, de cette disparition des frontières qui, je crois, a fait beaucoup de mal aux nations. Je pense qu'un dirigeant qui plaide pour le retour de la nation, pour le retour du patriotisme, pour le retour des frontières et pour le retour de la souveraineté, cela va à mon avis dans le sens de l'histoire », concluait-elle. Nous ne partageons pas son point de vue mais il s’agit d’une ligne qu’elle a défendue elle-même en 2017 et qu’elle défendra encore en 2022. Et c’est bien son droit en démocratie. En revanche, ses déclarations et celles de son parti, depuis l’élection américaine, prennent une toute autre signification du point de vue de son rapport à la démocratie elle-même.
Mardi dernier, Marine Le Pen a déclaré qu’elle ne reconnaissait « absolument pas » la victoire de Joe Biden, estimant que « lorsqu'il existe des recours, il faut que la justice puisse trancher avant de décider de ce qui sort des urnes», ajoutant : « Je fais partie de ceux qui ne félicitent pas le futur président des États-Unis, parce que je ne considère pas que le match est joué tant qu'on n'a pas terminé les prolongations ». Interrogée sur les accusations de fraude lors du scrutin lancées par Donald Trump, elle dit « attendre de savoir ce que la Justice américaine dira. Et à propos des médias américains elle ajoute : « Je suis d'ailleurs assez étonnée de voir cette unanimité médiatique et parfois même politique pour se précipiter à annoncer un résultat alors qu'on sait qu'il y a des recours qui sont actuellement en train d'être étudiés par la justice. » Alors que le duel entre les deux candidats s'annonçait plus serré que prévu, la présidente du Rassemblement national déclarait le 4 novembre : «La réalité, c'est qu'on s'aperçoit que la classe médiatique, comme d'habitude, veut voir le monde tel qu'elle le souhaite, et non tel qu'il est. »
Le sénateur RN Stéphane Ravier, quant à lui, n’a toujours pas effacé son tweet publié mercredi 4 à Washington où il proclamait « la victoire » de Trump aux côtés de Steve Bannon, l’idéologue d’extrême-droite - un temps le conseiller de Trump et qui fut l’invité vedette du RN à son congrès de 2018 - qui appelait à l'exécution du docteur Anthony Fauci et du directeur du FBI, Christopher Wray : « En fait, je voudrais aller plus loin mais je sais que le président est un homme qui a bon cœur et un homme bon. J'aimerais revenir aux temps anciens de l'Angleterre des Tudor. Je mettrais leurs têtes sur des piques, je les mettrais aux coins de la Maison-Blanche... Comme avertissement aux bureaucrates fédéraux! Soit vous êtes avec nous, soit vous dégagez. Il faut arrêter de jouer! Faut tout faire sauter! »
Mettons de côté les incompréhensions de Marine Le Pen, telle que : « Ce que je note, c'est qu'un certain nombre de décomptes ont été effectués et que des décomptes donnent, pour ceux qui sont terminés, des résultats qui sont différents de ceux qui avaient été annoncés. » Il ne s’agissait évidemment que de résultats partiels au début et, au fur et à mesure que les résultats des grandes villes, favorables à Biden, arrivaient, la tendance en faveur du candidat démocrate se renforçait. Concentrons-nous sur l’essentiel. Il faut d’abord rappeler la réalité. À l’heure où cet article est publié, Biden rassemble 77,492 millions de voix et Trump 72,309 millions, soit 5 millions de moins - respectivement 50,9% et 47,5% des suffrages exprimés, soit un écart important, de plus de trois points. Rappelons qu’en 2016 l’écart entre les deux candidats n’était que de 3 millions de voix en faveur d’Hillary Clinton. Au niveau du collège électoral, Biden dispose de 290 votes contre 217 à Trump, la majorité étant à 270. En ajoutant pour Biden les 16 votes de Géorgie et pour Trump les 15 votes de la Caroline du nord, nous sommes à 306 votes pour Biden et 232 pour Trump. Tous les connaisseurs des questions électorales aux Etats-Unis sont d’accord pour estimer que les recomptages éventuels ne remettront pas en cause ces résultats. Une déclaration du Conseil de coordination qui supervise le système électoral américain vient de contredire le président, affirmant que cette élection avait été « la plus sûre de toute l’histoire des Etats-Unis. » Elle a été diffusée par le Department of Homeland Security’s Cybersecurity and Infrastructure Security Agency, l’une des agences de son propre cabinet. A travers tout le pays, les responsables officiels n’ont rapporté aucune fraude systémique, estimant que le vote s’était déroulé tranquillement dans tous les Etats. Il ne fait donc pas de doute que Biden a bien été élu président.
Du coup, la position du Rassemblement national, en épousant celle du président américain qui ne reconnaît pas l’élection de son adversaire, suscite des doutes sur la réalité de la conversion démocratique du parti créé par Jean-Marie le Pen. Du père à la fille, la filiation demeure forte. L’attaque des médias, spécialité trumpienne, reprise ici par Marine le Pen, est toujours une attitude de rejet de la démocratie libérale. Non, les médias ne se sont pas « précipités » pour annoncer les résultats. Ils ont attendu, comme d’habitude, que la majorité des votes du collège électoral ait été obtenue par un candidat pour annoncer son élection. Ils n’attendent jamais pour annoncer les résultats le vote de ce collège qui a lieu plusieurs semaines après l’élection. Ceci s’est passé de la même manière en 2016 pour l’annonce de l’élection de Trump. Même FoxNews a annoncé l’élection du candidat démocrate ! Le refus du RN de reconnaître l’élection de Biden, sous prétexte que certains recours n’ont pas été tranchés ou certains décomptes achevés, traduit une hésitation, pour ne pas dire plus, du RN à accepter la loi du suffrage universel. Quand, pour la première fois, s’oppose à la grande tradition démocratique américaine un président qui refuse d’accepter le verdict populaire il n’est pas sans intérêt d’observer de quel côté se situe la présidente du Rassemblement national.
Elle n’est d’ailleurs pas la seule, dans l’Union européenne, à se situer ainsi. En Slovénie, qui assurera en juillet prochain la présidence de l’UE, le Premier ministre populiste, Janez Jansa, a salué la victoire de Trump au lendemain de l’élection et critiqué les médias pour “delays and facts denying”. Après l’annonce des résultats par les médias il a retweeté des théories conspirationnistes. En Estonie, le parti populiste d’extrême-droite de la famille Helme, dont le père est ministre de l’Intérieur et le fils ministre des Finances, a accusé Biden de corruption et affirmé que les élections étaient falsifiées. Le premier vient de démissionner sous un déluge de critiques mais le second est toujours en place. Quant à Viktor Orban, le chef du gouvernement hongrois, dont le trumpisme est bien connu, il a déclaré à la veille de l’élection que les Etats-Unis n’avaient pas de plan B si le président sortant était battu. Bref, Marine Le Pen est en bonne compagnie !
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