Trump et les incertitudes de la politique intérieure américaine edit
La presse européenne a largement commenté la chute spectaculaire des opinions favorables aux États-Unis, dans tous les pays occidentaux et notamment l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Pour tous les observateurs, cette chute est la conséquence du comportement erratique du président Trump.
Toutefois, ces données ont peu d’impact sur la politique intérieure des États-Unis. Trump conserve de solides appuis dans l’opinion et ses adversaires démocrates peinent à bâtir une opposition efficace, susceptible de l’emporter en 2020.
Les inconditionnels du président Trump
Dans un pays obsédé par les sondages, la cote de Trump fait l’objet d’évaluations quasi quotidiennes. En janvier dernier, au moment de son intronisation elle était, à 42% d’opinions favorables, la plus faible de tous les présidents nouvellement élus. Depuis, elle a légèrement baissé mais reste à un niveau significatif de 38-39%. Surtout sa ventilation entre les partis montre que l’électorat républicain continue à soutenir massivement, à hauteur de 90%, l’homme qu’il a élu. La majorité d’opinions négatives vient des Démocrates mais aussi, ce qui est plus préoccupant pour le président, des indépendants qui représentent près du tiers des électeurs.
La fidélité sans faille des électeurs républicains s’explique aisément. Jusqu’à présent, Trump a réussi avec une incontestable habileté à conserver le contact avec eux. Son style populiste, sa xénophobie, ses proclamations de défense des intérêts économiques nationaux face aux Chinois, Allemands et autres Européens sont conformes aux discours tenus pendant sa campagne et montrent que le pouvoir ne l’a pas changé. Sa politique systématique de suppression de toutes contraintes en matière d’environnement et son rejet des accords de Paris sur le climat irritent quelques grands groupes industriels mais sont largement approuvés par les petites et moyennes entreprises qui ne cessent de se plaindre des contrôles et de la bureaucratie. Enfin, la nomination d’un juge ultraconservateur à la Cour suprême est applaudie par les communautés évangélistes du Sud qui sont ses plus fidèles soutiens.
Le fait que le président n’ait pas réussi jusqu’à présent à faire passer au Congrès les grandes réformes qu’il avait promises et notamment le remplacement de l’Obamacare et la refonte du code fiscal ne joue pas encore en sa défaveur, pour deux raisons : d’une part, il se pose en victime en disant que son action est paralysée par les méchants Démocrates et par des élus républicains inefficaces, d’autre part, il a pris de nombreuses décisions sous forme de l’équivalent américain des décrets, les executive orders, qui ont eu pour objet de supprimer des mesures qui avaient été prises par Obama pour protéger les consommateurs et sauvegarder l’environnement.
Il en va de même pour l’interdiction d’entrée aux États-Unis de personnes originaires de six pays musulmans. Cet acte d’autorité pris par Trump dès son arrivée à la Maison-Blanche a suscité un tollé des Démocrates, l’embarras de certains élus républicains et a été sanctionné par les cours de justice fédérales. Néanmoins, les électeurs de base du président l’ont soutenu et la récente décision d’une Cour Suprême de plus en plus conservatrice de rétablir une partie de cette interdiction a été interprétée comme une victoire de Trump.
Une minorité au pouvoir
Il n’en demeure pas moins que la situation politique américaine est pleine de paradoxes. On a affaire à un président élu avec trois millions de voix de moins que son adversaire Hillary Clinton, très impopulaire puisque 55% des Américains désapprouvent sa politique et dont les actes, dictés par la droite républicaine, sont rejetés par une majorité.
L’exemple le plus spectaculaire de cette situation est l’interminable débat autour de l’Obamacare, le régime universel d’assurance maladie instauré par Obama et que Trump et les Républicains s’étaient juré de remplacer par un système moins onéreux et moins bureaucratique. Le Congrès et le Sénat ont élaboré, avec l’accord de Trump, un dispositif qui aura pour conséquence de faire perdre à terme le bénéfice du régime à vingt millions de personnes mais qui permettra, grâce aux économies dégagées, de réduire fortement l’imposition des contribuables les plus fortunés.
Ce projet qui n’est pas encore définitivement adopté est très impopulaire puisque seuls 38% des sondés le soutiennent alors qu’il récolte près de 50% d’avis négatifs. Il présente aussi l’inconvénient de priver d’assurance une partie des électeurs de Trump, les petits salariés blancs et les retraités. Néanmoins il est très probable que le texte sera finalement voté. De même, il est vraisemblable que la Cour suprême prendra des décisions négatives sur le droit à l’avortement et le mariage homosexuel alors que l’opinion est très largement favorable à ces deux dispositions.
Les faiblesses des Démocrates
Ainsi Trump maintient ses positions grâce à une minorité d’électeurs fidèle et motivée ainsi que des élus républicains qui hésitent à affronter leur base. Toutefois, un de ses principaux atouts est la faiblesse de l’opposition démocrate. Ce parti souffre en effet des mêmes maux que la social-démocratie européenne. Il est profondément divisé entre une aile gauche animée par l’ancien candidat à la primaire Bernie Sanders et la sénatrice Elisabeth Warren qui préconise d’importantes réformes en matière d’assurance maladie, de fiscalité et d’aide aux étudiants et une aile centriste, proche de Hillary Clinton, qui veux éviter d’affronter Wall Street et affiche sa prudence sur les sujets de société.
Ces divergences sont apparues nettement à l’occasion d’une récente élection partielle en Géorgie. Le candidat démocrate a été battu de justesse. On lui a reproché d’avoir adopté des positions trop centristes pour ne pas effrayer l’électorat très conservateur de cette circonscription qui finalement n’a pas voté pour lui.
Comme le Parti démocrate n’arrive pas à se mettre d’accord sur un programme et n’a plus de leader incontesté, il se concentre sur la seule chose qui unit ses différentes tendances, c’est-à-dire l’attaque frontale et permanente contre Trump et l’enquête sur d’éventuelles complicités russes pendant la campagne présidentielle. Le « Russian probe » est devenu une obsession des élus démocrates alors qu’il n’est pas certain qu’il soit une priorité pour leurs électeurs, soucieux du maintien de leurs emplois et de leur niveau de vie.
Des échéances électorales aléatoires
Pour l’ensemble de la classe politique, l’enjeu est désormais les « midterm », le renouvellement en novembre 2018 de la totalité de la Chambre des représentants et d’un tiers du Sénat. Le site FiveThirtyEight.com qui regroupe les meilleurs spécialistes des sondages estime qu’en raison des médiocres résultats de Trump et de l’impopularité de la réforme de l’assurance maladie, les Démocrates pourraient gagner de 15 à 25 sièges, ce qui leur permettrait de frôler la majorité à la Chambre. Ils pourraient aussi regagner la majorité au Sénat. Ce succès même relatif fragiliserait la présidence Trump et rendrait plus probable sa défaite en 2020.
Au surplus, si un scandale majeur de conflits d’intérêt ou de complicité avérée avec la Russie venait à éclater entretemps, ce qui n’est pas exclu, il est vraisemblable que les Républicains, soucieux de sauvegarder leur pouvoir, prendraient leurs distances avec un Trump devenu toxique et le pousseraient soit à démissionner, soit à ne pas se représenter en 2020.
Le bilan politique des premiers mois de la présidence Trump montre néanmoins que le pays est plus divisé que jamais. Le Parti républicain reste dominé par une droite dure soucieuse avant tout de conserver l’appui des milliardaires comme les frères Koch qui la financent et des milieux évangélistes obsédés par les problèmes de société. Les Démocrates sont de plus en plus dominés par une aile gauche qui veut réécrire le programme du parti mais reste elle aussi minoritaire dans le pays. Il est clair en tout cas que les questions de politique intérieure joueront un rôle déterminant lors des échéances électorales de 2018 et 2020.
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