Une réforme, une seule, mais la bonne edit
Qui sont les grands réformateurs économiques? Léon Blum, parce qu’il a créé les congés payés. Margaret Thatcher, parce qu’elle a brisé la toute-puissance des syndicats. Gerhard Schroeder, parce qu’il a assoupli le marché du travail. Ronald Reagan, parce qu’il a mis un terme à l’expansion de la taille de l'Etat. Certes, ceux qui sont restés longtemps au pouvoir en ont fait plus, construisant sur leurs réformes essentielles. Nos candidats à l’Élysée qui se veulent réformateurs feraient bien de méditer ces exemples. Au lieu d’écrire des livres et de formuler des centaines de propositions, ils seraient bien inspirés de choisir très soigneusement une réforme, celle qui les fera entrer dans les livres d’histoire et qui, peut-être, débloquera d’autres possibilités si les circonstances s’y prêtent.
Le retour de flamme qui atteint François Fillon est emblématique. Sur les dizaines de propositions qu’il a avancées durant la campagne des primaires de son parti, l’une d’entre elles a cassé sa dynamique conquérante. On a beau beaucoup travailler et consulter, on ne peut pas développer une longue liste de projets sans faire quelques erreurs ici ou là. Bien inspirée mais mal ficelée, sa réforme de la sécurité sociale est devenue son talon d’Achille. Ses rivaux trouveront dans son vaste catalogue beaucoup d’autres points faibles à transformer en controverses majeures. L’inévitable recul casse l’image du réformateur inébranlable qu’il a voulu se donner.
La France est, dit-on, irréformable. C’est évidemment faux. Il n’y a pas un seul pays démocratique où la réforme soit aisée. Le statu quo a une puissance écrasante parce qu’il est le résultat de longues batailles et qu’il est sanctionné par l’histoire. Y toucher réveille inéluctablement de vieux démons. Prenez le SMIC, par exemple. On a bien compris qu’il est tellement élevé qu’il exclut de l’emploi des centaines de milliers de personnes (les jeunes sans qualification, les vieux aux qualifications obsolètes, les cabossés de la vie, les immigrés). On a essayé différentes manières de l’atténuer, y compris l’emblématique SMIC-jeunes, mais ce fut toujours l’échec parce que sa remise en cause fait jaillir tout un ensemble de questions non résolues : la faillite de l'Education nationale, l’inégalité des revenus et des chances, le traitement de la pauvreté, les banlieues qui concentrent les populations défavorisées, etc. Faire sauter ce verrou est, à lui seul, un projet extraordinairement ambitieux. Ce serait l’œuvre de tout un quinquennat courageux.
Si la France n’a pas connu, depuis des décennies, une seule vraie réforme, c’est que personne n’a essayé d’en conduire une seule. Parce que les dirigeants politiques ont, au fond, une âme de bureaucrate, ils préfèrent proposer des catalogues. Ces catalogues sont censés démontrer l’ampleur de leurs connaissances du pays et de ses maux. Ils sont conçus comme des moyens d’attraper tout le monde en proposant à chacun quelque chose qu’il souhaite. Ce faisant, comme chaque proposition suscite des hostilités, la stratégie du catalogue aboutit à une coalition majoritaire d’intérêts disparates qui se retrouvent dans un rejet anti-réformiste, amorphe mais triomphant.
Les candidats feraient bien de faire leur le vieil adage, gouverner c’est choisir. Choisir une réforme, une seule, mais la bonne. C’est infiniment plus compliqué que de construire un long catalogue. Il faut établir un diagnostic : de tous les maux dont souffre l’économie française, quel est le plus paralysant ? Est-ce le SMIC ou la taille de l’État ? Est-ce la fiscalité inefficace ou bien la centralisation excessive ? Est-ce le volumineux et désuet code du travail ou plutôt l’absurde pesanteur administrative ? Le catalogue est le point de départ, le choix d’une réforme essentielle devrait être le point d’arrivée.
Le choix est compliqué en partie parce que toutes ces questions sont reliées entre elle. L’exemple du SMIC montre que la solution choisie pour le traiter devra impliquer toute une série de mesures associées. Une version du SMIC jeune met en jeu l’Education nationale. C’est très bien de proposer l’apprentissage mais, au delà de la formation scolaire, cela suppose une forte imbrication entre les entreprises et l’institution et des mesures qui incitent les entreprises à consacrer des ressources à la formation des apprentis. Ainsi, toute réforme en cache beaucoup d’autres. Le choix de LA réforme revient à dégager une vision que le candidat propose au pays.
La stratégie du catalogue oscille entre l’absence de vision – le syndrome du « moi, président » – et la plongée rituelle mais manichéenne dans les querelles idéologiques. Au lieu de se préoccuper des questions pratiques, on agite sans fin des étiquettes : libéral contre social, ou bien social-libéral contre défenseur des acquis sociaux, etc. Pire même, on propose un mythique ordre nouveau à définir, autrement dit quelque chose qui n’existe pas. Se présenter comme refondateur ou (contre) révolutionnaire soulève les poitrines enthousiastes, mais il conduit inévitablement à la déception, car si la solution magique existait, on l’aurait découverte depuis longtemps. Les philosophes des lumières travaillaient avec précision à la construction d’un ordre démocratique. Nos penseurs idéologiques fuient la précision pour recycler des vieilles idées vagues qui ont échoué, encore et encore.
Alors, quelle est la bonne réforme économique à proposer ? Le choix doit s’appuyer sur une solide analyse économique, qui combine l’état actuel des connaissances théoriques et l’évidence empirique disponible. Mais le choix est fondamentalement politique, bien sûr. Il s’agit de rassembler une majorité d’électeurs derrière un projet qui transformera l’économie et ouvrira la porte à d’autres réformes pour les quinquennats suivants. En tant qu’économiste, ma préférence va à la réduction du poids de l’État. Parce que la France l’a amené à l’extrême, parce que la fiscalité est lourde, parce que les règles bureaucratiques sont asphyxiantes, parce le jacobinisme est tellement ancré dans nos traditions que l’on ne se rend pas compte des dégâts qu’il produit, et parce que le vide qui sera créé imposera d’autres choix et donc d’autres réformes. Il revient aux politologues de nous dire si la vision d’un État plus mince et plus agile, plus efficace mais moins protecteur, constitue potentiellement une bonne martingale pour gagner les élections.
En tout cas, quelle que soit la réforme économique choisie, le message aux candidats est clair : ne vous épuisez pas à prétendre tout changer, personne ne vous croit. Développez plutôt une vision crédible parce que construite sur une réforme bien précise et expliquez en détail comment vous allez vous y prendre. Aux journalistes et aux groupes de pression qui vous demanderont ce que vous pensez des élevages de poulets ou des pics de pollution, répondez que ce sont de vraies questions mais qu’un président ne peut pas tout faire en cinq ans. Il ne s’agit pas seulement d’aller à l’Élysée, mais aussi d’entrer dans les livres d’histoire.
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