Vladimir Poutine, vainqueur annoncé du Mondial de football? edit
Vladimir Poutine aime-t-il le football ? On peut en douter. Bien sûr, en mars dernier, il a échangé quelques ballons avec le président de la FIFA, Gianni Infantino, pour préparer le lancement de la compétition. Évidemment il soutient publiquement les couleurs du Zénith Saint-Pétersbourg, sa ville d’origine.
Mais, à titre personnel, il préfère les chocs virils du hockey et les contrepieds du judo. Lorsqu’il s’affiche torse nu, c’est dans la pose du chasseur, du randonneur et du pêcheur, figures sportives russes en communion avec la nature.
Son cœur va à d’autres sports. Mais sa tête, elle, privilégie le football. Sport universel par excellence, le football est à même de galvaniser son peuple et de redorer l’image de son pays. Peu importe que la sélection nationale, la Sbornaïa, ne semble pas capable de grands succès sportifs. L’essentiel est d’apparaître sur la scène mondiale comme un organisateur hors pair, comme un protecteur des athlètes russes et comme le véritable « coach » de la nation russe. La victoire viendra en quatre manches.
1ère manche: occuper la scène internationale
Comme tout président d’un pays hôte du Mondial, Vladimir Poutine a d’abord à cœur d’utiliser l’événement pour manifester la grandeur et la modernité de son pays et de ses villes-hôtes. Le « retour de la Russie » sur la scène mondiale, tel est l’objectif premier du Mondial.
Dans un contexte où la Russie est en butte à des sanctions diplomatiques et économiques, dans une situation et dans un contexte où le soutien apporté au régime Al-Assad est condamné, la Coupe du Monde de football est un formidable instrument pour infléchir l’image de la Russie.
Le match d’ouverture de la Coupe symbolise la politique de Poutine au Moyen-Orient. En effet, le 14 juin 2018, au stade Loujniki de Moscou tout juste rénové, le coup d’envoi de la compétition mettra en présence la Russie, pays hôte, et l’Arabie Saoudite, acteur essentiel dans la guerre en Syrie et dans la guerre au Yémen. L’intérêt sportif de cette rencontre risque de ne pas être la principale raison de le regarder. Mais l’enjeu politique sera essentiel : le match mettra en image le rapprochement russo-saoudien actuellement en cours
Les deux États ont longtemps été en tension. Aujourd’hui, la donne évolue : en matière pétrolière, ils ont réussi à conclure un accord pour réduire les quantités et relever les prix. En matière de défense, le déplacement historique du monarque saoudien à Moscou a débouché sur l’achat symbolique d’armes russes par le Royaume. Ce rapprochement rebat les réseaux d’alliance du Moyen-Orient. Traditionnelle alliée des Etats-Unis depuis 1945, l’Arabie se rapproche de la Russie, notamment par le premier déplacement d’un monarque saoudiens à Moscou il y a quelques mois. Et la Russie, traditionnelle alliée de la Syrie et de l’Iran, rivales de l’Arabie, se rapproche du Royaume des Saouds.
Le match d’ouverture du Mondial 2018 risque d’être ennuyeux mais il donnera à Poutine un statut rêvé d’arbitre de la donne au Moyen-Orient.
2ème manche : redorer l’image du sport russe
Pour le coach présidentiel, la priorité sera aussi d’éviter les tacles en matière d’image des JO de l’hiver 2014 et 2018.
Conçus par le président russe comme une manifestation de prestige, les Jeux de Sotchi s’étaient soldés par un bilan d’image en demi-teinte : au classement des médailles, la Russie avait obtenu la première place avec 13 médailles d’or ; mais sur le plan politique le pays avait subi des tirs de barrage : annexion de la Crimée, guerre dans le Donbass, législation sur des homosexuels, dopage organisé, etc. Les sanctions économiques de la part des Européens et des Américains, l’annulation du G8 prévu en mars 2014 à Sotchi, le boycott du président français et de la chancelière allemande mais surtout l’adoption de sanctions par les Européens avaient constitué une série de revers faisant pâlir l’étoile de la Russie pendant la compétition.
En outre, les Jeux de Corée en février 2018 ont été bien sombres. En effet, ni le drapeau ni l’hymne russes n’ont été présents durant la compétition. Lors de la cérémonie d’ouverture des JO, la délégation russe a défilé dans le stade olympique sous la bannière du Comité international olympique (CIO) ; quand ils ont obtenu des médailles, elles ont été attribuées aux « Athlètes olympiques de Russie ». Le CIO avait frappé le mouvement olympique russe de plusieurs sanctions en raison des conclusions de rapport sur le dopage. Et, le 5 décembre 2017, la commission exécutive du CIO a suspendu le comité olympique russe.
Voilà le deuxième enjeu pour le président russe : redorer l’image du sport russe, qui constitue un de ses outils d’influence favori sur la scène nationale et internationale.
3ème manche : faire du nation branding pour attirer les investisseurs
Sur le plan financier, pour le président russe, il sera essentiel de maîtriser les coûts d’organisation car la situation économique de la Russie reste préoccupante : depuis 2014, son PIB s’est contracté de 3% et le taux de pauvreté a crû. De plus les finances publiques russes sont mises à l’épreuve par les sanctions occidentales et les cours des hydrocarbures, dont la récente remontée n’est pas forcément durable compte.
Les JO de Sotchi ont été un avertissement : avec un budget record de 36 milliards d’euros, des dérapages de coûts, des scandales de malversations, ils avaient généré peu de retombées économiques. L’enjeu est de montrer que le prestige national peut s’accommoder d’une gestion rigoureuse des projets.
Pour réussir cette opération de marketing, Poutine a implanté tous les stades de la compétition en Russie européenne afin de faciliter les déplacements des touristes occidentaux. Il a également prévu de simplifier les démarches administratives des supporters pour entrer et se déplacer en Russie. Le but est avant tout de s’adresser aux supporters européens pour contrer la russophobie supposée des élites occidentales. Pour le président russe, la priorité sera de de montrer la prospérité et la confiance retrouvées d’un État en butte à des sanctions économiques et financières ayant subi une crise grave. En effet, il a récemment annoncé qu’il voulait placer la Russie au 5ème rang des économies mondiales d’ici 2024.
4ème manche : s’adresser au «peuple de supporters» que constitue la Russie
Il s’agira enfin de marquer le début de son quatrième mandat de président de la Fédération de Russie par des actes symboliques. Réélu au premier tour le 18 mars dernier, il n’a pas encore pu célébrer cette victoire urbi et orbi : les Européens ont tardé à le féliciter à l’annonce des résultats, les opérations en Syrie et les attaques chimiques par le régime Al-Assad ont éclipsé l’événement.
La réussite du Mondial 2018 sera déterminante pour le mandat Poutine IV : des attentats de l’EI, un boycott diplomatique occidental, des scandales financiers, des stades vides ou des manifestations de l’opposition entraveraient le nouvel élan cherché par le président Poutine après deux décennies au pouvoir.
Au contraire, un succès d’image sous l’œil des médias internationaux, dans une Moscou complètement modernisée, renforcerait encore l’influence internationale du président. Une victoire de l’équipe russe le 15 juillet au soir dans un stade Luzhniki flambant neuf donnerait assurément un poids supplémentaire au meneur de jeu de la Fédération. La sélection nationale russe n’a guère de chances de réussir. Mais le président, lui, sera assurément là le soir de la finale. Pour manifester le succès de la compétition comme vitrine internationale.
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