Éducation: le retour de l’école réac? edit
Gabriel Attal avait bien débuté son mandat en adoptant une position claire sur l’abaya. Mais depuis quelques semaines une musique un peu étrange commence à se faire entendre. Par petites touches le ministre délivre des messages qui semblent rompre avec l’ambition du premier quinquennat en matière d’éducation. Cette ambition, c’était celle de la modernisation du système éducatif en portant haut l’exigence d’égalité des chances. Le président Macron considérait à juste titre qu’il fallait rompre avec l’idée commune de la gauche consistant à compenser les inégalités (par diverses allocations) plutôt que de les traiter à la racine. Et dans ce traitement à la racine l’école joue évidemment un rôle central.
Mais qu’entend-on aujourd’hui dans la bouche du nouveau ministre ? Des propos sur l’introduction de l’uniforme à l’école, la remise à l’honneur des classes de niveaux, la levée du tabou du redoublement. Ces déclarations (qui restent pour le moment assez vagues) dessinent les linéaments d’un programme éducatif conservateur. Mais le problème n’est pas tellement qu’il soit conservateur, le problème est que son application serait contreproductive au vu de l’objectif de réduction des inégalités éducatives dont l’école française a bien besoin, comme le montre à l’envi les rapports successifs de l’OCDE sur les compétences des élèves. Reprenons le dossier.
L’introduction de l’uniforme à l’école est un vieux serpent de mer qui a resurgi, paraît-il, sous l’influence de l’épouse du président. Cette idée paraît d’abord inapplicable. Qui produirait ces uniformes ? Et surtout qui les paierait ? Mais surtout, sur le fond, il y a derrière cette proposition la conviction que ce dont l’école a besoin, c’est du rétablissement de l’autorité, une vieille idée de la droite, mais qui s’est aujourd’hui largement imposée dans l’opinion. C’est un peu la même conviction qui a également rendu populaire l’idée de rétablir le service militaire, au moins sous une forme aménagée avec la généralisation du service national universel.
Bien sûr, il y a de la violence dans la société française, on en voit quotidiennement des manifestations. Y en-a-t-il plus qu’hier ? Ce n’est pas sûr. L’école peut être confrontée à cette violence, il arrive que l’autorité des personnels – chefs d’établissement ou professeurs – y soit contestée. Mais l’école n’est pas le foyer premier où cette violence prend racine. Elle est plutôt un lieu où, généralement, on peut s’en prémunir. Elle est vécue d’ailleurs par beaucoup d’élèves qui vivent dans des quartiers « difficiles » comme un lieu de protection. Le problème, tout le monde le sait, se situe à la périphérie de l’école, dans certains quartiers, certaines zones du territoire où prospèrent des activités illégales, et où s’incruste, chez une partie des jeunes qui y vivent, une culture déviante (même chez ceux qui ne participent pas à ces activités illégales mais qui les tolèrent et les comprennent). Mettre des élèves en uniforme à l’école ne résoudra en rien ces problèmes et aura une efficacité nulle.
En outre, c’est une idée politiquement dangereuse car elle pourrait susciter une révolte d’une partie des jeunes, alimentée par ceux qui dénonceraient l’embrigadement de la jeunesse. On imagine très bien les slogans qui pourraient fleurir.
Mais j’irai plus loin. Il y a en effet derrière cette idée des élèves en uniforme, une autre idée implicite qui va exactement à l’inverse de ce qu’il faudrait faire. Cette idée c’est le fantasme et la nostalgie d’une école républicaine, style Troisième République, où l’autorité des maîtres serait rétablie devant des élèves sommés de s’y soumettre pour recevoir et assimiler, sans aucune contestation, le savoir que ceux-ci délivrent. Mais nous ne sommes plus au 19e siècle et le défaut des élèves français n’est pas qu’ils s’expriment trop, mais qu’ils ne s’expriment pas assez ! Lorsque des élèves étrangers partagent les cours de leurs homologues français ils sont souvent surpris de cette passivité. Cela n’empêche pas d’ailleurs les classes françaises d’être très perturbées par le chahut et l’indiscipline, mais c’est, dans notre pays, cette mauvaise forme de participation qui s’impose, à défaut d’une participation plus positive qui est peu sollicitée. Les comparaisons internationales sur les systèmes éducatifs montrent bien que le système français reste très « académique », fondé sur une transmission verticale des savoirs sur une base strictement disciplinaire. Peu de place pour l’expression des élèves et peu de chances de sortir des sentiers battus des disciplines.
La réintroduction des classes de niveaux, la remise en cause du collège unique, sont une autre antienne des tenants de l’école conservatrice. Mais surtout, les recherches internationales montrent que cette orientation, lorsqu’elle est mise en œuvre, renforce l’inégalité de résultats des élèves. On le comprend facilement. Lorsque des élèves sont orientés précocement dans des filières rigides, le « tracking » comme disent les anglo-saxons, ils ont beaucoup de difficultés à en sortir dans la suite de leur scolarité. En outre, dans des classes de niveaux où ne sont donc rassemblés que des élèves faibles, les enseignants ont naturellement tendance à abaisser leurs exigences et donc à amoindrir la qualité des compétences acquises. Enfin, ces classes de niveaux, comme tout système ségrégatif, peuvent avoir un effet de stigmatisation. Réputés plus faibles, ces élèves sont marqués par cette réputation qui peut devenir un handicap dans leur parcours ultérieur.
Il ne faut pas bien sûr pour autant idéaliser l’effet de la mixité sociale et scolaire, j’ai eu l’occasion de le montrer dans d’autres papiers de Telos. Néanmoins, y renoncer serait pire. Car cette mixité – c’est-à-dire celle qui regroupe dans une même classe des élèves de niveaux différents (le contraire donc des classes de niveaux) – n’a pas d’effet négatif sur les meilleurs élèves et peut avoir un effet stimulant sur les moins bons, même si celui-ci reste modeste et de courte durée en termes de résultats.
Dernier avatar du retour de la pensée conservatrice en matière éducative, l’annonce de la remise à l’honneur du redoublement. La France était championne du monde du redoublement. Est-elle pour autant championne du monde des performances éducatives ? Non bien sûr, c’est le contraire qui est vrai. Là encore, les recherches internationales montrent que le redoublement n’a aucune efficacité pour réduire l’échec scolaire. Y recourir est un moyen de se défausser. Le vrai problème, on le sait, (ou au moins une grande partie du problème) réside dans la formation pédagogique des enseignants. Dans diverses enquêtes de l’OCDE dont j’ai déjà rendu compte dans Telos, les enseignants français avouent leur impuissance à faire réussir les élèves les plus faibles. Ils ne sont pas différents de leurs homologues européens, simplement ils sont mal formés, ou même pas formés du tout pour cela. La querelle stérile sur le « pédagogisme » a eu cet effet délétère que la bonne pédagogie, celle qui apprend (il y a des techniques pour cela) aux enseignants à savoir transmettre leurs connaissances, celle qui apprend à savoir gérer une classe difficile, a été délaissée.
Mais pourquoi donc le ministre (qui vient de la gauche) fait-il cela ? Sans doute veut-il répondre à l’opinion qui est favorable à ce type de mesures, ou au moins à une partie d’entre elles. Il veut peut-être aussi simplement imprimer sa marque, en donnant l’impression de ne pas hésiter à avancer des propositions iconoclastes. Mais ce petit jeu politique sert-il vraiment les élèves et le système éducatif en général ? On peut en douter.
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