Emmanuel Macron et l’éducation: sur la ligne de crête edit
Dans le projet présidentiel qu’Emmanuel Macron a présenté le 17 mars, l’éducation occupe une place de choix. Cette priorité du Président-candidat a été réaffirmée dans le débat qui a opposé le 20 avril les deux finalistes de l’élection présidentielle. Emmanuel Macron reste persuadé que le renforcement de l’égalité des chances passe par la réussite éducative. C’est un des axes forts de sa philosophie politique : plutôt que de compenser les inégalités par des prestations monétaires, comme l’a préconisé et pratiqué lorsqu’elle était au pouvoir la gauche française depuis de longues années, il est préférable de les traiter à la racine. Et ce traitement à la racine passe par l’école. En effet, les travaux de sciences sociales ont montré que les inégalités cognitives, source des inégalités sociales plus larges, se cristallisent dès les premières années de la vie et sont très difficiles à corriger par la suite si on ne les traite pas le plus tôt possible. Or, et le Président l’a reconnu dans sa conférence de presse, les résultats de la France sur ce plan sont décevants, comme le montrent périodiquement les enquêtes PISA de l’OCDE.
En finir avec le centralisme éducatif
Quel est le diagnostic du Président pour expliquer ces faibles performances et justifier son programme en matière éducative ? Essentiellement l’idée que le caractère hypercentralisé de la machine « Education nationale » n’est plus adapté pour traiter des situations locales extrêmement contrastées dans un contexte de massification de l’enseignement. Donner des moyens supplémentaires aux zones défavorisées ne suffit pas car ces politiques laissent de côté un ingrédient essentiel : la motivation et l’implication des acteurs locaux. Cette motivation et cette implication peuvent exister bien sûr, mais le système actuel d’affectation des enseignants, essentiellement à l’ancienneté, et le centralisme bureaucratique de l’administration ne les favorisent pas. La révolution copernicienne consiste donc à donner plus d’autonomie aux établissements pour, à terme, recruter des enseignants sur des « postes à profil » et construire de véritables communautés éducatives soudées autour d’un projet commun.
Dans sa conférence de presse, Emmanuel Macron a insisté sur un aspect, sans doute parce qu’il parle aux parents d’élèves, celui des absences d’enseignants non remplacés. Il n’a pas repris cet argument dans le débat du 20 avril, car il avait suscité la polémique et avait paru stigmatisant. Ce n’est de toute façon qu’un exemple d’une question beaucoup plus large : celle de l’implication des enseignants et de la reconnaissance de leurs efforts pour la réussite des élèves dont ils ont la charge. Les travaux d’économie de l’éducation ont démontré – un résultat qu’on conçoit assez instinctivement – que la qualité de l’enseignement (et donc des professeurs qui le délivrent) est un facteur essentiel de réussite des élèves. L’implication des professeurs, leur bonne adaptation au poste et aux élèves dont ils ont la charge, sont donc quelque chose d’essentiel qu’il faut favoriser le plus possible. Il s’agit également de mieux prendre en compte qu’on ne le fait aujourd’hui en France le fait que chaque enseignant appartient à une communauté éducative dont il doit partager les objectifs. Le métier d’enseignant est encore trop conçu dans notre pays de manière purement individualisée. Le partage des expériences et des bonnes pratiques devrait être généralisé.
Ce type de politique suppose aussi de laisser une certaine latitude aux établissements pour appliquer à leur manière les programmes nationaux, ce qui se fait dans les pays du nord de l’Europe qui obtiennent des résultats bien meilleurs que ceux de la France. Ce genre de préconisations (que soutient aussi l’OCDE) suscite de très fortes critiques en France de la part des tenants de l’égalité républicaine. Mais ces critiques sont hypocrites car l’égalité dont elles parlent reste purement formelle. C’est une égalité de papier, pas une égalité réelle, il suffit pour s’en convaincre de comparer les taux de décrochage scolaire des quartiers prioritaires de la ville et de ceux des autres zones du territoire. Adapter les programmes nationaux ne veut pas dire renoncer aux programmes nationaux mais imaginer les moyens pédagogiques adaptés de les transmettre à des populations présentant des caractéristiques spécifiques. Seuls les acteurs locaux confrontés directement à ces publics peuvent imaginer et construire ces instruments pédagogiques. Ils le font déjà dans une certaine mesure bien sûr, mais il faut le favoriser et l’encourager encore plus et donc leur faire confiance et leur laisser plus de liberté. « Les programmes et les examens demeurent nationaux mais il faut assumer plus de liberté » affirme ainsi le Président-candidat.
Le garde-fou de cette liberté laissée aux acteurs locaux est l’évaluation, et pas seulement une évaluation formelle et peu significative telle qu’elle se pratique aujourd’hui, mais une réelle évaluation des établissements avec des indicateurs pertinents de réussite. Là encore les pays du nord pratiquent cela depuis longtemps. En France on en est réduit aux palmarès assez grossiers que publient périodiquement les magazines. Ce type de proposition fait face également à de fortes critiques, stigmatisant une approche managériale de l’éducation et pointant le risque d’une mise en concurrence sauvage des établissements. Mais là encore ces critiques sont hypocrites, car cette concurrence existe bel et bien mais elle se joue aujourd’hui sur un marché noir de l’éducation avec des informations biaisées et souvent fantasmées. Le réel est préférable à la rumeur et aux on-dit.
Emmanuel Macron veut également prolonger et amplifier la réforme du lycée professionnel qui a débuté en 2019, notamment en regroupant les trop nombreuses spécialités du bac professionnel en 14 familles de métier, une bonne idée qui évite que les élèves se spécialisent trop tôt dans une spécialité qui ne correspondrait pas forcément à leurs vœux (mais il reste encore 44 spécialités pour les élèves qui ne choisissent pas la voie du bac professionnel et qui entament un CAP). Le Président-candidat n’est pas entré dans le détail de la réforme envisagée. On comprend qu’il veut rapprocher plus que ce n’est le cas aujourd’hui le lycée professionnel du monde de l’entreprise et faire mieux correspondre les formations aux besoins d’emploi, en n’hésitant pas à « déréférencer » des formations professionnelles qui ne seraient « pas suffisamment qualifiantes ou ne permettent pas de déboucher sur des emplois durables ». On vise avant tout l’efficacité en termes d’insertion professionnelle en rapprochant le lycée professionnel du modèle de l’apprentissage.
Le pari de la négociation
Avec ce programme d’ensemble (qui n’a été qu’effleuré dans le long débat du 20 avril et qu’il ne présente pas de manière aussi explicite que je le fais ici, mais c’est bien l’esprit), Emmanuel Macron est sur la ligne de crête, car il sait bien qu’il ne pourra réussir cette réforme contre les enseignants. Il doit parvenir à les convaincre et la tâche s’annonce ardue[1]. Les syndicats enseignants qui se sont exprimés après sa conférence de presse sont vent debout, même la réformiste UNSA. Pour le Snuipp, «c’est un programme de droite ultralibéral, à l’anglo-saxonne». Emmanuel Macron a certes promis une augmentation significative de la rémunération des enseignants (moins bien payés que dans le reste de l’OCDE en début de carrière), mais avec des contreparties d’engagement supplémentaire (remplacement des professeurs absents, accompagnement individualisé des élèves etc…). Peut-être se souvient-il de l’expérience du premier ministre de l’éducation de François Hollande, Vincent Peillon qui, dès le début de son mandat a fait beaucoup de concessions aux syndicats enseignants sans exiger de contreparties et dont le bilan final est resté très décevant malgré de bonnes intentions[2]. Emmanuel Macron fait le pari qu’une négociation, avec du donnant-donnant, pourra s’engager avec les représentants du monde éducatif. Il faut noter un point important : cette concertation sera large, puisqu’elle devra associer non seulement les enseignants et les équipes éducatives et administratives, mais également les parents d'élèves, les élus, les associations et aussi les collégiens et lycéens. Sans doute espère-t-on, du côté du candidat, que la voix des usagers de l’éducation, et pas seulement celle des professionnels, pourra se faire entendre et pousser au compromis. Le pari néanmoins est loin d’être gagné puisque le succès de la réforme dépend semble-t-il de l’aboutissement de cette négociation. Dans l’esprit du candidat, il semble bien que la validation du suffrage universel ne suffise plus à imposer la légitimité d’une réforme. L’éducation sera un terrain d’application plein d’embuches de cette nouvelle philosophie (encore floue) de l’action politique.
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[1] Voir à ce sujet le papier de Iannis Roder dans L’Express du 24 mars : « Réformer l’école sans perdre de vue les intérêts de enseignants est un vrai défi ».
[2] Voir « Vincent Peillon candidat : a-t-il été un bon ministre de l'Education ? », L'Obs, 12 décembre 2016.