La «contemporanéisation» des allocations logement edit
Une profonde réforme des prestations sociales est l’œuvre. Il ne s’agit pas uniquement des projets pharaoniques de type revenu universel d’activité ou système universel de retraites. Il s’agit, de façon moins spectaculaire, de révisions substantielles dans la gestion des prestations, en premier lieu des allocations logement. Au sujet de ces dernières, le sujet est déjà d’ampleur car il concerne, de fait, les 6,5 millions de ménages allocataires, soit près de 14 millions de bénéficiaires si l’on prend en compte l’ensemble des personnes vivant dans ces foyers.
Plusieurs fois annoncée puis repoussée, pour des raisons à la fois de faisabilité et de crainte politique, cette refonte devrait finalement entrer en vigueur début avril 2020. Changement majeur : la « contemporanéisation » du calcul du montant des allocations logement (dites, dans le langage courant, « APL »). Ce calcul ne se réalisera plus sur la base des revenus perçus par l'allocataire il y a deux ans (à n-2) mais sur ceux de l'année en cours, avec un nouveau calcul tous les trimestres. La fréquence de cette réévaluation sera ainsi calquée sur celle de la prime d'activité ou du revenu de solidarité actif (RSA)
Le sujet a été évoqué dans le débat public en tant qu’il contribue à des économies, jugées nécessaires ou scandaleuses. Au-delà de ce seul sujet de débat, quant à savoir même s’il s’agit vraiment d’une économie, les enjeux sont plus importants. Car ils relèvent d’une modification capitale du « mode de production » de l’ensemble des prestations sociales.
Des données fiabilisées
Afin de simplifier et d’améliorer les prestations, l’idée vise à les rendre plus réactives, plus ajustées aux situations des allocataires. La démarche s’appuie sur des innovations technologiques permettant d’alimenter automatiquement les bases de calcul des prestations sociales sous conditions de ressources tout en simplifiant les démarches des allocataires. L’innovation la plus connue, connue de tous, est le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Par ailleurs, la systématisation de la déclaration sociale nominative (DSN), de PASRAU (Prélèvement à la source pour les revenus autres) et des informations DGFIP sur la paye des fonctionnaires alimente un triple flux d’informations certifiées.
Ces dispositions techniques ont pour objet et pour effet de limiter les déclarations demandées aux allocataires, déclarations dans lesquelles ils peuvent faire des erreurs ou qu’ils peuvent omettre d’envoyer. Ces déclarations portent principalement sur la mise à jour des situations professionnelles, et – cœur du problème – sur les revenus. Les évolutions techniques et juridiques en cours sécurisent les informations, autant que faire se peut, dans ces deux domaines.
Ces opérations techniques autorisent une plus grande contemporanéisation. L’expression, qui ne se prononce pas facilement, relève du néologisme, voire du barbarisme, dont sont friands experts et opérateurs du secteur. L’idée en est simple : rendre plus contemporain et donc moins éloigné dans le temps le calcul du montant des prestations par rapport à la situation actuelle des allocataires.
Les prestations reposent sur des critères comme la composition du ménage, la situation de logement, les ressources de l’ensemble du foyer, l’activité professionnelle. Elles exigent, pour leur gestion, des formalités déclaratives lourdes pour les allocataires. Les prestations sous condition de ressources prennent en compte des revenus différents, selon des calendriers qui peuvent significativement varier. À ce titre, il faut distinguer la période de référence sur laquelle on regarde les ressources et la fréquence à laquelle ces ressources sont réexaminées.
Un système plus synchrone
Le système social s’est habitué, parce qu’il s’est constitué par ajouts successifs, à des prestations gérées sur des bases et des rythmes différents. Il s’ensuit un système qui peut être dit asynchrone. La mise en œuvre d’un nouveau synchronisme est un pari, qui reste techniquement à gagner. C’est le pari de la contemporanéité.
Celle-ci s’incarne, concrètement, dans le nouveau calcul des allocations logement qui donc devrait donc être mis en place à partir du 1er avril 2020. Ces aides seront ensuite actualisées tous les trimestres et calculées sur la base des ressources des 12 derniers mois glissants et non plus sur les revenus d’il y a deux ans.
Jusqu’au lancement de cette réforme, le système s’avère « asynchrone », avec un large décalage dans le temps (jusqu’à deux années pleines donc) entre le moment de prise en compte des ressources et la situation exacte des allocataires. Certains de ces éléments, au-delà d’être asynchrones, sont asymétriques. Des mesures d’actualisation des revenus permettent, en effet déjà, une certaine contemporanéisation, avec des neutralisations et des abattements : en cas de chômage ou de séparation les ressources sont immédiatement recalculées afin de pouvoir verser les allocations pour ces cas devenus difficiles. Mais ces techniques ne sont mobilisables que pour prendre en considération des évènements défavorables dans l’évolution de la situation financière du ménage. En cas de progression des revenus, de retour à l’emploi, de retour à meilleure fortune, la prise en compte de la nouvelle situation n’est pas systématique. On dit donc de ces techniques qu’elles sont asymétriques.
La synchronisation des bases de calcul des prestations doit avoir pour premier effet de rendre les prestations plus ajustées aux situations et donc de lever l’asymétrie attachée aux mécanismes de neutralisation et d’abattement. Plus réactives, les prestations peuvent s’adapter plus rapidement aux changements des conditions des allocataires, qu’il s’agisse d’évolutions positives ou négatives de leurs revenus.
Une économie et de la réactivité
La mesure a également une légitimité et une portée en termes de finances publiques dans la mesure où, pour les seules prestations logement, elle permettrait une dépense totale diminuée d’environ 1,2 milliard d’euros. Les évaluations des impacts budgétaires ont évolué ces dernières années, avec un étiage à 800 millions par an. Mais la prévision semble maintenant fixée à 100 millions d’euros par mois. Point capital : ces prestations n’étaient en rien indument versées, mais peut-être injustement, en tout cas maladroitement.
Certains estiment qu’il y a là une nouvelle attaque du gouvernement contre les prestations logement[1]. D’autres estiment qu’il n’est absolument pas légitime de les verser avec, en gros, deux années de retard par rapport à la situation actuelle du ménage. Des foyers, notamment étudiants, lorsqu’ils basculent dans une meilleure situation ne doivent plus bénéficier de prestations ne correspondant absolument plus à la nouvelle hauteur de leurs revenus. Personne ne comprendrait que l’on calcule d’autres prestations très sensibles aux ressources, comme le RSA par exemple, en fonction de revenus si anciens. Dans la sphère politique, la bataille promet d’être encore rude, mais pas forcément toujours bien informée et intentionnée. Il est vrai qu’en termes de communication il doit être difficile de faire passer une mesure qui devrait amener environ 1,2 million d’allocataires à voir baisser leurs allocations logement et 600 000 autres à sortir complètement du dispositif !
Avec une telle réforme, se posent toujours des problèmes techniques, bien entendu, mais aussi toujours des sujets de justice sociale. Il importe donc s’intéresser aux éventuels « perdants » d’un tel choix de contemporanéisation. À législation inchangée, ce sont simplement des droits qui sont mieux calculés. Dans le système actuel, comme on l’a expliqué, les baisses de revenu, notamment en cas de chômage, sont plutôt bien prises en compte par des mécanismes d’abattement. Mais les revenus qui augmentent entre l’année n-2 et le moment de versement des prestations ne sont pas, eux, pris en considération. Ajuster, par contemporanéisation, les prestations c’est assurément rendre le système plus juste, car une partie des prestations versées, si elles sont calculées par rapport aux revenus de n-2, n’est pas vraiment justifiée. C’est l’exemple – répétons-le - d’étudiants de grandes écoles arrivant sur le marché du travail avec des revenus immédiatement plutôt élevés.
Une prestation plus réactive, changeant tous les trimestres, peut néanmoins fragiliser des budgets précaires pour lesquels la stabilité est importante. Ce sujet mérite clarification et expertise, en posant de manière objective les avantages (réactivité) et les inconvénients (instabilité possible de certains revenus).
La réactivité est une qualité de plus en plus demandée à la fois aux prestations elles-mêmes et aux systèmes d’information qui permettent de les gérer. À l’inverse de ce souci de réactivité, l’ajustement des prestations demanderait plutôt, selon certains opérateurs, de la stabilité. Il s’agirait d’assurer de la visibilité et de la prévisibilité. Trop de réactivité suscite de l’inquiétude et de l’incompréhension chez l’allocataire. Ceci peut être source de multiples erreurs, tout comme de non-recours par découragement. D’un côté donc, une aspiration à la réactivité, de l’autre, une aspiration à la stabilité.
Les leçons de la mise en œuvre de la contemporanéisation des allocations logement permettront de mesurer les véritables impacts techniques, politiques et sociaux d’une telle orientation générale consistant à mieux ajuster les prestations. Cette capacité d’ajustement et d’automatisation sera ensuite étendue à d’autres domaines que le logement : minima sociaux, prestations familiales, complémentaire santé solidaire mais aussi attribution des HLM sont de bons candidats pour les suites d’une réforme essentielle.
[1]. Parmi les récents coûts de rabot : baisse de 5 euros à partir d’octobre 2017 (325 millions d’euros économisés) ; puis baisse de l’APL versée aux seuls locataires HLM, avec prise en charge par les bailleurs sociaux (800 millions d’euros en 2018, 900 millions en 2019 et peut-être 1,5 milliard d’euros à partir de 2020) ; sous-indexation en 2019 (170 millions d’euros).
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