Les médias face à la crise du coronavirus edit
Le secteur des médias et les métiers de la communication sont profondément bouleversés par la pandémie. Celle-ci va accélérer des mutations déjà en cours et remettre en cause les systèmes d’information des citoyens, un enjeu essentiel dans une démocratie comme la France.
Ce qui frappe tout d’abord c’est l’explosion de l’audience du numérique et de la télévision au détriment des supports papier. Au cours de la semaine du 9 au 15 mars, l’audience des sites d’actualité a progressé de 50% en France, de142% en Italie et 29% en Allemagne. Un sondage de Kantar Media du 23 mars montre que 38% des Français déclarent s’informer plus de cinq fois par jour et 67% suivent l’information plus que d’habitude.
Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les abonnements numériques progressent quotidiennement, de deux à cinq fois plus que la normale pour les quotidiens régionaux. Le site Correspondance locale indique par ailleurs que la semaine du 16 au 22 mars, le nombre de visites a augmenté, par rapport à la même semaine de 2019, de 156% pour Ouest France ou de 203% pour Sud-Ouest et La Dépêche. Les autres titres affichent des chiffres comparables.
Il en est de même pour les sites des médias audiovisuels. Les 15 et 16 mars, jours de résultats du premier tour des municipales mais surtout de mise en place du confinement, le site de France Info a enregistré 191% de visites de plus que la normale, pour BFM 111% et France Bleu 194%.
La mesure de la confiance donne des résultats plus nuancés. Une enquête du cabinet Edelman menée dans une dizaine de pays dont la France montre que les usagers font plus confiance pour leur information sur le coronavirus à leurs employeurs (63%) qu’au gouvernement (58%) ou aux médias (51%). Néanmoins 64% des sondés tirent leurs informations des médias, la télévision, facile d’accès et gratuite, étant privilégiée.
La domination des médias numériques et la crise financière
Ces données ne constituent pas vraiment une surprise. En ces temps de crise majeure et de confinement, il est logique que l’usage des supports numériques atteigne des niveaux vertigineux. Il reste à évaluer les conséquences de ce phénomène.
Sur le plan économique, il est clair que les industries de la communication souffrent autant que les autres branches d’activité. La paralysie d’une grande partie de l’économie se traduit par une chute brutale des recettes de publicité qui représentent encore environ un tiers des recettes de la presse quotidienne et la totalité des ressources des télévisions et des radios privées si bien que l’augmentation de l’audience ne se traduit pas par un accroissement des recettes. Un quotidien comme Ouest France estime qu’il perd chaque jour 20% de ses recettes en dépit de l’énorme succès de son site, ce qui l’a contraint à mettre en chômage technique une partie de son personnel. La progression des abonnements numériques est loin de compenser cette baisse de ressources comme on le constate aussi aux Etats Unis où les médias affrontent les mêmes défis.
Il faudra donc s’attendre à la disparition de certains titres et à d’importantes réductions d’effectifs dans les rédactions quand la crise sera terminée. De même, le transfert du papier au numérique va s’accélérer considérablement en raison de la fermeture d’un grand nombre de points de vente. La conséquence sera une concentration accrue de la presse et, paradoxalement, une baisse du nombre de sites payants. On sait en effet que la capacité d’abonnement des usagers est très réduite surtout si on tient compte de la concurrence des services de divertissement comme Netflix. On ne peut pas compter sur plus d’un ou deux abonnements par foyer ce qui signifie qu’un certain nombre de supports sont condamnés, ce que là encore, on vérifie aux États-Unis.
Une information fragilisée
La crise actuelle a un impact encore plus profond sur la nature et la qualité de l’information. Le travail des journalistes devient très difficile en raison de la quasi impossibilité de se déplacer. Du coup la majeure partie des enquêtes doivent se réaliser par téléphone ou par Internet ce qui place les rédactions dans une plus grande dépendance des experts et des porte-parole du gouvernement même si la plupart des médias s’efforcent de faire parler des témoins, médecins, infirmières, patients, élus locaux. Cependant rien ne peut remplacer une prise de contact sur le terrain ce qui est pratiquement impossible aujourd’hui.
Un autre aspect préoccupant de cette situation est la part écrasante dans le traitement de l’actualité des informations liées au coronavirus au détriment des autres informations sur la vie de la planète. On a déjà constaté que divers autocrates en Asie, en Afrique ou en Europe en profitent pour faire discrètement passer des mesures qui, en d’autres circonstances susciteraient un tollé dans les grands médias occidentaux et donc une publicité déplaisante pour eux.
Une fois de plus, les grands vainqueurs de cette crise mondiale sont les plateformes numériques qui bénéficient à plein de leur souplesse et de leur capacité de joindre des centaines de millions d’individus. Dans une étude datée du 24 mars, le New York Times fournit des données significatives sur le triomphe de Facebook qui redevient un carrefour majeur en matière d’information. En effet, en mars, la consommation d’articles sur le site américain a progressé de 50% par rapport au mois précèdent, ces articles étant évidemment essentiellement consacrés à la pandémie. Ce qui est encore plus impressionnant et confirme la tendance à la concentration des médias est que ces articles proviennent d’un nombre très réduit de supports, le New York Times (plus 180%), le Washington Post (plus 119%), ABC News (plus 160%). Plus généralement on a constaté un reflux des contacts avec des médias moins crédibles alors que ceux-ci étaient souvent en tête des consultations quelques semaines auparavant, signe qu’en ces temps de crise, les internautes cherchent avant tout la fiabilité.
Ce succès d’audience qui est aussi manifeste chez YouTube, la filiale de Google, n’occulte pas pour autant la menace des fausses informations. Les plateformes et notamment Facebook doivent surmonter une contradiction insoluble. D’un côté elles reconnaissent une obligation de traquer les infox relatives à un sujet essentiel de santé publique, de l’autre côté, elles ont de plus en plus de mal à organiser le travail des modérateurs contraints au télétravail. Or il est évident que le recours à des solutions purement techniques reposant sur les algorithmes ne suffit pas pour maitriser la multitude d’opérations d’intoxication dont certaines sont d’origine étrangère. Celles-ci, au surplus ont tendance à se déplacer sur les messageries telles que WhatsApp qui sont cryptées et donc beaucoup plus difficiles à surveiller. On constate donc une floraison de fausses nouvelles sur ces supports.
La grande pandémie ne va pas révolutionner le monde de l’information mais elle va accentuer des processus déjà en cours ce qui aura forcément des conséquences sérieuses sur la manière dont les citoyens ont accès à l’actualité. Le risque majeur est qu’on assiste à un accroissement des inégalités qui sont déjà manifestes aujourd’hui. Il y aura une minorité d’individus ayant les moyens financiers et les instruments numériques pour collecter des informations fiables et complètes auprès d’un nombre réduit de médias coûteux mais de haut niveau qui auront réussi à survivre à la crise. Une majorité de la population sera en revanche contrainte de recourir aux plateformes qui continueront à peiner pour juguler les flots de nouvelles fausses ou manipulées ou, à défaut de consulter des médias plus populaires mais appauvris par la crise et mal armés pour collecter l’information faute d’effectifs suffisants. Dans ces conditions il faut souhaiter la sauvegarde d’un service public de l’audiovisuel qui a, jusqu’à présent bien surmonté ce défi majeur. Dans ce secteur comme dans beaucoup d’autres, l’intervention de l’État est donc inévitable. Il faut espérer qu’elle soit respectueuse des libertés et du pluralisme des opinions.
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