Papa, maman et les inégalités du travail à distance edit
Le travail à distance peut aider à concilier le temps de travail et le temps de vie. Mais si la répartition des tâches domestiques et des soins n’est pas équilibrée, les femmes risquent toujours d’être désavantagées. C’est pourquoi elles semblent moins l’apprécier que les hommes.
La nécessité d’une distanciation sociale liée à l’endiguement du Covid-19 a eu un fort impact sur l’organisation du travail, à tel point qu’on envisage sérieusement aujourd’hui l’émergence d’une « nouvelle normalité », avec un recours massif au travail agile et au travail à distance, et ce quelle que soit l’urgence sanitaire. Comme de nombreuses formes de travail flexible, le travail à distance peut faciliter la conciliation du travail et du temps de vie et accroître le bien-être des personnes concernées. Cependant, en l’absence d’un partage équilibré de la charge du travail domestique et des soins, les femmes risquent de supporter une charge excessive. Cela pourrait expliquer pourquoi, comme il ressort d’une enquête menée par l’Inps, les femmes semblent moins apprécier les avantages du travail intelligent que les hommes.
Le travail à distance est souvent décrit comme un outil permettant de concilier vie professionnelle et vie privée et, dans la perspective de combler les écarts entre les sexes, comme un élément susceptible de favoriser la participation des femmes au marché du travail et leurs perspectives de carrière. En réduisant les déplacements, elle supprime une source de stress, libérant du temps indirectement lié au travail qui peut donc être consacré à d’autres activités. En outre, du moins hypothétiquement, elle augmente les marges de liberté dans la gestion des activités professionnelles et non professionnelles, ce qui permet de les organiser de manière plus adaptée aux besoins individuels et familiaux. Les femmes, surtout si elles sont mères, ont tendance à valoriser le travail à domicile car il leur permet une intégration plus facile entre les domaines familial et professionnel.
Dans le même temps, cependant, le travail à domicile peut contribuer à cristalliser une division traditionnelle des rôles au sein des familles, avec des effets controversés, tant en termes de bien-être et de productivité que de perspectives d’évolution professionnelle pour les femmes. De nombreuses études ont montré que pendant le confinement, les responsabilités domestiques et de soins des femmes ont augmenté et que cela a également affecté celles qui ont continué à travailler à distance (on l’a mesuré ainsi en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni).
L’enquête de l’INPS
Pour mieux comprendre la dynamique qui peut créer une distribution asymétrique des avantages et des inconvénients du smart working, nous avons utilisé les données d’une enquête menée dans des entreprises par l’Inps (la Sécurité sociale italienne) entre août et septembre 2020 à laquelle environ 42% du personnel a répondu, soit un total de 11441 répondants. D’une manière générale, une attitude substantiellement positive se dégage, qui se traduit par l’idée répandue que le travail intelligent doit être considéré comme une opportunité à l’avenir, indépendamment de la nécessité de contenir la pandémie. Conformément aux résultats des enquêtes menées au niveau européen, les répondants indiquent comme option préférée l’utilisation du travail intelligent sous une forme partielle, c’est-à-dire en alternant le travail à domicile avec des retours périodiques au bureau, dans près de 54% des cas ; environ 30% opteraient plutôt pour continuer à travailler exclusivement sous forme agile, pendant tout le temps de travail, donc comme une nouvelle façon de mener leurs activités.
La propension à travailler en mode intelligent est relativement moins intense pour les salariés de plus de 55 ans, qui montrent une préférence plus marquée pour les régimes traditionnels, avec peu ou pas de travail à distance. De même, les cadres et les superviseurs sont moins enclins à choisir l’option extrême consistant à travailler exclusivement à distance que ceux qui effectuent des tâches plus opérationnelles.
Plusieurs aspects matériels déterminent la propension à continuer d’utiliser le smart working : tout d’abord, la distance entre le lieu de résidence et le lieu de travail (en réduisant les coûts monétaires et non monétaires des déplacements, le travail à distance est particulièrement apprécié par ceux qui habitent plus loin) ; la disponibilité d’espaces utilisés exclusivement pour le smart working et d’équipements informatiques adaptés est également importante. Les employés qui ont des enfants de moins de dix ans et qui doivent s’occuper de personnes âgées ont tendance à préférer le travail intelligent. Au contraire, les personnes qui vivent seules ont tendance à avoir une préférence moins marquée pour cette méthode de travail.
En ce qui concerne les différences entre les sexes, il est surprenant de constater que les femmes ont une propension positive plus faible que les hommes à vouloir continuer à travailler en mode intelligent (32,5 % des hommes continueraient à travailler à distance sous une forme exclusive contre 27,9 % des femmes).
Certaines différences intéressantes entre les sexes apparaissent également en examinant les réponses données à une série de questions dans lesquelles les personnes interrogées devaient évaluer la cohérence entre leur propre expérience et certaines déclarations concernant les aspects positifs et négatifs du travail intelligent.
Les figures 1 et 2 montrent le pourcentage de sujets ayant indiqué qu’ils étaient d’accord ou très d’accord avec les aspects proposés sur le total des réponses valides. Comme on peut le voir dans la figure 1, il existe une différence systématique entre les hommes et les femmes, ce qui indique une plus grande satisfaction des premiers. De manière cohérente, lorsque nous examinons les aspects négatifs du travail intelligent (figure 2), l’expérience féminine, bien que positive (les aspects positifs reçoivent plus d’approbation que les aspects négatifs pour les deux sexes) semble être plus difficile que celle des hommes.
Figure 1 - Aspects positifs (% de « D’accord » et « Très d’accord » sur le total des réponses valides)
Figure 2 - Aspects négatifs (% de « D’accord » et « Très d’accord » sur le total des réponses valides)
Monde d’après ou vieille histoire?
Le fait que les femmes apprécient moins l’expérience du travail intelligent pourrait s’expliquer par le fait qu’en restant à la maison, elles assument davantage d’obligations domestiques et de soins que les hommes.
Pour tester cette hypothèse, par le biais d’une analyse économétrique utilisant comme variables dépendantes des indicateurs synthétiques des avantages et inconvénients perçus du travail à distance, nous avons essayé de comprendre si l’écart entre les sexes mis en évidence ci-dessus se réduit à mesure que le niveau de collaboration dans la gestion du travail domestique au sein du ménage augmente.
Nos résultats montrent qu’une mauvaise collaboration au sein du ménage a un impact négatif sur la qualité de l’expérience du travail intelligent et cet effet est particulièrement ressenti par les femmes. Cela confirme l’idée que le travail intelligent peut avoir des effets asymétriques en termes de bien-être et de satisfaction individuels et peut être à l’origine de nouvelles formes de conflit.
Si le travail à distance est destiné à rester un outil largement utilisé, même en dehors de l’urgence sanitaire, il convient d’examiner attentivement les impacts controversés qu’il pourrait avoir et les interactions avec la dynamique intrafamiliale, afin d’éviter le risque que, dans une perspective de genre, la « nouvelle normalité » se transforme rapidement en « same old story ».
La version italienne de cet article est publiée par notre partenaire LaVoce.
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