Bioéthique: cachez cet embryon que je ne saurais voir! edit
Le 15 février a marqué le vote solennel à l’assemblée nationale du projet de révision de la loi-cadre de bioéthique. Dans un contexte où l’innovation est constante dans les sciences du vivant, les divergences autour de ce texte bioéthique demeurent fortes au sein même du gouvernement et c’est donc une « loi prudente », selon les mots de Valérie Pécresse, qui se voit offerte aux débats parlementaires. Après trois années de longues discussions, celle-ci n’a pourtant pas manqué de provoquer d’importantes tensions au sein de la commission spéciale Léonetti chargée d’examiner en première instance le projet de loi de bioéthique.
Parmi les sujets abordés, les usages médicaux de l’embryon et de ses éléments dérivés se trouvent constamment placés sous les feux de la rampe. Il est vrai que des thèmes aussi sensibles que les recherches sur l’embryon ou les aides médicales à la procréation nous transportent par-delà les clivages partisans traditionnels. Parce qu’ils font échos à des préférences individuelles et à des contextes singuliers difficilement reproductibles, un accord définitif et grandement partagé sur ces thèmes s’avère irréalisable. Seul un consensus laborieusement négocié, provisoire et appuyé sur des grandes lignes est possible. Mais le fait que cette loi-cadre ait pour objectif premier de traduire aux mieux les valeurs fondamentales des français en matière de recherche et de pratique médicales ne peut servir d’excuse constante à notre incapacité à façonner un cadre législatif cohérent et opératoire.
Les questionnements collectifs à l’arrivée des technologies de la procréation depuis ces dernières décennies, sont pour le moins récurrents et les pratiques en jeux, souvent déclinées à l’échelle de la population plutôt que sur le registre de la sphère privée. L’assistance procréative augure un débat passionné dès le début des années quatre-vingt : les fécondations in vitro arrivent sur le devant de la scène avec la naissance en 1978 du premier « bébé éprouvette » britannique, Louise Brown, suivie trois ans plus tard par Amandine, sa consœur française. La dispute publique n’est alors pas substantiellement distincte des préoccupations bioéthiques actuelles. Les écrits abondent sur le statut juridique de ces embryons congelés destinés à être implantés, le devenir de ceux qui ne seront pas réimplantés et sur leur possible sélection en vue de la prévention de pathologies héréditaires. L’annonce récente de la naissance du premier « bébé du double-espoir » français : Umut-Talha dont les cellules incarnent une thérapeutique possible pour l’un des membres de sa fratrie atteint d’une lourde maladie génétique, se voit inlassablement agrémentée des polémiques de la décennie quatre-vingt. À la lumière d’un projet parental immaculé dont certains font directement découler la dignité de l’embryon, s’opposerait le risque d’une instrumentalisation familiale et sociétale d’un bébé fournisseur d’espérances thérapeutiques. Quels qu’en soient les termes, la partition reste la même : l’enfant est-il conçu pour lui-même ou pour servir autrui ? En réponse à cette vision manichéenne, la psychanalyse a montré que le désir, quel qu’il soit, celui de devenir parent ou autre, ne peut s’offrir à la lame d’un bistouri social qui isolerait parmi les desseins familiaux, ceux méritant ou non d’être poursuivis. Les finalités projetées et les besoins mobilisés pour y répondre sont inextricables les unes des autres ; ils s’entremêlent indistinctement chez l’individu mais aussi chez le couple. Difficile ensuite pour une autorité sociale, extérieure par définition à l’environnement familial, de statuer sur le bien-fondé des aspirations des futurs parents. Au final, ce sont les membres de la famille qui restent les artisans du sens donné à leurs propres désirs.
Minimiser cette réalité peut entrainer de fâcheuses conséquences. Parce que les controverses publiques autour du « bébé thérapeutique » reposent sur une conception naturaliste des motivations profondes du désir d’enfant, leur impact ne peut être que traumatisant pour les familles concernées. On peut ainsi légitimement s’interroger des effets de ce battage médiatique sur les jeunes parents d’Umut-Talha. On peut également s’étonner que cette démarche particulière de diagnostic préimplantatoire, strictement encadrée par la loi de bioéthique de 2004, passe à nouveau au crible de la critique sociale. Le décret d’application donnant droit aux médecins d’isoler des embryons sains compatibles avec un(e) aîné(e) malade est sorti en 2006 et la naissance médiatisée a évidemment été strictement encadrée par les autorités compétentes. Ce déferlement de réactions peu de temps après qu’Umut-Talha ait vu le jour n’est donc pas attribuable à un effet de surprise. Derrière l’annonce de cette naissance, il faut peut-être déceler une atteinte de la prégnance sociale du modèle de la « bonne mère écologique » pour reprendre l’expression illustrative de la récente thèse d’Élisabeth Badinter. Au-delà du débat insoluble opposant la fin aux moyens, cette actualité médicale montre que le projet parental n’est pas superposable à une simple intention naturelle et que les conditions de son développement sont tributaires du contexte dans lequel il s’inscrit. On le voit explicitement avec l’encadrement réglementaire qui malmène au premier plan la notion d’instinct maternel. La procédure administrative suppose en effet de rationaliser les motivations parentales et reconnaît ainsi en creux que la satisfaction du désir d’enfant ne saurait suffire à elle seule à l’épanouissement familial.
La recherche sur le matériel embryonnaire constitue un autre grand enjeu de cette loi-cadre. Les controverses publiques autour des cellules souches sont cependant plus récentes que celles liées aux procréations médicalement assistées et elles coïncident avec leur isolement en 1998 chez l’homme. Depuis, les débats sont intenses mais l’encadrement des pratiques ne tend pourtant pas vers l’harmonisation. Écartelé entre la volonté de ne pas s’auto-exclure de la compétition scientifique internationale et la crainte de soulever le couvercle des conservatismes en ébullition, le législateur a repris le montage alambiqué décidé sur fond de la révision des lois de bioéthique de 2004. La recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires est interdite mais elle faisait jusqu’à maintenant l’objet d’une procédure dérogatoire limitée à cinq années à compter du 6 février 2006. Il était prévu dans ce délai la révision de la loi qui n’a commencé dans les faits que la semaine dernière. Si bien que depuis quelques jours, l’autorité compétente : l’Agence de la Biomédecine ne peut plus délivrer de nouvelles autorisations. Elle est en attente du nouveau dispositif législatif. Si le régime dérogatoire de ces recherches avait pour effet de compliquer l’encadrement pratique des travaux exceptionnellement autorisés, la logique du législateur était alors compréhensible puisqu’il s’agissait d’une loi expérimentale, à caractère temporaire, destinée à être rediscutée quelques années plus tard. Mais que doit-on penser aujourd’hui de la maintenance de ce régime dérogatoire proposée par la commission spéciale, dans une loi qui ne prévoit plus de moratoire ? Assigner au couple interdiction/dérogation une quasi-conjugalité juridique comme le propose cette législation en demi-teinte est une belle illustration du constat de Molière. On aime mieux un vice commode qu’une fatigante vertu, que cette vertu renvoie à une proscription pour les uns ou à l’obligation d’avancer pour les autres.
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