Réformer le code du travail, mais pas sans concertation edit
En France, on ne sait pas réformer. Du moins on ne sait plus. Les gouvernants ont beaucoup de mal à imaginer les processus de décision qui permettent de faire évoluer une société. Dans une grande entreprise, lorsque l’on veut opérer une transformation, un virage, un changement, on construit un « projet ». L’Etat ne connaît pas ces règles du jeu. Les objectifs ne sont pas avoués (pour ne pas effaroucher sa propre majorité) ; le ministère du Budget ne consent pas à dégager les crédits nécessaires ; le comité de pilotage n’existe pas ou il n’est qu’un faux semblant : ce sont les cabinets qui, quand ils en ont le temps, font les arbitrages.
Toute réforme prend du temps. Face à cette inertie, le Premier ministre a cherché à passer en force en instituant le contrat nouvelle embauche et le contrat première embauche. Ces « coups de force » par lesquels il a fait adopter la nouvelle législation sans discussion pourraient avoir l’effet inverse à l’objectif de réforme de fond : mal ficelés, sans réflexion sur les garanties à reconstruire face à la perte de protection des salariés, construits dans les cabinets ministériels loin des débats avec les partenaires sociaux, les CNE et CPE pourraient être perçus comme des contre-exemples retardant ce qui devrait être l’objectif d’une réforme des contrats de travail : l’adoption du principe du contrat unique.
Pourquoi un contrat unique ? D’abord parce que la législation actuelle est d’une complexité telle qu’elle pèse sur le marché du travail, en décourageant les meilleures bonnes volontés, du côté des employeurs, en créant une « illisibilité » évidemment nuisible à la transparence nécessaire de tout marché, en pesant sur l’activité des acteurs du service public de l’emploi, submergés de directives et de finasseries juridiques, en embrouillant les employeurs et employés qui ne connaissent pas leurs droits. Ensuite parce que cette société d’inégalités qui est la nôtre (loin de la devise de la République) s’obstine à traiter différemment différentes catégories de salariés. Agents publics « à statut » fortement protégés. Titulaires de contrats à durée indéterminée installés sans risque dans de grandes entreprises soumises à une législation très protectrice. CDI fragiles des entreprises plus modestes et, partant, moins contraintes par la législation. Contrats à durée déterminée bien sûr. Statut des travailleurs temporaires. Et les multiples contrats spécifiques, inventés par les gouvernements successifs, assortis de conditions particulières d’embauche, de conditions de travail, d’exonération de charges sociales, de niveau de rémunération, d’aides diverses de l’Etat. Sans parler des multiples sortes de contrats en alternance, contrats de qualification, de professionnalisation ou d’apprentissage…
Si cette multiplicité de contrats avait un effet heureux sur les taux d’emploi ou sur le chômage, les statistiques ne seraient pas aussi catastrophiques ! A vouloir multiplier les cas de figure, on ne fait que tordre le fonctionnement du marché du travail. Les effets d’aubaine aboutissent à gaspiller l’argent public, les effets de substitution à changer l’ordre des files d’attente, des effets pervers conduisent les chasseurs de primes à de mauvais choix, les effets de seuil condamnent au chômage ceux qui sont du mauvais côté du seuil (les 26 ans sont mal partis avec une loi qui favorise les jeunes jusqu’au jour de leur 26e anniversaire !). Il faut sans en aucun doute tailler dans la jungle.
Le contrat à durée déterminée, il faut le rappeler, n’est autorisé par la loi que dans le cas de besoin exceptionnel et provisoire : remplacement d’un salarié absent, par exemple pour cause de maladie ou de maternité, nouvelle commande sans lendemain envisagé. Mais nul ne se préoccupe de respecter la loi. Les employeurs n’hésitent pas une seconde à embaucher en CDD lorsque cela les arrange. Et il est rare que quelqu’un songe à s’en inquiéter au point d’en saisir la justice ou l’inspection du travail. Le CDD est devenu, comme le montrent les statistiques de l’emploi, un mode normal de recrutement. Il sert couramment de période d’essai.
Le CDI, quant à lui, ne protège pas le travailleur autant qu’on peut le croire. Ce contrat peut être rompu par l’employeur pour deux catégories de motif : insuffisance professionnelle ou faute, d’un côté, motifs économiques de l’autre. Dans tous les cas, les dispositifs prévus par la loi pour protéger le salarié sont assez peu protecteurs. Dans le premier cas, les conseils de prud’hommes conduisent à un accroissement du coût pour l’employeur, non à la remise en cause de la décision de licenciement. Dans le second cas, les procédures de licenciement économique, même si elles sont lourdes et coûteuses dans le cas de licenciements collectifs de plus de dix salariés intéressant des grandes entreprises, ne conduisent que très rarement à remettre en cause la décision de l’entreprise. La protection est donc toute relative.
Plutôt que de maintenir cette législation qui a si mal vieilli, mieux vaudrait donc s’interroger sur sa signification et son efficacité aujourd’hui. Le point de départ devrait être ce constat indéniable : la flexibilité et la mobilité de l’emploi sont devenues une donnée du marché du travail. Les pays qui ont réussi à juguler le chômage sont ceux qui ont mis en place les institutions, les législations et les outils d’une gestion efficace du marché du travail. Partant du principe que les changements d’emploi et donc le passage sur le marché du travail sont très fréquents (rappelons que 7 millions de personne passent chaque année en France par la case « demandeur d’emploi »), ils ont mis en place ce qu’il fallait pour que le marché du travail soit fluide : accompagnement personnalisé des jeunes et des chômeurs par des conseillers du service public de l’emploi ou de professionnels privés ; efforts d’orientation et d’adaptation des qualifications ; contractualisation de type PARE entre le service public de l’emploi et les demandeurs ; obligations faites aux entreprises qui licencient soit d’assurer elles-mêmes le reclassement de leurs salariés, soit de financer des organismes assurant ce service – avec obligation de résultat. Et, en contrepartie des services rendus et des obligations du service public de l’emploi, obligation faite aux demandeurs d’emploi d’accepter les « offres valables d’emploi » et système d’indemnisation du chômage et de revenus minima construit de telle façon qu’il incite à la reprise d’un emploi. Il s’agit là d’un ensemble cohérent.
On ne peut concevoir et réaliser cette réforme que de façon globale et concertée : il faut au service public de l’emploi beaucoup plus de moyens ; il faut le réorganiser pour lui permettre de répondre à ces objectifs ; on ne peut envisager de soumettre les chômeurs à plus de contraintes et de contrôles si ce n’est en contrepartie du service rendu ; etc. Et tout cela doit être cohérent avec le droit du travail.
Cahuc et Kramarz, dans leur rapport du 2 décembre 2004 à Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo, après avoir souligné les défauts criants de la gestion du marché du travail français, proposent de renoncer à la distinction entre durée déterminée et durée indéterminée. Il s’agit toujours d’un contrat, c’est-à-dire que les conditions de rupture sont explicitées et inscrites dans la loi, dans les conventions collectives et dans les contrats eux-mêmes – contrairement aux nouveaux contrats de Dominique de Villepin. Mais ce contrat est construit de telle sorte que les garanties qu’il offre en cas de désaccord entre l’employeur et l’employé soient proportionnelles au temps passé dans l’entreprise. Conscients des risques de précarisation liés au fait que dans les premiers temps passés dans l’emploi les salariés ne bénéficient que de garanties très faibles, les rapporteurs proposent que l’indemnité de licenciement soit majorée pendant les 18 premiers mois du contrat : on supprime le CDD, mais on maintient le principe d’une indemnité spécifique telle qu’est aujourd’hui l’indemnité de précarité. Ils suggèrent aussi que les contrats puissent avoir une durée minimale.
Le principe de base de leur proposition est la responsabilité de l’entreprise dans le reclassement de ses salariés en cas de rupture du contrat de travail. Ils vont jusqu’à renoncer à la distinction entre licenciement économique et autre motif de licenciement, source de contentieux interminables, mais, dans tous les cas (sauf faute grave) exigent de l’entreprise qu’elle fasse face à la situation créée pour le salarié licencié ou en risque de licenciement.
La novation de base, au-delà de la notion de contrat unique, est le principe d’une prise en charge de la « suite », c’est-à-dire du reclassement du salarié par les soins de l’entreprise, soit qu’elle le fasse elle-même, soit qu’elle rémunère les services d’un organisme qui prend en charge ce reclassement.
Mais il faut bien comprendre qu’elle est inséparable d’une refonte des principes de fonctionnement du service public de l’emploi. Rien ne serait plus dangereux que de modifier, d’alléger les contraintes du contrat de travail, sans modifier la gestion du marché du travail.
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