Une jeunesse ambitieuse et optimiste edit
L’institut Harris Interactive vient de réaliser, pour le magazine Challenges[1], une grande enquête sur un large échantillon de Français[2]. L’enquête brasse un grand nombre de thèmes, mais je voudrais dans cette chronique mettre l’accent sur quelques-uns des résultats concernant les jeunes. En effet, ces résultats cassent l’image d’une jeunesse apathique, résignée, frileuse et malheureuse. L’enquête montre au contraire des jeunes ambitieux, généreux, et moins inquiets que leurs aînés sur les perspectives d’avenir. Elle montre aussi des jeunes plus centrés sur leur réussite personnelle. Examinons plus en détail quelques-uns de ces résultats.
Figure 1. Les priorités à titre personnel (%) (3 réponses possibles)
Les jeunes Français sont manifestement très impliqués dans leur réussite professionnelle (figure 1) : ils font de tous les items consacrés au travail une priorité nettement plus importante que ne le font les plus de 50 ans et l’ensemble des Français. Une minorité non négligeable (15%) envisage l’entrepreneuriat. On ne trouve aucune trace dans cette enquête d’un rejet ou d’une distance à l’égard du travail, bien au contraire. Répondant à une autre question de l’enquête, ils disent même adhérer au slogan d’un ancien président de la République en étant 71% à déclarer souhaiter travailler davantage pour gagner plus. Ce souhait de travailler n’est pourtant uniquement motivé par l’appât du gain, puisque 72% des jeunes déclarent qu’ils continueraient de travailler (42% en conservant le même travail, 30% en en changeant) s’ils n’avaient pas besoin d’argent pour vivre. D’ailleurs, ils disent, bien plus souvent que les adultes, vouloir avoir un travail « qui ait du sens ». Cette priorité accordée au travail et à l’évolution professionnelle (en se formant notamment pour évoluer dans son métier) fait que les jeunes sont moins préoccupés que les adultes par le temps libre et les rencontres avec la famille et les amis, même si cela reste l’item le plus cité parmi ceux qui étaient proposés.
Contrairement aux idées les plus couramment admises, les 18-24 ans sont également nettement moins allants que les 50 ans et plus pour orienter leur mode de vie en fonction de préoccupations environnementales ou de santé. Les écarts sont particulièrement nets à ce sujet : seuls un tiers des jeunes choisissent d’adopter un mode de vie plus sain comme une priorité personnelle contre 54% des 50 ans et plus ; quant au fait d’agir personnellement, en réduisant sa consommation ou l’usage de sa voiture par exemple, seuls un petit 27% en fait une priorité (contre 40% des plus âgés). On remarque également que les jeunes ne sont pas massivement mobilisés pour s’investir dans une cause (14%).
Au fond, il ressort de ces premiers résultats que les jeunes sont avant tout préoccupés par leur entrée dans la vie active et les choix professionnels, de formation ou de logement qui l’accompagnent. Et après tout quoi de plus normal ?
Les jeunes partagent beaucoup de valeurs avec les adultes lorsqu’on examine le palmarès des qualités qu’ils jugent les plus importantes dans la vie (figure 2) : le respect et l’honnêteté sont les plus citées par les jeunes comme par les plus de 50 ans et l’ensemble des Français ; la responsabilité et la loyauté sont jugées également importantes par tous. Voilà donc une image très rassurante de la jeunesse loin des clichés sur une génération hyper-individualiste. Cette image positive est même renforcée lorsqu’on considère certaines qualités que les jeunes mettent nettement plus en avant que les adultes : l’entraide, l’équité, la générosité, l’humilité, par exemple. Bien sûr ces bons sentiments ne signifient pas obligatoirement qu’ils sont mis en œuvre dans la vie réelle. Néanmoins cela montre que les jeunes n’adhèrent pas à une vision de la société qui serait caractérisée par le repli sur soi. Ces qualités qu’ils mettent en avant montrent qu’ils veulent participer à la vie sociale dans un esprit d’ouverture et de tolérance. Bien sûr, cet esprit d’ouverture ne signifie pas que les jeunes Français vont massivement s’engager pour défendre des causes relevant de l’intérêt général. Certes, l’enquête montre qu’ils seraient prêts à participer à un mouvement de protestation pour défendre par exemple le droit des femmes, les victimes d’attentat, le climat ou la lutte contre le racisme, mais la figure 1 montrait que ce n’est qu’une petite minorité qui est prête à faire de la défense d’une de ces cause une priorité de sa vie personnelle ; elle montrait aussi que les jeunes sont moins disposés que les adultes à changer leur mode de vie en fonction d’impératifs sociétaux (comme la défense du climat). Leurs attitudes à cet égard sont donc assez ambivalentes et il est possible qu’en mettant en avant ces qualités d’ouverture, les jeunes pensent d’abord aux relations interpersonnelles dans la vie quotidienne ou la vie professionnelle.
Figure 2. Les qualités importantes dans la vie (% très importantes)
D’ailleurs une des qualités mises en avant par les jeunes et sur laquelle ils se distinguent massivement des adultes est l’ambition. Ce résultat est d’autant plus notable que l’ambition est souvent connotée négativement. L’ambitieux peut être perçu comme quelqu’un qui veut écraser les autres pour réussir et dans un pays catholique comme la France l’ambition et la réussite ont souvent été dénigrées pour ces raisons. Mais les jeunes – et c’est une bonne nouvelle – semblent étrangers à cette image négative et pensent possible de conjuguer la réussite individuelle et l’ambition qui l’accompagne avec des valeurs comme la générosité, l’entraide et l’équité.
Ces jeunes désireux de réussir et de progresser sont également plutôt optimistes sur leur avenir. Alors que seul un quart de l’ensemble des Français pense que son niveau de vie va s’améliorer, ce sentiment est partagé par 67% des 18-24 ans. Certes, partant de bas il n’est pas illogique que leur niveau de vie connaisse une progression, mais l’idée est si répandue que la jeunesse n’a pas d’avenir que les jeunes auraient pu eux-mêmes être contaminés par ce sentiment défaitiste. Or il n’en est rien. Ils citent aussi plus souvent que les adultes des sentiments positifs – comme la détermination, l’optimisme, la joie, l’enthousiasme – pour définir leur état d’esprit. Autre résultat allant dans le même sens et démentant bien des idées reçues, ces jeunes, dans leur grande majorité ne se sentent pas ostracisés par le reste de la société : 61% d’entre eux disent se sentir « bien considérés » par la société française, alors que ce n’est le cas que de moins de la moitié des adultes.
Ce tableau plutôt optimiste d’une jeunesse bien décidée à construire sa place dans la société sans se laisser démoraliser par l’image victimaire qui est souvent donnée d’elle-même dans les médias ou dans les discours politiques est réconfortant. Il doit bien sûr être nuancé par le fait que n’est livrée ici qu’une image « moyenne », masquant les clivages qui peuvent exister à l’intérieur même de la jeunesse. Ces clivages, on le sait, sont profonds, tant au niveau matériel qu’au niveau subjectif, notamment en fonction du niveau d’études ; et les quelques résultats présentés ici ne permettent pas de rendre compte de ces divisions. Néanmoins, cette étude montre qu’il y a un profond contresens à prétendre, comme on le fait trop souvent, que l’ensemble des nouvelles générations est voué à un destin malheureux. Malgré l’impact de la pandémie qui les a particulièrement affectés sur le plan économique et social, les jeunes, dans leur majorité, ne le croient pas. Peut-être même cette crise sanitaire a-t-elle renforcé leur désir de réussite. C’est une bonne nouvelle pour l’avenir du pays.
[1] Challenges, n°708, 2 au 8 septembre 2021.
[2] Le Cœur des Français. Trajectoires et perspectives partagées par les Français en 2021, enquête réalisée sur un échantillon représentatif de 10 000 Français âgés de 18 ans et plus (consultable en ligne ici).
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