Angela Merkel ou le malheur des uns peut-il faire le bonheur des autres? edit
À en croire les commentaires quasi-unanimes, la toute puissante chancelière Merkel est entrée dans une phase déclinante et ce serait une très mauvaise nouvelle pour l’Europe. S’il s’avère exact qu’Angela Merkel est définitivement affaiblie, il n’est pas évident que l’Europe en pâtisse, et ce pour deux raisons. Premièrement, ses contributions à la gestion de la crise de la zone euro sont célébrées à tort et pour de mauvaises raisons. Deuxièmement, elle doit sa domination sur les décisions européennes à l’absence de concurrence, y compris et surtout, de la part des présidents français.
Une très mauvaise gestion de la crise euro
Il est vrai que l’Allemagne a pris en main la gestion de la crise de la zone euro. Pendant la phase aigüe de la crise, les sommets se sont succédés à un rythme soutenu, jusqu’à une fois par mois. Dans un contexte anxiogène, techniquement complexe et toujours enrobé de préoccupations nationales, Angela Merkel est créditée d’avoir réussi à forger des accords, témoignant d’une impressionnante capacité à faire émerger du chaos un consensus rassurant. C’est exact et impressionnant. Mais ce n’est que l’aspect théâtral de la crise.
Sur le fond, les décisions ont été majoritairement erronées et prises avec de longs retards alors que les crises financières demandent des réponses immédiates et appropriées. C’est pour cela que ce qui n’était au départ qu’un problème mineur – des déficits budgétaires excessifs dans un petit pays de la zone euro – est devenu une crise majeure qui a failli mettre à mort la monnaie unique et a replongé l’Europe dans une longue récession, avec son cortège de chômeurs, d’entreprises en faillite et de souffrances.
Les sommets se sont enchainés parce que les décisions prises à un sommet, présentées comme la solution définitive à la crise, ne résistaient pas longtemps à l’analyse et aux faits. Les accords forgés par la chancelière étaient tout bonnement mauvais. Soit, elle et ses collègues ne s’en rendaient pas compte, soit ils faisaient preuve de cynisme, mais il est étrange de présenter Angela Merkel comme celle qui a sauvé l’Europe.
La solution au problème de la Grèce était d’organiser une restructuration de la dette publique, sous l’égide du FMI qui a une grande expérience de ce genre d’opération. Merkel a rapidement imposé le rejet de toute remise de dette et de toute intervention de la BCE, fermant ainsi les portes de sortie vers une issue sans crise. Un an plus tard, elle s’est ravisée et a exigé une restructuration de ce qui restait de la dette publique en mains privées. Cette annonce, faite à Deauville, a déclenché le pire épisode de la crise. Le défaut qui a suivi, présenté comme un accord volontaire, n’a aidé en rien à alléger le fardeau de la Grèce car le secteur privé s’était délesté d’une grande partie de la dette grecque, désormais principalement détenue, directement ou indirectement, par les autres gouvernements européens. Cette histoire n’est pas seulement un exemple d’erreurs commises sous le leadership d’Angela Merkel, elle permet aussi de comprendre comment s’est développée une crise qui pouvait être circonscrite.
Les mauvais choix de Merkel vont au-delà des décisions rendues possibles par l’emprise qu’elle avait acquise sur ses pairs. Elle a aussi laissé tout ce que l’Allemagne compte d’influent exercer des pressions sur la BCE, pourtant nominalement indépendante. Il était hors de question que la BCE vole au secours de gouvernements considérés par l’opinion publique allemand comme indisciplinés, voire tricheurs. Il a fallu un long travail de marketing pour que la BCE obtienne finalement un hochement de tête approbateur de la part de la chancelière et mette un terme à la phase aigüe de la crise en annonçant son soutien aux cours des dettes publiques. Il a fallu trois années de plus pour que, malgré la désapprobation d’Angela Merkel, la BCE ait le courage politique de lancer sa politique d’assouplissement quantitatif (QE) pour faire repartir la croissance. Toutes ces années perdues ne sont pas innocentes. Elles ont constitué des années de galère pour des millions de personnes.
Un leadership par défaut français
Le vide qui entourait la chancelière allemande au sommet de la pyramide européenne a rendu possible sa domination. Sarkozy a vu dans la crise le début de la fin du « capitalisme financier », perspective qui paraissait lui plaire. Il semble que, perché à une telle hauteur, ni lui ni son gouvernement, n’aient apporté une quelconque proposition concrète de stratégie face à la crise. Merkel avait eu la sagesse d’informer Sarkozy à l’avance de ses choix et de lui proposer de les présenter de façon conjointe. Pouvoir annoncer ce que « Angela et moi », le couple baptisé Merkozy, avaient pensé était plus important que le contenu. Cela lui permettait de se présenter en co-tuteur de l’Europe – argument dont il a ensuite amplement usé durant la campagne de primaires de la droite.
Quant à Hollande, il semble ne s’être jamais vraiment intéressé à la crise, ni avant, ni après son élection. Il avait promis à ses électeurs de mettre un terme à la politique d’austérité budgétaire, tout en leur disant du mal d’Angela Merkel. Aussitôt élu, il a fait le voyage à Berlin et en est revenu en chaud partisan de l’austérité. Les hausses d’impôts ont suivi. Son absence de prestige auprès de ses pairs n’allait pas lui permettre ensuite de peser sur le cours des événements économiques et financiers.
France-Allemagne, la possibilité d’une inversion
Aujourd’hui, la situation s’inverse. Macron a gagné sa crédibilité auprès de ses pairs en menant une campagne ouvertement pro-européenne, à un moment où le thème électoralement porteur est l’euroscepticisme. Une fois élu, il a renforcé son prestige en menant tambour battant quelques réformes emblématiques. Puis il a montré qu’il avait des idées sur l’Europe.
La présomption était qu’après les élections, Merkel et Macron allaient s’asseoir et adopter une liste commune de courses. Merkel n’avait plus besoin d’avoir des idées. Il lui suffirait de mettre son veto sur les velléités françaises de s’approcher trop près du portefeuilles des contribuables allemands, de faire le tri dans le discours de la Sorbonne et de laisser son jeune collègue faire la promotion du paquet « Macronmerkel ».
Une chancelière désormais affaiblie ressemblerait beaucoup à Sarkozy ou Hollande. Macron pourrait dès lors exploiter cette situation pour pousser son avantage. Ce n’est d’ailleurs pas inédit. Aux débuts de la création de l’Europe, la France était connue pour avoir des idées et l’Allemagne, en période d’expiation de son passé nazi, approuvait sans trop discuter.
Mais cette période est révolue depuis longtemps et Macron n’aura pas la même latitude que ses lointains prédécesseurs ou que Merkel du temps de sa gloire. La raison tient aux institutions politiques. Hors les périodes de cohabitation, un président français dispose d’une majorité docile au parlement. En Allemagne, c’est une coalition qui est au pouvoir et les parlementaires sont facilement frondeurs. L’Allemagne sera moins ouverte à un leadership français que la France ne l’était au leadership allemand, mais cela ne signifie pas une nouvelle ère d’immobilisme.
Macronmerkel pourra toujours pousser des projets susceptibles de recueillir une majorité au Bundestag, ce qui dépendra de la composition de la majorité au pouvoir en Allemagne. Le menu de la Sorbonne est suffisant varié pour y trouver de quoi plaire à tous les goûts !
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