Comment réussir la réforme du marché du travail edit
Pourquoi faut-il profondément réformer le marché du travail en France ?
· Un taux de chômage trop élevé, depuis trop longtemps pour qu'on puisse l'attribuer à de mauvaises politiques macroéconomiques.
· Une durée du chômage trop longue, au-delà d'un an en moyenne. Quand la durée du chômage atteint un tel niveau, les chômeurs sont souvent marqués pour la vie.
· Enfin, un marché du travail de plus en plus polarisé, où les jeunes commencent leur vie professionnelle en alternant pendant longtemps petits boulots et chômage, et où les travailleurs les plus âgés sont trop souvent en pré-retraite ou au chômage à long terme.
Peut-on faire mieux ? Les chemins suivis par d'autres pays disent clairement que oui. Il y a, en gros, deux moyens de protéger les salariés. Le premier est de protéger les emplois existants. Le deuxième est de faciliter les transitions des salariés, par un meilleur traitement de la formation et du chômage et de l'aide à la mobilité professionnelle. La France met l'emphase sur le premier ; la théorie économique, tout comme l'évidence empirique plaident en faveur du deuxième. Protéger les emplois existants ralentit, comme c'est son intention, la destruction d'emploi ; mais il en freine aussi la création, et ceci a deux effets profondément négatifs : une durée plus longue du chômage pour ceux qui ont la malchance de perdre leur emploi, et une diminution du taux de croissance de la productivité, et donc du pouvoir d'achat.
Réduire - ou plus précisément rationaliser - la protection de l'emploi, et en échange, mettre en place un meilleur traitement des transitions et du chômage. Avec, à la clé, un chômage plus bas, une durée du chômage plus courte, et des perspectives de carrière plus motivantes pour les jeunes et des fins de carrière plus satisfaisantes pour les salaries les plus âgés. Sur le papier, ceci parait à la fois possible, et infiniment désirable. Alors, pourquoi est-ce si difficile ? Parce que les partenaires sociaux sont terriblement méfiants.
Le patronat se méfie. Il a l'impression de s'être fait avoir lors du Pare, une réforme qui devait rendre les allocations chômages plus généreuses dans la durée, tout en donnant plus d'incitations aux chômeurs à reprendre un emploi, si un tel emploi était disponible. La réalité a été différente. Les allocations chômage sont devenues plus généreuses, et avec elles, les contributions que les entreprises doivent payer à l'Unedic. Mais les incitations à reprendre un emploi n'ont guère changé.
Les syndicats se méfient tout autant. Dans un contexte de chômage élevé, tout changement qui augmente les risques de licenciements est difficile à accepter. Même si les effets à long terme peuvent être favorables, comment l'expliquer aux salariés qui perdent leur emploi et se retrouvent, pour certains, chômeurs à long terme ?
Dans de telles conditions, les réformes ne peuvent réussir que si chaque côté est certain d'y trouver son compte. Ceci me fait penser qu'elles doivent à la fois être globales, et procéder par étapes. Toutes ces étapes peuvent être franchies pendant les négociations qui auront lieu entre la rentrée et la fin de l'année, mais il est, je crois, essentiel qu'elles soient franchies dans un ordre bien déterminé.
1. La première étape doit être la sécurisation des parcours professionnels.
Une vie de travail a toutes les chances aujourd'hui d'impliquer plusieurs emplois, et de bonnes chances d'inclure un ou plusieurs épisodes de chômage. Il est essentiel que beaucoup des avantages qui, autrefois, étaient associés à l'ancienneté dans une entreprise particulière, soient maintenant associés à l'ancienneté sur le marché du travail, et puissent être transférés d'une entreprise à l'autre. Ceci implique à son tour que ces avantages soient mutualisés.
Un élément central de cette sécurisation doit être l'accès à la formation et l'aide à la mobilité professionnelle. Le cadre juridique existe déjà, avec le " droit individuel à la formation " mis en place par la loi Fillon. La question essentielle est celle de la nature de ces formations. L'évidence empirique est très claire sur ce point : les 25 milliards d'euros que la France dépense en formation permanente (3 fois les dépenses associées au paiement du RMI !) sont très largement gaspillés. De nombreuses formations sont inutiles, et les formations les plus utiles sont souvent celles offertes à l'intérieur des entreprises. Remettre à plat la structure des formations, mettre en place des processus d'évaluation, est essentiel. Ceci prendra du temps et ne peut être réalisé cette année. Mais il est essentiel de mettre le processus en route dès maintenant.
2. La deuxième étape doit être une réforme du système d'assurance chômage.
Un système qui permet aux chômeurs de recevoir des allocations pour une durée maximum donnée est injuste pour deux raisons : il est injuste parce que pour certains, ceux pour qui il n'y a peu ou pas d'emploi, la fin des allocations peut être un drame ; il est injuste parce qu'il permet à d'autres de profiter du système, et d'attendre jusqu'à la fin de leurs droits pour prendre un travail qu'ils auraient pu prendre plus tôt.
Un bon système est donc un système généreux, mais qui oblige les chômeurs à reprendre un emploi, si un emploi acceptable existe. C'est ce second volet qui était prévu par le Pare, mais qui n'a jamais vu le jour. Comme le montrent les expériences étrangères, par exemple en Allemagne avec les réformes Harz, mettre en place un tel système est loin d'être évident. Quelle est la définition d'un emploi acceptable? Quid d'un chômeur qui sabote ses entretiens d'embauche? Mais il est certain qu'on peut faire beaucoup mieux, et que cela doit être une priorité. Dans ce contexte, expérimenter, et introduire des organismes privés, mis en compétition avec l'Anpe et évalués sur leur performance en matière de formation et de placement, parait essentiel.
Doit-on intégrer l'Unedic et l'Anpe ? Probablement. Ce qui est essentiel est l'existence d'un bureau unique pour les chômeurs, un bureau qui soit à la fois en charge de l'indemnisation du chômage et du retour à l'emploi. Ceci implique, au minimum, une rationalisation et une réorganisation majeure des tâches entre l'Unedic et l'Anpe. Si les deux restent séparées, le rôle de l'Unedic doit se réduire au financement des allocations chômage, le rôle de l'Anpe doit s'étendre et intégrer indemnisation et aide au retour a l'emploi.
3. La troisième étape doit être la réforme du droit des licenciements.
Il faut rationaliser le droit des licenciements. Sa structure actuelle est totalement incohérente, et elle est devenue une source d'incertitudes considérables à la fois pour les entreprises et pour les employés.
Le principe fondamental doit être que l'entreprise, mieux que quiconque, peut juger de la justification économique d'un licenciement, que ce soit pour des raisons tenant à la situation de l'entreprise (mauvaises ventes, changement de gamme de produits, progrès technologique, délocalisation - ce qu'on appelle aujourd'hui le motif économique), ou au rapport entre entreprise et salarié individuel (mauvaise entente, manque de confiance - ce qu'on appelle aujourd'hui motif personnel). L'implication logique de ce principe est que cette justification économique ne puisse pas être remise en cause, au moins en tant que telle, par un juge ; pour la simple raison que toute personne, que ce soit un juge ou un autre observateur extérieur, est à priori moins compétente que l'entreprise pour en juger. Ce principe n'est nullement incompatible avec l'obligation, qui nous est de toute façon imposée par les traités internationaux que nous avons signés, pour l'entreprise de préciser la cause de la séparation. Il est tout à fait normal qu'un salarié soit informé de la raison de son licenciement.
Il ne s'agit pas pour autant d'éliminer le rôle des juges. Un salarié qui estime que son licenciement reflète non une cause économique mais une discrimination, doit pouvoir faire appel et recevoir, s'il a gain de cause, des indemnités plus élevées. De même, une entreprise qui estime que le salarié a commis une faute grave et qui ne veut donc pas lui payer d'indemnités, doit avoir la possibilité de le faire, et, si nécessaire, de défendre sa décision devant les juges.
En échange d'une telle simplification du processus judiciaire, la contrepartie doit être une augmentation des indemnités légales de licenciement, que ce soit dans la loi, ou dans les conventions collectives. Celles-ci sont faibles en France, relativement à beaucoup de pays européens. Elles pourraient être plus élevées, refléter de façon plus prononcée l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, et tenir compte de la probabilité de retrouver un travail à un salaire similaire.
C'est également dans cette optique qu'il faut repenser les règles de licenciements collectifs et les plans sociaux. Demander aux entreprises de reclasser leurs salariés est leur demander de faire quelque chose qui n'est pas dans leur domaine d'expertise. Il vaut mieux laisser cette tâche à des organismes spécialisés. Mais on peut certainement leur demander de payer des indemnités plus élevées, si le reclassement de leurs employés parait plus difficile ou incertain.
Une telle réorganisation pourrait parfaitement se faire dans le cadre des contrats existants, que ce soit des CDIs ou des CDDs. Elle réduirait les différences entre ces differents contrats : Les CDDs différeraient des CDIs principalement par le montant de l'indemnité de licenciement. Il serait alors plus logique sinon de tous les remplacer par un contrat unique progressif (avec des indemnités qui soient fonction de l'ancienneté), au moins de réduire le nombre de types de contrats qui existent aujourd'hui. Comme la remise à plat des formations, la réduction du nombre de contrats est importante ; mais comme elle, elle est complexe, et peut probablement attendre.
4. La quatrième étape est la réforme du financement de l'assurance chômage.
A l'heure actuelle, l'assurance chômage en France est financée par des cotisations basées sur la masse salariale. Un tel financement augmente les coûts des entreprises, et donc diminue l'emploi. Et les cotisations sont les mêmes, qu'une entreprise licencie ou non. Ceci n'est pas désirable : les entreprises qui licencient plus imposent un coût plus élevé à la société, qui doit, en particulier, financer les allocations chômages des salariés licenciés.
Il existe un moyen simple de responsabiliser les entreprises, qui est de les faire payer plus si elles licencient plus. Un tel système de bonus malus est parfaitement concevable. Paradoxalement (vu l'image des Etats-Unis dans ce domaine), il existe depuis longtemps aux Etats-Unis, où les entreprises paient, au cours du temps, des cotisations égales aux allocations chômage payées par l'agence de chômage aux salariés qu'elles ont licencié. Ceci leur donne donc plus d'incitations, non seulement pour moins licencier, mais pour licencier les travailleurs qui retrouveront du travail le plus facilement et seront moins longtemps au chômage.
Une objection que l'on entend souvent dans ce contexte est que, dans un tel système, les entreprises deviendront plus hésitantes à embaucher des salariés qui, s'ils doivent être licenciés plus tard, auront du mal à retrouver un travail. Ou que les entreprises hésiteront à s'installer dans des bassins d'emploi déprimés, ou leurs salariés, s'ils doivent être licenciés, risquent d'être au chômage pour longtemps. Dans les deux cas, il existe une solution simple : des systèmes de subvention explicites, pour des catégories spécifiques de salariés dans le premier cas, pour des bassins d'emploi spécifiques dans le deuxième. Le système de subventions implicites, présent dans le système actuel, est peu transparent, et peu efficace.
Sécuriser les parcours professionnels, rationaliser les procédures de licenciements, rendre plus efficace le système d'assurance chômage et changer son financement. Toutes ces réformes sont possibles, mais elles ne peuvent être réalisées qu'ensemble. Sans une meilleure sécurisation des parcours, il est peu probable que les syndicats soient prêts à discuter de réformes des procédures de licenciement. Sans rationalisation des procédures de licenciements, il est peu probable que les entreprises soient très ouvertes à une réforme du financement de l'assurance chômage. Les négociations qui commencent sont une occasion exceptionnelle. Elles peuvent amener aux réformes les plus importantes de ce nouveau quinquennat, et, à terme, à un chômage plus bas, plus court, et plus équitablement distribué, à des perspectives de carrière plus stimulantes pour les jeunes, et à une croissance plus élevée.
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