Déficits budgétaires: un mal français, qui n’est pas irrémédiable edit
Et voilà, le déficit public est reparti à la hausse. Depuis 45 ans – le dernier exercice en équilibre remonte à 1973 – c’est toujours la même chose. Il y a toujours une circonstance qualifiée d’exceptionnelle pour remettre à demain ce qu’il faut faire aujourd’hui à défaut de l’avoir fait hier, en l’occurrence remettre de l’ordre dans les comptes publics. Emmanuel Macron avait manifesté la ferme intention de mettre un terme à ce laxisme. Quelques gilets jaunes plus tard, il est retombé dans la soupe. Désespérant.
Le 31 décembre au soir, Macron a fustigé « le capitalisme ultra-libéral et financier, trop souvent guidé par le court-terme ». Ce vieux slogan marxiste fatigué ne parvient pas à masquer le fait que ce sont les gouvernements qui souffrent le plus de vision à court terme, Ce qui vient de se passer en est un exemple spectaculaire. En quelques jours, Macron a bousculé le budget déjà présenté au Parlement. De nouvelles dépenses ont été annoncées, retirées, réinstallées, sans aucun financement. Le Parlement a promptement validé ces revirements, sans discussion sérieuse. À la sortie de cette séquence, qui est probablement loin d’être terminée, le déficit a été creusé et la dette publique repart à la hausse.
Le Président ne cesse de rappeler que cela fait des décennies que les classes moyennes ont été oubliées par les gouvernements qui se sont succédés, et il a raison de dire qu’il faudra du temps pour corriger le tir. Cela signifie qu’il faut dessiner une stratégie à long terme. Cette stratégie ne peut pas consister à plus dépenser et à moins taxer, tout simplement parce que cela signifie plus de dette et la dette n’est pas gratuite. Des mesures d’urgence pour calmer le jeu ? Peut-être, mais où est la stratégie ? Elle sera définie plus tard, nous dit-on. Personne ne croit sérieusement qu’elle émergera de la grande consultation nationale. Ce genre d’exercice démagogique, pratiqué encore et encore par le « vieux monde », ne peut que produire, une fois de plus, un catalogue disparate de vœux rapidement oubliés. C’est un moyen de gagner du temps, ce qui signifie ne pas décider.
C’est vrai que le problème est compliqué. Quand l’État prélève la moitié des revenus, le pouvoir d’achat est mis à mal. Quand il redistribue sous forme de transferts près de la moitié de ce qu’il prélève et quand presque tout le reste sert à payer des salaires, il se retrouve au cœur du problème. Pour donner plus aux uns, il doit prendre aux autres. Comme la classe moyenne représente une très large majorité de la population, il ne peut que prendre beaucoup à chaque membre de la minorité pour donner un tout petit peu à chaque membre de la majorité. Tout le monde est frustré et ça ne peut pas marcher.
Même s’il alimente le fantasme du grand soir révolutionnaire, ce constat n’est pas original. La solution est la croissance économique. Goutte à goutte, les revenus nouvellement créés doivent être mieux distribués, tout comme ils ont été mal distribués depuis des décennies. C’est la seule stratégie viable, et c’est du très long terme. Face à l’impatience qui se manifeste, cette stratégie semble irréaliste. Il est donc logique de donner des gages en prenant des mesures de court terme, mais à deux conditions. La première, c’est que la stratégie de long terme soit bien explicitée, et qu’elle permette une croissance soutenue tout autant qu’une meilleure répartition de ses fruits. La seconde, c’est de ne pas hypothéquer l’avenir en laissant filer la dette.
Ce gigantesque défi n’est pas propre à la France. Dans presque tous les pays développés, les classes moyennes ont été les moins servies par les gains générés par la mondialisation et le progrès technologique. Elles réagissent en rejetant les élites qui ne s’en sont pas soucié. Mais la France se distingue par son goût pour les révoltes, violentes parfois, et par cette vieille habitude qui consiste à essayer de résoudre tous les problèmes en dépensant plus d’argent public sans en avoir les moyens. Il revient aux politiques de faire face à ces deux atavismes.
La France est championne du monde en termes de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires. Si dépenser et taxer plus était la solution aux défis mondiaux, la France serait le pays le mieux loti. Emprunter n’est pas plus la solution. Le candidat Macron semblait d’accord quand il déclarait : « Le poids de la dépense publique devra être progressivement ramené vers la moyenne de la zone euro. Je prévois donc une baisse de 3 points de la part des dépenses dans la richesse nationale. » L’objectif était modeste, la moyenne de la zone euro est de 47% du PIB, soit 9 points plus bas qu’en France. Ceci dit, 3 points c’est 70 milliards, largement de quoi financer les dépenses gilets jaunes et, en même temps, faire reculer le poids de la dépense publique. Pourquoi, donc, a-t-il succombé aux veilles méthodes qu’il avait si justement dénoncées ? D’où vient ce recours systématique à un pilotage à courte vue ?
La cause provient d’une faiblesse structurelle de nos institutions. Comme dans toutes les démocraties, c’est au Parlement que la Constitution a confié la responsabilité de contrôler le budget. Or, je ne me rappelle pas une seule circonstance où le Parlement a refusé de laisser la dette filer. La majorité du moment se sent toujours obligée de soutenir son gouvernement. Quant au budget soumis au Parlement, il est concocté dans une grande opacité au sein du gouvernement. Rien ne changera tant que cette manière de faire ne sera pas profondément modifiée. Heureusement, bien d’autres pays ont trouvé la manière de faire, et ils ne s’en portent que mieux.
Partout dans le monde, chaque gouvernement a la même tendance instinctive à dépenser plus et à emprunter pour cela. Sans contrainte forte, c’est ce qu’il fait. La discipline passe donc nécessairement par des contraintes. Depuis une bonne vingtaine d’années, quelque 90 pays ont adopté une règle. Ces règles varient d’un pays à l’autre, mais partout le principe est de limiter les marges de manœuvre du gouvernement en matière de déficit, en lui laissant le choix de ses dépenses et des prélèvements obligatoires. Ces règles sont parfois écrites dans la Constitution, parfois ce sont de simples lois ou encore de simples engagements de bonne conduite. Toute règle, cependant, doit souffrir des exceptions. Parce que définir une exception est sujet à interprétation, la tendance est à la mise de conseils consultatifs indépendants chargés d’évaluer la conformité des décisions avec la règle. Ces conseils sont souvent chargés de porter un jugement sur la qualité des prévisions qui sous-tendent le projet de loi budgétaire. Dans certains cas, ce sont eux qui produisent les prévisions, et non le gouvernement lui-même.
Ce vaste champ d’expérimentation a fait l’objet de nombreuses études. Celles-ci confirment l’efficacité des règles, d’autant plus qu’elles sont simples et précises, d’ordre constitutionnel et qu’elles sont vérifiées par des conseils indépendants de qualité. Le paradoxe est que c’est le gouvernement qui doit faire adopter une loi qui consiste à le contraindre sur une question régalienne et qui doit ensuite s’y plier même lorsque c’est politiquement difficile. Mais le paradoxe n’est qu’apparent. En général, les gouvernements savent que la discipline budgétaire est une affaire de bon sens. Comme Ulysse face aux sirènes, ils peuvent trouver un avantage à s’attacher au mât du bateau pour résister aux pressions politiques. Le long terme doit primer sur les calculs politiques de court terme.
Comme tous les pays de la zone euro, la France a adopté deux règles : 1) lors de la création de la monnaie unique en 1999, le Pacte de Stabilité qui requiert des déficits inférieurs à 3% du PIB : 2) suite à un traité adopté en 2012, une loi organique – elle n’a pas été inscrite dans la Constitution – qui comporte une « règle d’or » selon laquelle le déficit corrigé des variations cycliques demeure inférieur à 0,5%. Le traité de 2012 a aussi conduit à la création d’un conseil indépendant, le Haut Conseil des Finances Publiques, créé en 2013. Rattaché à la Cours des Comptes et dépourvu de moyens techniques propres, ce conseil pléthorique (11 membres) produit des avis qui restent confidentiels. Le résultat est, au mieux, médiocre. Sur les 20 premières années d’existence du Pacte de Stabilité, le déficit n’a été en dessous de la limite des 3% que sept fois. La raison est que la règle n’est pas vraiment contraignante, les 13 violations n’ont été suivies d’aucune sanction. Tout ceci montre que la France a superbement contourné ses règles budgétaires (seuls la Grèce et le Portugal ont plus souvent violé le Pacte de Stabilité).
L’expérience des dernières semaines confirme que la discipline budgétaire reste hors d’atteinte. L’expérience internationale indique clairement la voie à suivre. Il s’agit de se doter d’une règle simple, inscrite dans la Constitution, qui s’impose donc au Parlement puisque c’est lui qui vote les lois de finances. Il s’agit aussi de créer un vrai conseil indépendant, rattaché au Parlement, constitué d’experts de haut niveau et doté de moyens humains et techniques appropriés, qui produit des avis que le Parlement doit prendre en compte. Il reviendra alors au Conseil d’État de juger, chaque année, si les lois de finance et leur mise en œuvre sont constitutionnelles.
Comme toujours, la classe politique unanime va considérer qu’une telle approche est incompatible avec l’autorité de l’État. Cette opinion ne reflète que la crainte d’une contrainte. D’ailleurs, de nombreux domaines régaliens – sinon tous – sont soumis à des contraintes constitutionnelles. On peut citer l’usage de la force (armée, forces de l’ordre), les droits de l’homme ou la laïcité. Il s’agit ici de s’interdire de continuellement avoir des déficits budgétaires qui pénalisent lourdement les générations futures (lesquelles, bien sûr, n’ont pas de droit de vote), qui fragilisent dangereusement l’économie et qui menacent la monnaie unique.
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