Italie: une grenouille dans l'eau froide edit
En 15 ans, la part de l'Italie dans les exportations mondiales a perdu un point, passant de 4 à 3%. Depuis le début de l'union monétaire, le volume des exportations italiennes est resté pratiquement plat, alors qu'il augmentait de 25% en Allemagne, de 20% en Espagne et de 10% en France. C'est le résultat d'une compétitivité qui se dégrade rapidement, un problème sérieux pour un pays où, comme en Allemagne, les exportations ont traditionnellement été le principal moteur de la croissance. En 2005, après avoir atteint une moyenne de 1% pendant les quatre dernières années, la croissance est restée au point mort.
Dans un pays où la dette publique dépasse le seuil de 100% du PNB, quand la croissance s'arrête c'est un véritable défi de ne pas laisser augmenter la dette. En 2005, pour la première fois depuis huit ans, le pourcentage de la dette a augmenté. En 1998, l'Italie a été admise dans l'euro parce que les risques d'une crise des finances publiques avaient été limités par un budget en excédent de 6 points de PIB : même avec une croissance nulle et des taux d'intérêt réels de 5 %, la dette serait restée stable. Aujourd'hui cet excédent budgétaire a été dévoré : 2 points par la hausse des dépenses courantes, 3 par la baisse des revenus de l'Etat (partiellement du fait des réductions d'impôts), 1 point enfin par la hausse des investissements publics. Malheureusement, cet excédent a disparu au moment précis où les taux d'intérêt mondiaux commençaient à monter.
Le seul succès économique a été l'emploi. Entre 2000 et 2004, avec une croissance de 0,5% par an en moyenne, l'emploi a gagné 1,3% par an, grâce au travail temporaire et à la régularisation des immigrés illégaux. C'est d'ailleurs la principale raison pour laquelle le niveau de revenu par habitant a baissé par rapport aux autres pays. En 2005, pourtant, avec la fin de l'effet statistique de la régularisation des travailleurs illégaux, la croissance du marché du travail s'est arrêtée.
Même l'attractivité touristique de l'Italie décline : il y a dix ans, les revenus du tourisme étaient plus hauts en Italie qu'en France et en Espagne. Aujourd'hui, l'Espagne est en tête et l'Italie vient en troisième ; les revenus que l'Espagne tire du tourisme sont de 37% supérieurs aux chiffres italiens.
Au total, il est difficile de ne pas suivre The Economist, dont la couverture présentait il y a quelques mois l'Italie comme l' " homme malade de l'Europe ". Qu'est-ce qui explique cette crise ? Trois facteurs principaux : les rentes, une mauvaise spécialisation et une administration publique aussi onéreuse que mal organisée.
Les profits du secteur industriel (mesuré par la marge nette des entreprises) sont en moyenne de 3,5 %, mais dans les services et l'énergie ils atteignent 12,5 %. Ces bons chiffres ne s'expliquent pas par la seule hausse de la productivité. L'énergie et les services sont des secteurs très protégés : leurs marges reflètent simplement d'importants phénomènes de rentes. Depuis cinq ans, les prix des biens de consommation ont augmenté de 5%, mais les services bancaires ont crû de 36%, les assurances de 30%, les restaurants, hôtels et péages des autoroutiers de 15%. Dans certains de ces secteurs l'Italie tient le record : sur les dix dernières années, le prix des services financiers a augmenté de 30% en France, 15% en Allemagne, et 75% dans la péninsule ! Le prix des services téléphoniques, sur les lignes fixes, a décru partout dans le monde, mais cette chute est inégale : sur dix ans, il a chuté de 30% en Allemagne, de 15% en France, mais seulement de 10% en Italie. La hausse du prix des services maintient l'inflation au dessus-de la moyenne européenne et, ce qui est plus significatif, favorise la hausse des salaires puisque les salariés se battent pour conserver des salaires réels constants. C'est l'une des sources principales de la perte de compétitivité du pays.
La spécialisation de ses exportations fait elle aussi du mal à l'Italie. Une façon de mesurer si une spécialisation est bonne ou mauvaise consiste à corréler les avantages comparatifs dans les différents secteurs et le taux de croissance du commerce mondial dans ces secteurs. En Europe, la France et surtout le Royaume-Uni se détachent, car pour ces deux pays la corrélation est passé du négatif au positif. L'Espagne est elle aussi passée de zéro à positif, alors que la corrélation, pour l'Italie, est devenue largement négative. Dans les textiles et l'ameublement, pour un Armani il y a des douzaines de petites sociétés, surtout dans le nord-est du pays, qui ne peuvent plus survivre à la compétition de l'Extrême-Orient.
Troisième point noir, une administration publique mal organisée. Dans le rapport Doing business de la Banque Mondiale, l'Italie apparaît comme le pays où la création d'une entreprise exige le plus grand nombre d'étapes administratives. Les seize étapes nécessaires dans la péninsule requièrent soixante-deux jours ouvrables, contre cinquante-trois en France, quarante-cinq en Allemagne... et seulement trois au Danemark.
L'Italie a besoin d'un coup de fouet de compétition, pour accélérer l'adaptation des entreprises mal organisées, faciliter la création de nouvelles entreprises et éliminer les rentes qui ont protégé certaines entreprises au détriment du reste de l'économie. Le marché du travail est évidemment une partie importante du problème. 15% des salariés sont maintenant sur des emplois à temps partiel avec une sociale très limitée ; et encore, là où des emplois ont été créés. Mais 85% du marché du travail est composé d'insiders toujours bien protégés. Quand ceux qui ont des emplois temporaires représenteront une part plus importante du marché du travail, il y a fort à parier qu'ils se révolteront et que les initiés perdront. Mais cela prendra au moins 10 ans.
Va-t-on faire quelque chose ? J'ai des doutes. Si vous visitez l'Italie, vous ne trouverez aucune preuve d'une crise économique. Le pays est riche, probablement à 25 ou 30% plus riche que ne le disent les statistiques officielles. La croissance s'est arrêtée, mais si vous êtes riches vous pouvez vivre tout à fait heureusement sans croissance, en faisant lentement un trou dans votre richesse - surtout si les solidarités familiales sont fortes et qu'il y a toujours quelqu'un le réseau familial qui a un emploi et peut tirer d'embarras les gamins qui n'en ont pas. Silvio Berlusconi ne fait pas grand chose. Sa ligne, répétée maintes fois dans la campagne, est que tout est parfait, la " crise " serait une invention des " communistes " (c'est-à-dire tous ceux qui sont en désaccord avec lui) pour effrayer les électeurs. En un sens il a raison : il n'y a aucune crise. L'Italie ressemble à une grenouille dans l'eau froide. Le feu a été allumé et finalement la grenouille mourra. Mais gentiment, presque sans s'en apercevoir.
M. Prodi, contrairement à M. Berlusconi comprend clairement tout cela. Mais c'est un homme prudent. Sa ligne dans la campagne a été : " nous sommes dans le pétrin et je ferai tout ce qui est nécessaire pour tourner l'Italie dans l'autre sens. Mais seulement quand chacun sera convaincu que mes réformes sont les meilleures pour l'intérêt du pays. Aucune douche froide. " Malheureusement, sans quelques douches froides, nous finirons comme la malheureuse grenouille.
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